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Belgique – Irlande : roulette russe et crème anglaise

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face à l’Irlande.

Marc Wilmots est-il nerveux ? En couchant onze noms sur la feuille de match bordelaise, le sélectionneur sait qu’il écrit peut-être son testament. On s’attend alors à ce qu’il place son héritage entre les pieds de ses enfants de toujours. Pourtant, ni Marouane Fellaini, ni Christian Benteke, ni Divock Origi ne sont sur le terrain au coup d’envoi. Même pas de Radja Nainggolan, qui semblait devenu incontournable sur la route de l’Euro. Willy, dans sa volonté perpétuelle d’être imprévisible, joue sa partie de roulette russe avec Mousa Dembélé, Thomas Meunier et Romelu Lukaku dans le barillet.

Onze noms qui trouvent leur cohérence à travers le ballon, celui que les Diables auront inévitablement entre les pieds face aux deux lignes de quatre d’Irlandais plus courageuses que tactiques, défendant avec plus d’abnégation que d’intelligence. Quitte à jouer sa vie sur un match, il est toujours préférable de le faire face à des Britanniques.

Le défi belge est de chasser le spectre de cette possession stérile. Ces passes fantomatiques qui font que contre l’Italie, les cinq circuits les plus récurrents reliaient Alderweireld à Ciman, Alderweireld à Vermaelen, Vermaelen à Alderweireld, Ciman à Alderweireld et Vermaelen à Vertonghen. Répétitif et rébarbatif. Du tiki-taka au sens péjoratif du terme. Celui que déteste Pep Guardiola parce que « c’est se passer la balle pour le principe de se la passer, sans intention. »

PEU D’IDÉES, BEAUCOUP DE CENTRES

Pour jouer les ghostbusters, Wilmots opte pour Meunier et Dembélé dans son « 6 arrière ». Deux hommes pour casser les lignes en portant le ballon, manoeuvre qui pousse irrémédiablement l’adversaire à ouvrir un peu la porte. La première demi-heure est d’ailleurs celle de Dembélé, auteur des trois seuls dribbles réussis par la Belgique au milieu de 65% de possession sans histoire. Par son profil plutôt que par les consignes, Mousa attire les adversaires et crée des brèches dans le bloc adverse, que ses équipiers sont ensuite incapables d’exploiter.

La Belgique a le ballon, mais pas les idées. Les courses de Shane Long, pourtant parfaitement maîtrisées par un duo Vermaelen – Alderweireld qui défend à une hauteur barcelonaise avec une confiance ajacide, suffisent à dissuader les Diables d’attaquer à beaucoup. Le ballon arrive facilement dans les trente derniers mètres (57% de passes jouées dans le dernier tiers), tourne alors autour du rectangle, et se retrouve souvent entre les pieds d’Hazard (28 ballons touchés en 30 minutes) ou de Kevin De Bruyne (24) dans l’espoir d’un exploit individuel qui n’arrive jamais, puisque leur permis de dribbler semble avoir été confisqué. Carrasco tente sa chance à deux reprises, mais ses jambes fatiguées par la saison madrilène ne font pas la différence face au courage irlandais.

« Si tu n’as pas d’espaces, tu dois essayer de passer par les côtés », déclarait récemment un Marc Wilmots plein de rationalisme. Comme si les murs adverses étaient des briques impossibles à écarter. Alors, la Belgique centre. De plus en plus, mais sans jamais créer un décalage préalable pour imposer du mouvement dans le rectangle. Comme si Fellaini et Benteke étaient là.

Dans ce qui ressemble à une succession de phases arrêtées (21 centres en première mi-temps), Lukaku n’apparaît évidemment jamais (aucun tir). Big Rom’ ne touche que quatorze fois le ballon, quatre fois de moins qu’un Courtois au chômage technique. On attendait de la Belgique qu’elle fasse vivre le ballon, mais la sphère passe 45 minutes en maison de retraite alors qu’on voulait la voir sur des montagnes russes.

BIENVENUE EN PREMIER LEAGUE

La tactique disparaît au retour des vestiaires, par la grâce d’Irlandais qui oublient de défendre en nombre. En 30 minutes, la Belgique marque trois fois en n’affichant que 46,5% de possession dans un match qui sent la Premier League, championnat où les attaques se jouent à « peu contre peu », et où les matches sont gagnés par les individus. Un championnat où De Bruyne et Hazard créent des buts, et où Lukaku en marque beaucoup.

L’Eire a la mauvaise idée de croire trop fort en ses phases arrêtées, et met huit hommes autour du ballon sur un coup franc anodin après quelques secondes de deuxième période. Deux duels gagnés et un sprint de Kevin De Bruyne plus tard, la Belgique dit merci. Les Diables réussissent l’absurde exploit de marquer en contre face à une équipe qui devait seulement défendre. Lukaku sprinte vers les bras de Jordan, communion fraternelle retardée de quelques secondes par l’interception quasi rugbystique d’un Wilmots désireux de participer à la fête. Trois ans après Zagreb, deux ans après le Brésil et les States, Romelu marque une nouvelle fois un but à l’indélébile, dans une équipe qui le fait plus souvent passer pour un effaceur.

La Belgique mène enfin, et peut se recroqueviller sur son football. Une défense en nombre et des attaques en solitaire. Witsel saborde deux contres en pensant trop lentement, avant de conclure victorieusement une séquence de 28 passes pas du tout déstabilisatrices jusqu’au centre de Meunier, suffisant pour surprendre une défense irlandaise désarticulée.

VICTOIRE SANS PHARMACIE

Thomas Meunier, encore lui, récupère un ballon à son point de corner pour lancer Eden Hazard vers le dernier coup belge. Eden profite d’un défenseur léthargique pour jouer les Gareth Bale, et dévore la craie avant de rentrer dans le jeu pour servir le 3-0 sur un plateau. Dans cette demi-heure décisive, le numéro 10 est l’homme qui a touché le plus de ballons (25), réussi le plus de dribbles (2) et créé le plus d’occasions (2). Pourtant, sa partition est effacée par la réussite de Lukaku (2 tirs, 2 buts) et la justesse de Witsel (98% de passes latérales réussies) à l’heure de remettre les prix.

La Belgique a soigné son mal de tête italien avec l’ivresse d’une victoire faite de contres et d’individus, parce que les médicaments qui soignent l’absence d’idées offensives mettraient sans doute trop longtemps à faire effet. Marc Wilmots jette son testament à la poubelle, et célèbre cette victoire à la roulette russe face à une Irlande qui s’est tiré une balle dans le pied.

Par Guillaume Gautier

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