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Belgique-France: pleurs bleus (ANALYSE)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la défaite des Diables rouges, en demi-finale du Mondial face aux Bleus (0-1).

Sur la route d’un titre mondial, la demi-finale tient toujours une place à part. La Coupe n’est pas encore au bord du terrain au moment de monter sur la pelouse, mais elle est déjà dans toutes les têtes. Le rêve au bout des doigts incite forcément à la prudence. Chaque ballon semble alourdi par le poids des responsabilités, chaque décision peut avoir des conséquences irréversibles, dans des rencontres qui se jouent presque toujours à un but. Seul le désastre brésilien de 2014 et ce 7-1 infligé par l’Allemagne échappe à une loi en vigueur depuis 1990, qui veut qu’au bout de nonante minutes, il n’y a jamais plus d’un but d’écart au marquoir.

De la demi-finale à l’étoile, des projets footballistiques marquent l’histoire grâce à des détails qui s’enchaînent. Parfois de façon surprenante. En 2010, l’Espagne de la possession infinie avait eu besoin d’un corner et d’une tête de Carlos Puyol au milieu des géants allemands pour s’inviter en finale et légitimer son jeu par un sacre mondial. La Belgique est-elle prête à relever un tel défi ? Seuls Thomas Vermaelen et Vincent Kompany étaient nés quand Diego Maradona a jeté le rêve mexicain des Diables à la poubelle en 1986, et aucun des deux n’avait encore soufflé sa première bougie.

Il ne faut pas oublier qui est la Belgique. Onze millions d’habitants, un football branché sur courant alternatif depuis les années nonante, et des stars qui ont joué trop peu de matches comme celui-ci. Pendant que, dans le camp d’en-face, Raphaël Varane jongle avec les Coupes aux grandes oreilles, les Diables ne sont que trois à avoir joué une finale de Ligue des Champions. L’enthousiasme est belge, après la victoire contre le Brésil, mais le métier est français.

LES FICELLES DE MARTINEZ

Les Bleus connaissent les ficelles, mais c’est Roberto Martinez qui les agite dès le coup d’envoi. Comme face au Brésil, le plan est taillé pour appuyer sur les plaies françaises. Sans le ballon, la Belgique s’articule en 4-2-3-1 classique, avec Nacer Chadli à l’arrière droit et Marouane Fellaini en numéro 10 défensif pour activer la pression sur les milieux français. Une fois la possession récupérée, les déplacements diaboliques dessinent le 3-4-2-1 de toujours. Ou presque. Car aux côtés de Kevin De Bruyne, c’est Marouane Fellaini qui s’installe dans le rôle habituellement occupé par Eden Hazard. Le capitaine, lui, joue dans le registre de Carrasco.

L’idée de Martinez est simple. Très haut à chaque possession belge, Fellaini emmène Paul Pogba à côté de ses défenseurs centraux, qui refusent logiquement de jouer un deux-contre-deux dans leur surface contre Big Mo et Big Rom’. De Bruyne et Dembélé contraignent les Français à surveiller l’axe du jeu, où Blaise Matuidi rejoint N’Golo Kanté pour verrouiller le secteur. Et comme Kylian Mbappé est exonéré des tâches défensives dans le plan bleu, les ailes défensives françaises sont déplumées.

L’écosystème mis en place par Martinez à Saint-Petersbourg est idéal pour qu’Eden Hazard soit le roi de la jungle. Éloigné d’un N’Golo Kanté qui aspire tous les ballons passant dans son secteur depuis le début du tournoi, le capitaine des Diables se retrouve face au jeu, sur le côté, dans un duel systématique et forcément déséquilibré avec Benjamin Pavard. Les offensifs belges les plus actifs de la première demi-heure sont Hazard (23 ballons joués) et Chadli (39), placé dans une situation similaire face à Lucas Hernandez. La Belgique exploite le moindre centimètre de la largeur du terrain pour sortir de la portée du football élastique de Kanté.

