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Angleterre-Écosse: retour sur l’histoire du premier des derbys

C’est le plus ancien derby et il a longtemps été le plus intense. Les deux voisins, l’Angleterre et l’Écosse, se retrouvent pour la deuxième fois à l’EURO.

John Hartson, l’ancien attaquant du pays de Galles et du Celtic, où il a joué avec Joos Valgaeren, ne pouvait contenir son excitation il y a quelques semaines: « En Écosse, on ne parle que d’une chose depuis six mois: le match contre l’Angleterre. Ça va être exciting. »

Les Écossais se sont qualifiés via les barrages, au terme des tirs au but face à la Serbie. Et cette qualification tant attendue s’est accompagnée d’une grande nouvelle: un nouveau duel contre l’Angleterre au premier tour. « Rien n’est acquis », estime Hartson. « Sur papier, le match n’est pas équilibré, mais qui sait… La dernière fois, l’Écosse s’est imposée à Wembley. Tout est possible. »

Hartson n’a pas tout à fait raison. L’Écosse a été lourdement défaite par l’Angleterre la dernière fois qu’elle a joué à Wembley: 3-0, des buts de Adam Lallana, Daniel Sturridge et Gary Cahill. C’était en 2016, dans un match de qualification pour le Mondial russe. En juin 2017, à Hampden Park, les deux équipes n’avaient pu se départager (2-2).

La victoire à laquelle fait référence Hartson remonte à 1999, en barrages pour l’EURO 2000. Don Hutchison, Budweiser pour les intimes, avait inscrit l’unique but de la partie. Né en Angleterre, il y a toujours joué, mais comme son père, un mineur, était écossais, il s’est produit pour l’Écosse. Heureusement pour Kevin Keegan, le sélectionneur des Three Lions, l’Angleterre avait remporté le match aller 0-2 et leur succès n’a rien apporté aux Écossais. Six mois plus tard, Keegan n’a pas réussi à franchir la phase de poules, alors que son mandat arrivait à son terme. L’Écosse et Hutchinson avaient semé les premiers doutes à Wembley.

Sur papier, le match n’est pas équilibré, mais qui sait… »

John Hartson

Le plus vieux derby

Angleterre-Écosse est le plus ancien derby au monde. Le premier match officiel entre eux s’est déroulé en novembre 1872. Il y aura 150 ans l’année prochaine! À Partick, Glasgow, sur le terrain d’un club de cricket. Score final: 0-0. Lors des premiers affrontements, l’Écosse l’emportait le plus souvent. Quand la balance a penché en faveur de l’Angleterre, l’Écosse a modifié sa politique de sélection. Pendant des années, elle avait renoncé aux footballeurs qui se produisaient en Angleterre. Elle les a accueillis à bras ouverts à partir de 1894.

Les préludes du Mondial 1950 ont fait couler beaucoup d’encre aussi. Le groupe 1 des qualifications était composé des Home Nations, les nations fondatrices du football: l’Angleterre, l’Écosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord, toutes membres de la Grande-Bretagne, mais indépendantes en football. L’Angleterre a remporté ce mini-tournoi. Deuxième, l’Écosse était également qualifiée, mais a déclaré forfait pour le Mondial, vexée de ne pas avoir terminé première, du moins est-ce la version officielle. La Turquie et l’Inde ont fait de même, de sorte que le tournoi final n’a réuni que treize nations.

Sir Alf Ramsey, le sélectionneur de l’Angleterre en 1966, a fait une remarque percutante lors d’un match de préparation à Hampden Park, avant le Mondial.  » Welcome to Scotland, sir », s’est gentiment exclamé un journaliste à son arrivée.  » You must be fuckin’ jokin' », a riposté Ramsey. L’Angleterre s’est imposée 3-4 devant plus de 123.000 (! ) spectateurs. Ce n’est pas un record. En 1937, pour un autre match amical entre les deux nations, 149.000 personnes étaient massées dans le stade. Vendredi, il n’y aura que 22.500 élus.

Disgraceful

Il faut remonter au 15 juin 1996 et à l’EURO de cet été-là pour trouver trace d’un des derbies les plus passionnants. Soit trente ans après le Mondial de Ramsey. C’était un fol été footballistique. Très chaud, pour commencer. Les Croates avaient fait impression, les Tchèques avaient surpris et l’Angleterre accueillait la compétition. Il fallait faire oublier Thirty years of hurt, mais le Football was coming home (écoutez la chanson reprise par des milliers de gorges à l’époque, ça en vaut la peine) dans des conditions difficiles. À en croire les tabloïds, l’Angleterre était une proie facile. L’acidité des questions posées durant les conférences de presse était stupéfiante.

Les munitions ne manquaient pas. Déjà avant le tournoi. Pour assurer la quiétude de ses troupes, le sélectionneur Terry Venables avait organisé un stage à… Hong Kong. Loin de tout. Ses footballeurs avaient eu droit à une soirée de liberté. Ils s’étaient retrouvé dans une discothèque et la situation avait dégénéré. L’alcool avait coulé à flots et les t-shirts étaient tombés. Les figures centrales: Paul Gascoigne et Robbie Fowler, mais d’autres internationaux s’étaient bien amusés aussi. Il y avait une chaise de dentiste dans le bar. Gazza s’y était installé. « J’avais besoin d’un plombage », avait-il rigolé ensuite. Le plombage en question, c’était de l’alcool.

