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Adriano: « Ceux qui critiquent Messi ne savent rien du fonctionnement du club »

Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de serrer la main d’un champion du monde et double vainqueur de la Ligue des Champions. À la rencontre d’Adriano Correia (35 ans), le joueur du championnat de Belgique au palmarès le plus fourni.

Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un ami personnel de Dani Alvès, un joueur amené à Barcelone par Pep Guardiola et qui a partagé le vestiaire avec Messi, Xavi ou Iniesta. Avec Sergio Ramos et Jesus Navas, aussi. Un homme qui a remporté deux Coupes UEFA et deux Ligues des Champions, qui a fait partie de la dream team du Barça et a été champion du monde avec le Brésil, même si c’était en U20. Mais surtout, un homme qui ne se sent pas trop important pour terminer sa carrière dans les Cantons de l’Est. Le succès ne lui a pas enlevé sa modestie et il a largement pris le temps de nous parler.

J’ai vu des joueurs échouer lors de leur présentation au Barça tellement ils avaient le trac. »

Adriano Correia

Vous êtes né à Curitiba, au sud du Brésil. En 2019, après quatorze ans passés en Europe, vous êtes retourné à l’Athletico Paranaense, le grand club de cette ville. Qu’est-ce qui vous a pris, à 35 ans, de rompre votre contrat après un an pour venir en Belgique ?

ADRIANO CORREIA : ( avec un grand sourire). Vous n’aimez pas votre pays ? Moi, oui. Je suis venu un peu plus tôt, notamment pour trouver une maison, où nous sommes en train d’emménager. Disons qu’Eupen est différent de ce que j’ai connu à Séville, Barcelone ou Istanbul ( il rit). Mais ma famille s’y sent bien et les enfants ( il en a trois, ndlr) sont très enthousiastes. Ils parlent déjà anglais, espagnol et portugais. Maintenant, ils vont apprendre le français.

Mais pourquoi avoir quitté le paradis ?

ADRIANO : J’admets que le Brésil a de bons côtés : la nourriture, la vie, les fruits frais au petit déjeuner… Plus on va vers le nord, plus il fait chaud et plus les gens sont chaleureux. Pour moi, le climat n’est pas tellement différent. Je viens du sud. À Curitiba, il fait plus ou moins le même temps qu’ici. Peut-être pas aussi froid, il y a moins de neige, bien qu’en altitude, il peut geler. Mais le Brésil a aussi un côté sombre et, au fil du temps, ça m’a de plus en plus trotté en tête. À Istanbul déjà, nous nous étions demandés si nous ne ferions pas mieux de rester en Europe. Mais Istanbul est une ville agitée, le club avait des problèmes financiers. Je ne pouvais pas rester au Besiktas. De plus, il y avait la famille, ma mère n’était pas en très bonne santé. C’est pourquoi nous sommes retournés au Brésil. Mais après un an, le doute est revenu. Je ne me sentais pas bien, l’Europe me manquait. J’ai passé quinze ans ici. J’étais comme déraciné et mes enfants encore plus puisqu’ils n’avaient vécu qu’en Europe. Ça peut vous sembler bizarre, mais dans certains aspects, je ne me sentais plus Brésilien. Le calme et la qualité de vie de l’Europe me manquaient.

Quand on a de l’argent, on vit bien au Brésil, non ?

ADRIANO : Si y no. C’est malheureusement avant tout une question de sécurité. Ici, je sais que mes enfants peuvent se promener en rue, que je peux aller au supermarché avec ma femme sans crainte. Là, on n’est jamais sûr de rien. Ma ville est moins dangereuse que São Paulo ou Rio, mais ce sentiment est tout de même omniprésent.

Nous avons un jour été reçu par un membre de la direction de Flamengo. Il avait un garde du corps et vivait dans un quartier résidentiel protégé, avec un garde à l’entrée. Sa villa était super luxueuse, mais il vivait constamment dans l’angoisse.

ADRIANO : Malheureusement, c’est comme ça. Ça me fait de la peine de dire ça, mais 90% des Brésiliens sont des survivors. Et le plus grave, c’est que le gouvernement s’en sort. Les politiciens s’occupent avant tout de leur petite personne, pas des Brésiliens. Voyez la Coupe du monde. À mes yeux, on ne l’a pas organisée pour les locaux, mais pour les étrangers. Quel Brésilien peut mettre cent euros pour voir un match de foot ? C’est 500 reals. Quand on en gagne 850…

Lors de la cérémonie d’ouverture, nous avons été surpris par les huées à l’égard de la présidente, Dilma Rousseff.

ADRIANO : Pas moi. Aucun Brésilien, d’ailleurs. Ils ont laissé passer une occasion énorme d’améliorer la vie quotidienne avec tout cet argent. Pourquoi avoir construit un stade au milieu de la forêt amazonienne quand il n’y a pas d’équipe ? Pareil à Brasilia. Combien d’argent n’a-t-on pas jeté par la fenêtre ? Je lis et j’entends beaucoup de choses au sujet de la corruption, mais je n’en sais pas suffisamment sur le sujet. Je constate seulement que le peuple souffre. Cela engendre de la violence. Mes parents ont déménagé à Rio, j’y ai vécu. Quand il ne s’y passe rien, on trouve ça anormal. Je me suis demandé si je voulais vraiment de ce genre de vie. Finalement, nous avons décidé de revenir ici. On m’a dit beaucoup de bien de la Belgique, c’est pour ça que j’y suis venu.

Après ving ans de foot pro, Adriano est toujours aussi déterminé.
Après ving ans de foot pro, Adriano est toujours aussi déterminé.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

« Je ne parlais que de Roberto Carlos »

J’ai lu que votre père avait joué un rôle important dans votre jeunesse.

