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Alors que Benzema brille au Real, le sélectionneur national le boude toujours

Majestueux à Madrid, Karim Benzema continue d’être boudé par Didier Deschamps en équipe de France. Retour sur une disgrâce qui n’a que trop duré…

Peut-être qu’un obscur match amical contre l’Arménie (4-0) à l’Allianz Riviera de Nice, le 8 octobre 2015, constituera la dernière sélection en Bleu de Karim Benzema (29 ans), un des meilleurs attaquants de l’histoire de l’équipe de France. Sa pénitence a débuté dès le mois suivant, en vertu du principe de précaution, suite à l’affaire du chantage à la sex-tape concernant son équipier en sélection Mathieu Valbuena. Peu après, le centre-avant du Real Madrid est entendu, dans le cadre d’une garde à vue, par une juge de Versailles avant d’être mis en examen pour « complicité de tentative de chantage et participation à une bande de malfaiteurs ».

Un contrôle judiciaire lui interdit également de rencontrer Valbuena jusqu’à nouvel ordre. Benzema est soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire, au profit notamment de son ami d’enfance Karim Zenati – pour soutirer de l’argent à son coéquipier, en échange de la destruction d’une vidéo intime mettant en scène le milieu de terrain de l’Olympique lyonnais.

« C’est complètement dingue qu’on en soit arrivé là aujourd’hui. Karim voulait aider Mathieu, rien de plus. Comme il avait un pote qui connaissait les gars qui avaient la sex-tape, il lui a conseillé de payer. D’un coup, tout s’est retourné contre lui et le prix à payer, son bannissement en sélection est disproportionné », confie un joueur de l’équipe de France, proche du natif de Bron.

« Je vais t’arranger la sauce »

Début décembre 2015, Europe 1 et L’Equipe publient le contenu d’écoutes téléphoniques entre Benzema et Zenati, deux enfants de la banlieue lyonnaise qui se connaissent depuis leur prime jeunesse. Selon les codes de la cité, le joueur fait le malin auprès de son aîné, condamné par ailleurs par la justice pour braquage et go-fast, et lui rapporte, à sa façon, la conversation avec Valbuena à Clairefontaine.

« Je lui ai dit : ‘Moi je vais t’arranger la sauce. Faut que tu vas voir le mec (sic). Il va venir. Il va te parler. Je te donne ma parole que y a pas d’autre copie.' » Ou encore : « Moi, mon but, il s’arrête là. Maintenant, mon ami, il prend la relève, c’est lui qui connaît la personne qui a ta vidéo, moi, je la connais pas. Maintenant, tu veux régler tes histoires, donne ton numéro, je lui donne et tu vois avec lui. »

Ces conversations, inscrites dans le marbre d’un procès-verbal, vont avoir un effet désastreux. Elles ne tiennent pas compte du contexte, de qui parle à qui et de la relation tutélaire qui lie les deux Karim. Peu après, Manuel Valls, Premier ministre du gouvernement Hollande, dont cinq ministres ont été démissionnés pour « blanchiment de fraude fiscale », « favoritisme dans l’attribution de marchés publics » ou soupçons d’emplois fictifs, enfonce le clou :

« Quand on porte le maillot bleu et les couleurs de la France, on assume des responsabilités et on se doit d’être exemplaire. »

« Défendre l’indéfendable »

Début 2016, Karim Benzema fait le gros dos en attendant que ça se passe. Sur Twitter, il assure même qu’il « respecte la décision (de la Fédération ne pas le retenir) et [qu’il a] confiance en Noël Le Graët. » Le président de l’institution française le défend même bec et ongles. Sur la Chaîne l’Equipe, en janvier, après avoir reconnu « de l’affection » pour le joueur, il monte au créneau :

« Il faut dire quoi ? ‘A mort l’Arabe ? ‘ Qu’est-ce que c’est que tous ces gens qui m’écrivent pour me dire ‘Benzema dehors’ ? J’ai toujours été assez proche de lui parce que je connais un peu ses difficultés d’enfance. Peut-être que j’ai ce côté-là, défendre un peu l’indéfendable. »

A Madrid, il bénéficie également du soutien indéfectible d’un de ses proches puisque Zinédine Zidane remplace Rafa Benitez à la tête des merengues. Cent quarante-cinq jours plus tard, les deux remportent la Champions’, la onzième du Real, la deuxième pour Karim.

L’Euro approche à grands pas mais le dossier judiciaire n’avance pas d’un iota malgré l’embauche d’un maître du barreau français, Eric Dupont-Moretti. Mi-mars, le quotidien Libération publie une enquête ouverte par le pôle financier du parquet de Paris pour « blanchiment en bande organisée » et « blanchiment de trafic de stupéfiants » autour d’une société BH Event’s, dont Karim Benzema est le principal actionnaire. Du coup, dans l’imaginaire collectif français, son nom est encore sali.