LA DEMI-HEURE D’EDEN

Si le frisson inaugural de la soirée parcourt l’échine de Jan Vertonghen, pris de vitesse dès les premières secondes par les jambes de sprinter de Kylian Mbappé, la demi-heure d’entrée est belge. À la 25e minute, quand la France s’installe pour la première fois au point de corner, les Diables ont déjà vu Chadli botter quatre coups de coin. Le territoire est rouge. Eden Hazard, avec trois dribbles réussis et deux tirs en trente minutes, emmène la charge nationale.

De Bruyne allume les mèches, cherchant systématiquement la dynamite de son capitaine. Varane lit bien les idées belges à la 10e minute, mais doit se contenter d’un rôle de spectateur quand, au quart d’heure, une frappe du gauche d’Eden est trop croisée pour tromper Hugo Lloris. Le défenseur du Real est ensuite sur la trajectoire d’une nouvelle frappe d’Hazard. On ne joue pas encore depuis vingt minutes, et la France est en souffrance. Toby Alderweireld, d’une improbable frappe du gauche dégainée au bout d’un corner dévié par Fellaini, oblige Lloris à s’envoler pour geler le marquoir.

La France cherche ses idées. Mbappé est introuvable en profondeur, ou se heurte à Courtois quand Pogba allonge ses passes. Griezmann, lui, est introuvable tout court, perdu derrière la ligne de pression belge, qui affiche les limites du plan français au moment de ressortir le ballon. Juste avant la demi-heure, Samuel Umtiti doit apparaître en catastrophe pour couper la trajectoire d’un centre empoisonné de Kevin De Bruyne. Le premier round est belge. Comme face au Brésil. Mais là où le plan initial contre les hommes de Tite avait été validé par un 2-0 flatteur, celui face aux Bleus n’a pas trouvé la cible.

LA RÉPONSE DE GRIEZMANN

Plutôt que Didier Deschamps, c’est Antoine Griezmann qui répond à Roberto Martinez. Le numéro 7 des Bleus réagit comme un coach, exauçant les paroles que Diego Simeone a récemment prononcées à son égard : « J’ai toujours dit qu’Antoine faisait partie des joueurs qui comprennent le mieux où et comment se déplacer. Tu peux le placer à un endroit de ton schéma tactique, mais il finira par résoudre de la meilleure des manières toutes les situations difficiles qu’il observe dans une autre zone. »

Pour aider sa patrie asphyxiée, Griezmann se rapproche du ballon. C’est comme si l’intensité de la rencontre ne lui empêchait pas de la voir avec l’oeil d’un rapace qui survolerait le stade, sachant exactement où se placer pour fondre sur sa proie. Pendant les trente premières minutes, Grizzy n’entre que neuf fois en contact avec le ballon. Sur le terrain, seul Lukaku (4) fait moins bien. Une fois rapproché du jeu bleu, le Colchonero fait exploser ses stats en quinze minutes pour devenir l’homme le plus présent du camp français : 17 ballons joués, 11 passes réussies, 1 dribble et 4 tirs au but.

Puisque les pieds de Griezmann sont moins influents que son cerveau, la plus belle occasion du temps fort français (8 tirs à 0 dans ce dernier quart d’heure) part des pieds de Mbappé. Au coin du rectangle, le petit prodige de l’Hexagone trouve Benjamin Pavard, dont le tir croisé se heurte au talent de Thibaut Courtois. Le vestiaire approche, et aurait pu connaître une atmosphère différente si Lukaku n’avait pas été surpris par ce dernier centre de Chadli, légèrement dévié par un Umtiti approximatif.

UMTITI ET LE FAUTEUIL BLEU

Au retour sur le terrain, la Belgique semble avoir repris la main. Le pressing de Kevin De Bruyne fait paniquer la défense française, Umtiti doit encore une fois activer le plan catastrophe, et Romelu Lukaku gagne même un duel aérien face à Raphaël Varane. Tout semble bien reparti, jusqu’à un corner forcé par Olivier Giroud et planté au fond des filets par Samuel Umtiti, libéré au premier poteau par un appel de Paul Pogba qui aspire Witsel, gardien de la zone, dans son sillage. Le match bascule, inévitablement. Car cette équipe de France est, avec l’Uruguay, sans doute celle qui est la mieux taillée pour défendre un avantage de 1-0 pendant cet été russe. La France défend avec le confort d’un homme affalé dans son canapé.

