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Belgique – Italie : l’examen d’histoires

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les Italiens ont édicté une bonne partie des règles mathématiques. En voici une nouvelle : la somme des individualités est inférieure à la multiplication des idées collectives. Analyse de la défaite de la Belgique face à l’Italie.

Antonio Conte entre dans la salle d’examen. Armé d’une feuille, d’un stylo et d’un dictionnaire italien où ne se trouvent presque que des noms terriblement communs. C’est si peu de choses pour venir à bout de cette Belgique où chaque poste offensif s’écrit avec des talents majuscules. Mais Antonio connaît la force de son dictionnaire. Il n’y trouve pas seulement des noms, mais aussi des verbes pour lancer les actions, ou des mots presque insignifiants, mais qui permettent de faire des liaisons. Pour raconter son aventure française, cet été, l’Italie a choisi d’écrire des phrases. En face, la Belgique crie très fort des noms propres en espérant que l’un d’eux suffira pour être une histoire à lui tout seul.

Les premières lignes du récit d’Antonio sont claires, depuis que les blessures ont effacé Marco Verratti et Claudio Marchisio de son vocabulaire : le milieu de terrain n’est qu’un ensemble de courses, orientées autour d’une possession qui va directement de la défense de la Juventus au front ou aux pieds de Graziano Pellè. La réponse de Marc Wilmots s’articule autour de ce fameux milieu de terrain Fellaini – Witsel – Nainggolan incapable de faire vivre le ballon entre les lignes. Le milieu est abandonné dans un début de rencontre entre les méninges et les muscles, que personne ne semble vraiment vouloir gagner avec les pieds. Parce que ceux des avants italiens sont d’abord trop imprécis, tandis que ceux des offensifs belges ne sont jamais bien servis.

En perte de balle, la Squadra décide directement de fermer l’axe et de consacrer ses joueurs de flanc à la défense sur Eden Hazard et Kevin De Bruyne. Les latéraux belges sont laissés à l’abandon, comme pour prouver par l’absurde leur inutilité à Marc Wilmots. Une situation qui mènera à un chiffre irrationnel : à la mi-temps de la rencontre, Laurent Ciman est le joueur qui a touché le plus de ballons sur le terrain (50) alors qu’il vit sa première titularisation sous l’ère du sélectionneur.

LE ROI PELLÈ

La Belgique semble se complaire dans son récit d’une domination imaginaire. Marc Wilmots voit une première demi-heure où « on a fait le jeu », avec « le monopole du ballon », quand les statistiques indiquent que l’Italie mène légèrement à la possession après trente minutes (50,6%). Avec Fellaini qui s’installe aux côtés de Lukaku, les Diables se retrouvent dans une sorte de 4-2-4 qui prive la Belgique de jeu intérieur et contraint Courtois à jouer long (10 passes longues, 5 courtes). Et donc, forcément, à être imprécis (54% de réussite). Le chemin qui mène au rectangle italien ressemble à une balade en forêt, en pleine nuit et sans boussole.

À chaque touche de balle, Eden Hazard tente d’accélérer le rythme des échanges. Le capitaine comprend rapidement qu’il doit quitter son rôle de personnage pour devenir l’auteur, une fois de plus. Mais autour de lui, il y a plus d’Italiens que de Belges, écartelés dans ce système sans compacité au milieu de terrain. Alors, il dribble (3 dribbles réussis pour lui, 75% du total belge en première période). Même pas pour se créer une occasion, seulement pour amener le ballon dans le camp italien. Le rectangle de Buffon est encore bien loin, les trois seuls tirs belges de cette mi-temps partiront d’ailleurs de l’extérieur de la boîte.

En face, Conte a balisé le chemin : les trois centraux se passent le ballon, De Rossi crée de fausses pistes pour écarter Fellaini des bonnes trajectoires et la défense italienne sert directement un Pellè impérial. L’attaquant de la Squadra, deuxième joueur le plus présent de la première période après Barzagli (33 touches), multiplie les déviations en un temps vers les flancs et permet à ses défenseurs de régler progressivement la mire. Le premier long ballon de Barzagli est en touche (1re), le suivant trouve déjà Darmian (23e) avant d’alerter Eder (30e). Chiellini se met carrément à faire des chevauchées balle au pied, tandis que Leonardo Bonucci attend son heure. Le relanceur attitré du trio bianconero aurait déjà pu ouvrir le chemin du but à l’Italie si Eder n’avait pas manqué sa déviation (28e) et quand il revient dans le rond central à la demi-heure, c’est pour déposer un ballon fabuleux dans le dos de la défense et dans les pieds de Giaccherini. Tout le système italien était organisé autour de ses pieds. Et tout le monde le savait. Mais la Belgique l’a quand même laissé jouer.