« Benzema, moralement pas un exemple »

« Les conditions ne sont pas réunies pour que Karim Benzema revienne en équipe de France », réagit le Premier ministre, en ajoutant que la décision finale revient au président de la FFF et au sélectionneur. A la même époque, François Hollande donne des interviews à deux journalistes du Monde pour un livre destiné à être fameux : Un président ne devrait pas dire ça.

Dans l’ouvrage, qui paraît en septembre, il assure, comme son bras droit, que : « Moralement, ce n’est pas un exemple, Benzema. » En ce début de printemps, les jeux sont faits. L’enquête publiée par Libération en constitue le coup de grâce. Même si Le Graët tente de convaincre son comité exécutif du bien-fondé de la présence de Benzema à l’Euro, Didier Deschamps tranche dans le vif.

Un quart de finale potentiel contre l’Angleterre et ses redoutables tabloïds n’arrange rien à l’affaire. Ce sera non. Le Graët s’incline. « C’est tragiquement injuste. Dans l’histoire de BH Event’s, si son nom n’était pas sorti, cette affaire n’aurait pas fait une ligne dans les journaux. Dans ce cas-là, c’est une victime… », promet son coéquipier anonyme en Bleu.

« Une cause nationale »

Le long chemin de croix que traverse Karim Benzema depuis son éviction à l’automne 2015 contraste avec l’époque dorée qu’il vit en club. En mai, il est redevenu champion d’Espagne un an après la victoire en C1 contre l’Atletico. Au Real, il n’a jamais été aussi fort. De ce côté-ci des Pyrénées, son sort ressemble à une malédiction sans fin. Longtemps, il a pu espérer que Didier Deschamps l’emmène à l’Euro.

Il y a comme un décalage entre Karim Benzema et Didier Deschamps.
Il y a comme un décalage entre Karim Benzema et Didier Deschamps.© AFP

« Dans la liste élargie des Bleus, on trouvait des gars comme Hatem Ben Arfa ou André-Pierre Gignac, qui avaient eu maille à partir avec le sélectionneur. Cela n’a pas empêché Deschamps de les retenir. Karim partait de plus loin. Son cas est devenu une cause nationale », pense savoir Jérémie Bréchet, qui a croisé la trajectoire de ‘Benz’ au moment de sa formation à Lyon.

Bien avant sa mise à l’écart, décidée en avril 2016, le service marketing de la Fédération française a anticipé l’éviction du numéro neuf madrilène. Fin mai, Eric Cantona, autre paria de la sélection nationale des années 90 et adversaire déclaré de Deschamps depuis leurs années communes à Marseille et chez les Bleus, s’invite dans le débat en donnant une interview, en roue libre, au Guardian.

Il y évoque « le nom bien français » du sélectionneur et laisse entendre que les mises à l’écart de Benzema et de Ben Arfa (non repris dans la liste finale) pouvaient répondre à des considérations racistes.

« Raciste »

Quelques jours plus tard, le joueur madrilène affirme sa rancoeur dans Marca où il soupçonne Deschamps « d’avoir cédé à la pression d’une partie raciste de la France. » La semaine suivante, la résidence secondaire de l’ancien T1 de la Juventus et de Marseille est taguée : « Raciste ». Dans son esprit, une ligne rouge vient d’être franchie. Il porte plainte en diffamation contre Cantona.

Dans un pays où le Front national vient de recueillir près de 28 % des suffrages aux élections Régionales en décembre 2015, et où sa représentante Marine Le Pen sera présente au second tour de la Présidentielle seize mois plus tard, il n’est pas vain de s’interroger sur ce qui fonde la décision de Deschamps.

« Il ne faut pas oublier le contexte politico-sécuritaire précédant l’Euro », poursuit un des membres de la Direction technique nationale. Un an et demi après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher et sept mois après les attaques du 13 novembre, il était vital que l’Euro soit un moment de concorde nationale. Ça a forcément joué contre Karim. »

Même s’il est présumé innocent, son cas ne pèse pas lourd devant la raison d’Etat. Finalement, le seul politique à s’être mouillé en faveur de l’attaquant français est Benoît Hamon, le candidat…socialiste à la Présidentielle française. « Il y a en France un climat raciste qui existe et qui est fort. Pour certains, Benzema était l’archétype du jeune joueur issu de la banlieue, non respectueux de la République. C’est révélateur des failles de la société française et de sa mauvaise conscience vis-à-vis de la jeunesse des quartiers », dit-il, début 2017.

« Une forme de haine qui vient de ses origines »

La vie des sélections est sujette à d’innombrables rumeurs, lunaires ou avérées, et la France n’échappe pas à la règle. Une de celles-ci concerne une réunion qui aurait eu lieu la veille de la finale de l’Euro entre Didier Deschamps et une délégation de joueurs emmenée par Hugo Lloris. L’objet de ce conclave concerne le retour de ‘Benz’ après l’Euro. Certains joueurs y sont hostiles et le font savoir au sélectionneur.