Disgraceful avait titré The Sun. Les tabloïds avaient publié des photos de la fête et réclamé l’exclusion de Gascoigne. Venables, qui avait entraîné Gascoigne à Tottenham et en avait obtenu un rendement élevé, était resté sourd à ces revendications. Le vol retour avait été agité aussi, comme allait le reconnaître Gazza dans sa biographie, plus tard. Quand Paul Ince était allé boire un verre avec le chanteur Rod Stewart, supporter notoire de l’Écosse, quatre photographes avaient bondi. Et Ince s’était retrouvé en une des journaux, une bière à la main. Voilà pour l’ambiance. Un match nul contre la Suisse lors de la première journée avait ensuite fait monter la pression avant la deuxième rencontre, contre l’Écosse.

Gazza time

Samedi 15 juin, une belle et chaude journée. Des heures avant le coup d’envoi, le pont reliant la station de métro à l’ancien Wembley était déjà comble. La plupart des supporters fraternisaient, les Écossais étaient tous en kilt. Beaucoup de musique, de joie. C’était une journée exceptionnelle pour les joueurs aussi: leurs adversaires du jour étaient également leurs coéquipiers. Alan Shearer, en proie au doute en début de tournoi parce qu’il marquait moins facilement pour l’Angleterre que pour Blackburn, affrontait son coéquipier Colin Hendry. Les offensifs de Tottenham, Darren Anderton et Teddy Sheringham, devaient être marqués par leur coéquipier Colin Calderwood. Et Gascoigne, qui se produisait pour les Rangers, retrouvait Stuart McCall, Gordon Durie et le gardien Andy Goram. C’était un duel fratricide. Les tabloïds s’en étaient donnés à coeur joie, des deux côtés. Un an plus tôt, le film Braveheart de Mel Gibson était sorti en cinéma et toutes les variations possibles du thème avaient fait la une.

À la 53e, Shearer a ouvert la marque, mais les Anglais étaient de plus en plus fébriles et à un quart d’heure du terme, Tony Adams a commis une faute dans le rectangle. À la grande satisfaction des Anglais, David Seaman a paré le tir de Gary McAllister. Le Gazza time pouvait commencer: Sheringham a transmis un dégagement de Seaman à Anderton, qui a servi Gascoigne en profondeur. Du gauche, celui-ci a expédié le ballon par-dessus la tête d’Hendry et l’a envoyé dans les filets du droit. Un des plus beaux buts de l’histoire de l’EURO, après celui de Marco van Basten lors de la finale 1988.

La suite? Une revanche. Revanche sur les tabloïds: Gazza s’est couché sur le dos pour un remake de la scène de la chaise de dentiste, cette fois avec des coéquipiers qui lui vidaient une gourde dans la bouche. Plus tard, plusieurs joueurs ont reconnu que ça avait été mis au point avant. Les Écossais installés devant nous l’ont immédiatement compris: « Regarde, Gazza rejoue la chaise du dentiste », avait glissé un gamin à son père. Le lendemain, le Daily Mirror titrait en une:  » Mr Paul Gascoigne. Nos excuses. »

L’Angleterre a poursuivi le tournoi sur cet élan. Elle a balayé les Pays-Bas (4-1) et les tabloïds ont changé de ton, soutenant massivement leur équipe. En dépassant les bornes une dernière fois, en faisant allusion à la Seconde Guerre mondiale avant les demi-finales contre l’Allemagne. Vous connaissez la suite: une séance de tirs au but et l’élimination anglaise.

Le but de Gascoigne, l’apogée de sa carrière, a eu une suite pour l’intéressé. De retour aux Rangers, il n’a cessé de se moquer de ses coéquipiers écossais, a-t-il confié à Alan Shearer, qui revenait sur le tournoi pour le compte de The Athletic. Il a fait des copies de la photo le montrant en train de fêter son but et les a placardées partout dans le vestiaire. Jour après jour. Au bout d’un moment, Andy Goram s’est fâché: « Fais-le encore une fois et je te mets K.O. » Gazza n’a pas manqué de répartie: « Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je suis allé dans la réserve de matériel, j’ai pris un ballon et une brosse et j’ai fait passer le cuir au-dessus de la brosse, comme si c’était Hendry, avant d’expédier le ballon au-dessus de la tête de Goram. Je lui ai dit: C’est comme ça qu’on fait. Puis je suis parti. »

Andy Robertson
Andy Robertson© GETTY
Au moment de claquer un superbe but contre l'Écosse à l'EURO 96, l'Anglais Paul Gascoigne jouait... aux Rangers!
Au moment de claquer un superbe but contre l’Écosse à l’EURO 96, l’Anglais Paul Gascoigne jouait… aux Rangers!© belgaimage
Le 15 avril 1967, l'Écossais Denis Law (maillot sombre) marque contre l'Angleterre sur la pelouse de Wembley.
Le 15 avril 1967, l’Écossais Denis Law (maillot sombre) marque contre l’Angleterre sur la pelouse de Wembley.© belgaimage

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