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Belgique – Écosse: au-delà du mur

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face à l’Écosse (3-0).

Au beau milieu d’une semaine qui sent déjà les crampons rangés au fond du sac jusqu’au début de la saison prochaine, Roberto Martinez est méfiant. Il est peut-être le seul. Qu’est-ce qui pourrait bien arriver à ses Diables, vainqueurs face au Kazakhstan avec une autorité teintée d’insolence ? Que craindre de cette Écosse, incapable de croiser la route d’un grand tournoi depuis ses aventures françaises de l’été 1998 ?

S’il cite forcément les noms du récent champion d’Europe Andy Robertson ou du sprinter-passeur de Bournemouth Ryan Fraser, le sélectionneur s’inquiète surtout de l’homme qui se tient debout à quelques mètres de lui. Steve Clarke n’est pas un inconnu pour les chevronnés de la Premier League. L’ancien manager de West Bromwich Albion, mentor des premiers buts anglais de Romelu Lukaku, est un disciple talentueux de José Mourinho. Et qui de mieux qu’un fils spirituel du Special One pour faire déjouer l’une des machines offensives les mieux rôdées du continent ?

Trois jours après le 5-4-1 des Kazakhs, dressé sans autre ambition que celle d’encaisser le moins possible, le plan écossais se dessine dans un 4-4-2 très compact, animé par des joueurs de devoir à l’image de ces ailiers encouragés à poursuivre sans trêve les chevauchées de Thomas Meunier et de Thorgan Hazard dans les couloirs. Clarke fait de la géométrie : plus de corps et plus de centimètres dans la surface empêcheront forcément les Belges d’y trouver de l’espace, au sol comme dans les airs. Forcément, à la tête du pays dont la frontière a été marquée par la longue étendue de briques commandée par l’empereur Hadrien, le sélectionneur écossais dresse un mur pour protéger son territoire.

DE BRUYNE DANS LE TRIANGLE

Roberto Martinez a anticipé. Conscient que le scénario serait celui d’un match qui se joue essentiellement sur un tiers de terrain, le sélectionneur avance Kevin De Bruyne d’un cran sur l’échiquier. Parce que dans le 3-4-2-1, ce sont toujours les hommes derrière l’attaquant qui écrivent l’histoire de la rencontre, Martinez y place ses deux meilleurs auteurs. Associé à Eden Hazard, KDB doit inventer de l’oxygène dans une cage écossaise où chaque contrôle semble devoir se faire en apnée.

La domination territoriale est telle que, plus qu’un Youri Tielemans trop enfermé pour être déterminant, c’est Vincent Kompany qui reprend le rôle dévolu à De Bruyne face au Kazakhstan. Le Prince cherche ses rois entre les lignes, et les jambes écossaises se multiplient pour lire dans les pas de danse d’Eden Hazard. Le capitaine cherche de l’oxygène sur les flancs, dépose une première balle dans le barillet de KDB, mais il reste toujours un pied, une jambe ou un gant pour empêcher les Belges d’ouvrir le score.

« Ce sera important de bien défendre, mais il faudra aussi faire comprendre à l’adversaire que tu peux lui faire mal », avait insisté Steve Clarke avant la rencontre. Au prix de deux longues chevauchées, les visiteurs tiennent Thibaut Courtois en alerte, mais ne parviennent jamais à faire planer le doute qu’avaient installé les Grecs sur le Heysel sur la route du Mondial russe. Est-ce parce qu’ils sont beaucoup moins forts, ou parce que cette Belgique presse mieux que jamais ? Éduqué par les fautes tactiques répétées de Fernandinho sous les ordres de Pep Guardiola, De Bruyne prend son carton jaune, en bon Citizen qui avorte l’embryon d’une contre-attaque à 80 mètres des gants de Courtois.