Le ballon est plus belge que jamais (68% de possession après le but), parce que les Français n’en veulent plus. Avec quatre tacles tentés entre la 51e et la dernière minute, Griezmann adapte encore son registre pour plaire à son équipe. Chacune de ses prises de balle est menée avec intelligence, souvent presque en marchant, pour faire baisser progressivement le pouls d’une rencontre qu’il veut voir mourir sur ce score. Mbappé, lui, imagine bien le marquoir s’alourdir. Sa talonnade de génie offre une occasion de but à Giroud, repris in extremis par Dembélé.

Inquiété par le rythme cardiaque qu’il observe sur la pelouse, Roberto Martinez tente d’insuffler aux siens une décharge d’adrénaline. Il sort Mousa Dembélé, capital dans l’exécution du plan de jeu initial mais de plus en plus maladroit et léthargique dans celle de ses gestes techniques. Place à Dries Mertens, posé près de la ligne de touche côté droit pour prendre le meilleur sur Lucas Hernandez et chercher les fronts belges dans la surface.

Une minute suffit au Napolitain pour décocher un bon centre, repoussé par le front de Varane dans la course de KDB, qui croque sa reprise. Une grosse poignée de secondes plus tard, c’est Fellaini qui répond au ballon déposé dans les airs par Driesje, mais la reprise de Marouane effleure le mauvais côté du poteau de Lloris. Le plan s’essouffle rapidement, parce que Paul Pogba, Samuel Umtiti et surtout Raphaël Varane (auteur de 4 des 12 dégagements français après le but) font la loi dans la zone de vérité.

LE MÉTIER BLEU

La Belgique imagine une apparition de Michy Batshuayi pour se sortir de l’ornière, mais que peut faire le roi des seize mètres dans une rencontre où, lors de 40 dernières minutes de domination territoriale sans partage, les Diables ne touchent que neuf ballons dans la surface bleue ? Conscient que la France a pris le contrôle des airs, Roberto Martinez se passe donc des services de Fellaini pour installer Yannick Carrasco sur son côté gauche, et confier l’axe à Eden Hazard.

Dans un grand soir (10 dribbles réussis), Hazard multiplie les slaloms à travers la défense tricolore, provoque des fautes et ouvre des brèches. C’est de ses pieds que partent les deux meilleures opportunités du sprint final diabolique. D’abord, quand il permet à Axel Witsel d’envoyer un tir puissant depuis l’entrée du rectangle. Ensuite, lorsqu’il offre à De Bruyne un coup franc qui manque d’échouer dans les pieds de Lukaku après être passé de N’Zonzi à Varane. Héroïque, comme depuis le début du tournoi, le capitaine échoue systématiquement sur les dernières briques du mur bleu, taillé dans la culture italienne de Didier Deschamps et dans les habitudes madrilènes d’Antoine Griezmann, Lucas Hernandez et Raphaël Varane.

De plus en plus axiale, car toujours aussi amoureuse des pieds d’Hazard, la Belgique vit désormais dans la zone de N’Golo Kanté. Les ballons volés par la sangsue bleue offrent les meilleures opportunités des arrêts de jeu à Griezmann et Tolisso, tous deux privés d’un but par les gants et le talent gigantesques de Courtois. Sevrée de ces occasions qu’elle générait si facilement depuis le début du tournoi, de cette réussite qu’elle avait connue contre le Brésil, la Belgique regarde la finale de la Coupe du monde s’échapper au rythme des ballons gelés par Pogba, Griezmann et Mbappé.

La fin de l’histoire est forcément frustrante. Une question de petits détails au milieu d’un grand événement. Pourtant, la Belgique s’est révélée au coeur de l’été, elle que d’aucuns pensaient condamnée à une élimination sans gloire en quarts de finale, au plus tard. Présents dans le dernier carré d’un Mondial pour la deuxième fois de leur histoire, les Diables rouges ont touché leur rêve du bout des doigts. Et pourtant, au bout de la première demi-heure, il n’a plus jamais vraiment semblé à portée de main. Parce que quand Hugo Lloris, Raphaël Varane, Paul Pogba, N’Golo Kanté, Antoine Griezmann et Kylian Mbappé s’associent pour gagner un match de football, même les Avengers prennent un coup de vieux.

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