THIBAUT ET ROMELU

Thibaut Courtois se déploie, mais pas assez pour fermer son but. Contrairement au meilleur Manuel Neuer, ou à l’Iker Casillas des grandes années, il n’est pour l’instant plus de ceux qui font en sorte que le premier détail d’une rencontre tourne systématiquement en faveur de leur équipe. Marc Wilmots fouille désespérément sa poche, à la recherche de sa patte de lapin.

La défense belge bafouille jusqu’à la pause. Pellè rate une tête impossible après un corner rocambolesque, puis manque sa reprise sur un centre parfait de Candreva. Pendant ce temps, la Belgique se plaint d’un Lukaku qui perd confiance à force de récolter des sifflets et des ballons impossibles à contrôler. Tout ça face à une défense qui l’avait déjà écoeuré au mois de novembre dernier.

C’est donc un Romelu fragilisé qui se présente face à Gianluigi Buffon en début de première période. Mis sur orbite par De Bruyne, Rom’ cherche la lucarne, seul endroit laissé accessible par la sortie du mythe italien, mais le cadre se dérobe pour quelques centimètres. Ces mêmes centimètres qui permettent à Courtois de priver Pellè du 2-0 une poignée de secondes plus tard. Le match s’enflamme, et cette Belgique devient celle de Mario Innaurato, son préparateur physique. Pendant que Conte s’amuse à écrire des histoires, la bande à Wilmots attend le cours d’éducation physique.

CHAOS FINAL

Dries Mertens monte au jeu, et le 4-2-3-1 et le marquoir incitent naturellement les Diables à presser une défense italienne qui rate enfin des relances. C’est le début d’une dernière demi-heure de souffrance pour la Squadra. L’Italie et ses genoux vieillissants n’aiment pas ce cours d’EP. Ils sont donc ravis d’apprendre qu’il ne durera que trente minutes.

La Belgique de Fellaini (33 ballons en première période, meilleur offensif belge) devient alors celle d’Hazard et Mertens (27 ballons chacun dans la dernière demi-heure). Entreprenante individuellement, déroutante au point d’obliger les Italiens à sortir les fautes tactiques (Chiellini sur Hazard, Eder sur Mertens). Les hommes de Conte sont – enfin – poussés à la faute. Ils en feront 6 dans les vingt dernières minutes. Soit autant que sur les septante premières.

À bout d’idées, Wilmots jette toutes ses cartes sur la table. Origi et Carrasco viennent animer un grand n’importe quoi baptisé « 3-4-3 » par le coach. Fatalement, l’Italie est un peu surprise par ce désordre pas du tout organisé, mais ne panique qu’en dehors de ses seize mètres. Les centres sont rarement source de danger quand on affronte une arrière-garde qui est sans doute la spécialiste européenne du domaine. À deux exceptions près. Deux ballons qu’Origi aurait pu mettre au fond s’il avait eu un jeu de tête. Deux caviars de Kevin De Bruyne qui justifient à eux seuls sa présence sur la pelouse jusqu’au bout de la rencontre, malgré les critiques sur une prestation clairement en-dessous de ses habitudes. C’est le paradoxe d’une Belgique qui est devenue tellement dépendante de ses individualités qu’elle les critique ouvertement quand ils ont l’audace de ne pas être exceptionnels.

L’Italie repousse tout, et finit par achever le match dans les arrêts de jeu. Motta, presque en marchant, lance l’action avec la grâce des joueurs qui ont déjà soulevé une Ligue des Champions, et Pellè conclut d’une volée rageuse le centre délicieux de Candreva. La Belgique est sonnée, confrontée brutalement à ce qu’elle refusait de voir depuis quatre ans. Elle donne à l’Europe une image qu’elle déteste tellement : celle du gamin doué mais capricieux, qui rate ses examens parce qu’il a préféré passer ses après-midis de printemps devant les matches sur terre battue de David Goffin. Pendant ce temps-là, l’Italie a appris sa leçon. Pour nous en donner une.

Par Guillaume Gautier

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