L’ÉCOSSE SUR LES REMPARTS

Puisque l’Écosse ne parvient plus à s’échapper, le match tourne autour de la surface britannique comme une sentinelle juchée sur des remparts. L’assaut est méticuleux, mais il manque souvent une once de réflexion au bout des percées puissantes de Thorgan, ou un soupçon de justesse dans les pieds de Romelu Lukaku qui transforme involontairement une Madjer en double contact. Le mur écossais plie, mais la vigilance de ses gardes évite l’invasion des filets.

Ni les crochets d’Hazard, ni le lob téléscopique de KDB ne font sauter le verrou, qui tient bon jusqu’aux derniers soupirs de la première période. Est-ce qu’ils jettent un oeil sur ce chronomètre qui tourne en leur faveur ? Ou est-ce qu’ils s’accordent le temps d’un soupir de répit quand, soulagés, ils voient que Thorgan Hazard ne s’effondre pas au bout d’un slalom chahuté dans la surface ? Toujours est-il que les défenseurs écossais laissent filer un ballon que tout le monde voir sortir.

Tout le monde, sauf Eden Hazard. Le capitaine débarque au secours des siens en bloquant le ballon sous sa semelle, avant d’envoyer un swing au-dessus de la défense, comme si Tiger Woods avait troqué le club et le polo contre les crampons. À l’américaine, Romelu décolle et dunke le ballon au fond des filets. Coup de tête pour les Belges, coup sur la tête pour les Écossais. 1-0, vestiaires.

L’ÉQUILIBRE DE MARTINEZ

La révolution scottish n’a même pas le temps de s’organiser. Clarke poursuit l’aventure en 4-4-2, et les Belges s’inventent d’autres routes vers l’espace. La logique est limpide : on peut lire beaucoup de trajectoires, mais sur celle d’un rebond (ce qu’on a coutume d’appeler un deuxième ballon, « alors qu’il n’y en a jamais deux », soulignait toujours Albert Stuivenberg lors de son passage à Genk), l’attaquant aura toujours l’avantage de ne pas devoir lire l’avenir dans un rétroviseur.

Au bout d’une frappe puissante d’un Kevin De Bruyne désireux de laisser une trace au marquoir pour couronner sa prestation à un poste plus offensif, Lukaku est au rebond pour approfondir son empreinte dans l’histoire. Ses buts en équipe nationale sont désormais au nombre de 48. 25 sur les 23 derniers matches. La froide rigueur d’un comptable pour rentabiliser les inventions d’un duo d’artistes. Encore une belle inspiration pour la start-up nation.

Pendant que Thibaut Courtois sort les tentacules pour s’assurer une quatorzième clean-sheet en 25 sorties officielles sous l’ère Martinez, Dries Mertens sort du banc pour une montée au jeu évidemment électrique et étonnamment précise. Dynamiteur altruiste, il dépose le ballon dans les pieds d’un De Bruyne qui aura attendu de reculer sur l’échiquier pour sauter vers le marquoir. La frappe est claquée dans le coin, pure, violente et intouchable comme un coup droit de Rafael Nadal.

Tout juste montés au jeu, Thomas Vermaelen et Yannick Carrasco ont à peine l’occasion de se mêler à la dernière fête nationale de la saison. La puissance diabolique ne se partage visiblement pas, dans ces soirs où le sélectionneur semble toujours trop pointilleux pour dévaloriser l’enjeu. Une approche soutenue par des chiffres qui donnent le tournis : 25 matches officiels, 22 victoires, 79 buts marqués, 19 buts encaissés et 14 clean-sheets. Et puis, surtout, cette impression nouvelle, née après le naufrage en Suisse : avant, il semblait presque impossible de finir un match contre les Belges sans concéder un but. Aujourd’hui, c’est surtout le fait de pouvoir entrer balle au pied dans la surface de Thibaut Courtois qui ressemble à un miracle. Le seul but encaissé de la campagne était un cadeau offert aux Russes. Le funambule diabolique aurait-il trouvé son équilibre ?

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