D’autres comme Paul Pogba, l’intermittent du spectacle le mieux payé au monde, savent qu’ils prennent moins bien la lumière dès lors que le natif de Bron est dans la place. Deschamps leur ressert une phrase déjà utilisée pendant la compétition : « En écartant Benzema, j’ai fait grandir Antoine Griezmann. »

Si son parcours en club est une montée en puissance rectiligne, sa trajectoire en Bleu a toujours été empreinte de soubresauts. De l’affaire Zahia (où il bénéficie d’un non-lieu) au fait qu’il ne chante pas la Marseillaise (comme tant d’autres), de son absence insensée lors de la Coupe du monde 2010 à sa longue abstinence de buts en sélection (222 minutes sans marquer au début du mandat de Deschamps), rien ne lui sera épargné.

En novembre 2013, on lui reproche même d’avoir craché par terre après la minute de silence dédiée aux victimes du 13 novembre 2015 au Bernabeu. « Il y a une forme de haine qui vient de ses origines », soutient Karim Djaziri, son agent et ami d’enfance peu après au micro de RMC. « J’ai entendu dire qu’il n’aime pas la France. On ne joue pas 81 fois pour l’équipe de France si on n’aime pas la France. Il a dû faire un choix difficile entre l’Algérie, la patrie de ses parents et son pays de naissance. Il l’a fait fièrement, 81 fois. Je ne peux pas accepter qu’on le remette sans cesse en cause. Il est beau, jeune, footballeur, riche, d’origine maghrébine et musulman. Ça cristallise des sentiments contradictoires qui attisent cette forme de haine. »

PAR RICO RIZZITELLI

« Qu’on me dise les choses en face »

Le long chemin de croix que traverse Karim Benzema depuis son éviction chez les Bleus, à l'automne 2015, contraste avec l'époque dorée qu'il vit au Real Madrid.
Le long chemin de croix que traverse Karim Benzema depuis son éviction chez les Bleus, à l’automne 2015, contraste avec l’époque dorée qu’il vit au Real Madrid.© BELGAIMAGE

Alors que Karim Benzema brille de mille feux au Real (avec 51 buts, il est devenu le 5e meilleur buteur de la C1 et le 1er Français devant Thierry Henry), la vie de la sélection se poursuit sans lui. Comme rien n’est jamais simple pour lui, Olivier Giroud, Kevin Gameiro et bientôt Alexandre Lacazette se font une place au soleil.

« Ça ne peut pas être une question de niveau », analyse Jérémie Bréchet. « Rayon football, c’est un des meilleurs joueurs du monde, qui s’est fait une place incontestée dans la meilleure équipe du monde. Hors du terrain, il est réservé et n’a jamais fait de vagues nulle part. Son absence est un non-sens. »

Son avocat, Éric Dupond-Moretti, se place, lui, sur un autre terrain : « Je ne comprends toujours pas pourquoi il n’est pas en équipe de France. En tout cas, c’est pour de mauvaises raisons. Il paie un prix très, très lourd. » Au début de cette année, Antoine Griezmann et Laurent Koscielny ont grillé la loi du silence qui règne chez les Bleus pour dire qu’ils aimeraient revoir le merengue dans l’équipe nationale.

Avant sa réélection à la tête de l’institution fédérale, Noël Le Graët a même glissé fin février que « s’il continue à bien jouer (sic), il reviendra en équipe de France », mais rien fait.

Il y a quelques jours, Didier Deschamps a communiqué une liste de 26 joueurs pour les trois matchs de juin. Pas de Benzema. « J’ai un groupe où il y a un équilibre, une harmonie. Une vraie dynamique s’est créée dans cette équipe. Je suis l’unique décideur et j’ai toujours considéré que le collectif était au-dessus de tout », a-t-il déclaré au moment de l’annonce.

Bien conseillé, le Madrilène a donné deux interviews cette année, l’une à RMC – lors de la trêve internationale de mars, et l’autre à L’Equipe, la veille de la conférence de presse de Deschamps. Dans la première, il signalait avec justesse qu' »il y a un manque de cohérence dans ses propos. Il ne peut pas dire il y a un an  » tous les pays nous envient Benzema  » et, quelques semaines plus tard, changer de discours et d’option. »

Dans la seconde, il demandait juste quelques explications : « Si c’est pour le foot, c’est pour le foot. Si c’est pour autre chose, c’est pour autre chose. Mais qu’on me le dise en face, dans les yeux. Parce qu’on dit aussi que je suis toujours sélectionnable. »

Le T1 français a beau dire, à raison, que l’avenir appartient aux Kilian Mbappé (18 ans) et autres Ousmane Dembélé (20 ans), une Coupe du monde se gagne avec des joueurs d’expérience. Fort de ses sept demi-finales de C1 consécutives (plus trois finales), Karim Benzema appartient définitivement à cette catégorie-là. Il sait aussi que la postérité d’un joueur vient, à quelque Alfredo Di Stefano près, d’une reconnaissance avec la sélection.

« L’équipe de France, il y viendrait à pied, plaide le membre de son entourage. Et franchement, une attaque Griezmann- Mbappé-Benzema, ça aurait de la gueule en Russie, non ? »

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