ADRIANO : Un jour, je me suis fracturé un petit os du pied et mon père a dit que nous allions en profiter pour travailler l’autre pied. Il a ajouté que si je rêvais de devenir pro, c’est peut-être ça qui ferait la différence. J’ai eu beaucoup de très bons entraîneurs et chacun m’a appris quelque chose. Même aujourd’hui, à Eupen. Mais le meilleur de tous, c’était mon père.

Qui était votre idole ?

ADRIANO : J’étais fan de Palmeiras, donc c’était Roberto Carlos. Je ne parlais que de lui. Pour son football, sa manière d’être. Le plus chouette, c’est que plus tard, je l’ai rencontré et nous sommes devenus amis ( il rit). Avoir son idole pour ami, c’est incroyable, non ? Pour moi, c’était et ça reste un des joueurs les plus complets de tous les temps à son poste. Avec lui, tout semblait si simple, alors que j’ai pu constater plus tard que ce n’était pas le cas.

Vous êtes venu en Europe à l’âge de 19 ans. Une décision facile à prendre ?

ADRIANO : Un rêve, en tout cas. À l’époque, j’étais international en équipes d’âge. J’ai débuté en équipe première dans ma ville à l’âge de 17 ans. Je me souviens encore du coup de téléphone qui me l’a annoncé. On préparait le championnat national et on m’a téléphoné : Adri, on joue aujourd’hui et l’arrière gauche est blessé. Tu peux venir ? Je pensais qu’ils allaient faire monter l’arrière gauche de l’équipe B et que je jouerais en B, mais non. Et j’ai gardé ma place. Tout le monde était formidable. Je pense que le fait d’être calme m’a beaucoup aidé. J’ai toujours su ce que je voulais, mais je n’ai jamais été pressé de l’obtenir. Je respectais tout le monde, j’écoutais, je faisais tout pour y arriver. Je ne buvais pas, ne me droguais pas, ne regardais pas les filles. J’étais concentré, calme et croyant. J’ai joué en D1 brésilienne pendant trois ans, en Copa Libertadores et j’ai pris part à la Coupe du monde U20 avec l’équipe nationale. J’ai tout connu. Nous avons remporté la finale face à l’Espagne, la demi-finale face à l’Argentine ( grand sourire, ndlr). Difficile de faire mieux, hein. Andrés Iniesta était le leader de l’équipe espagnole, Fernandinho a marqué en toute fin de match. Nous avions une équipe fantastique.

« Le décès d’Antonio Puerta a été un moment horrible »

À Séville, vous avez rencontré du beau monde. Vous y avez été l’équipier de Sergio Ramos.

ADRIANO : Séville n’était pas encore aussi connu que maintenant. Ce qui me plaisait, c’était le projet. Le club était descendu quelques années plus tôt et avait engagé Monchi pour lui rendre une dynamique. Il n’avait pas son pareil pour dénicher des joueurs talentueux. Quand je suis arrivé, il y avait Dani Alvès, Renato, Julio Baptista, Jesus Navas. Reyes venait d’être vendu à Arsenal, c’est moi qui l’ai remplacé. Romaric (ex-Beveren) est arrivé plus tard. Quel joueur spectaculaire ! Il avait tout : le physique, la technique… Il aurait pu jouer à Barcelone ou au Real Madrid. Dommage qu’il n’ait jamais exploité tout son potentiel.

Parfois, vous jouiez devant, parfois derrière. Quelle était l’idée ?

ADRIANO : En fait, ils m’ont engagé comme défenseur, mais Monchi estimait que je pouvais jouer à plusieurs places, sur les deux flancs. Une de mes qualités a toujours été de pouvoir soutenir l’attaque en partant de derrière. Comme tous les défenseurs latéraux brésiliens, d’ailleurs. Sur le plan défensif, j’ai dû beaucoup apprendre. Avant, au Brésil, on jouait avec un seul joueur sur le flanc et son rôle consistait surtout à attaquer. C’était un 3-5-2, mais on mettait avant tout l’accent sur l’attaque. En Europe, à l’époque, la majorité des clubs jouaient en 4-4-2, 4-3-3 ou 4-2-3-1, avec deux joueurs sur les flancs. Juande Ramos nous a permis d’élever notre niveau. Nous avons remporté la Coupe UEFA, la Supercoupe d’Europe contre la dream team du Barça. Nous étions très forts à l’époque. Jusqu’à ce qu’Antonio Puerta disparaisse.

Messi aime blaguer, mais c’est avant tout un compétiteur très exigeant. »

Adriano Correia

Puerta était un joueur très talentueux. Il a été victime d’un malaise au cours d’un match et est décédé à l’hôpital. Vous étiez sur le terrain ce jour-là ?

ADRIANO : Non, j’étais blessé au genou et je regardais le match à la maison. C’était contre Getafe. Un moment horrible. Pendant toute une semaine, nous n’avons parlé que de ça. Nous avons espéré qu’il guérisse, puis nous avons été complètement abattus. Nous savions que nous devions aller de l’avant, mais la tête ne suivait pas. Il nous a fallu longtemps avant de pouvoir nous reconcentrer sur le football. Nous savions que nous étions testés en profondeur, mais les médecins n’avaient rien remarqué. On se dit que ça peut arriver à tout le monde, à nous aussi. Lors des tests suivants, j’étais toujours très attentif, je posais des questions au docteur. Je voulais savoir si tout allait bien, vraiment. Antonio n’avait jamais rien ressenti, c’est ça qui nous tracassait. Il avait un potentiel énorme. Il aurait pu devenir le meilleur à son poste.

Adriano :
Adriano :  » Barcelone, c’était le meilleur club du monde. Que pouvais-je rêver de mieux pour continuer à apprendre ? « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

« Messi, le Barça, c’est sa vie »

Vous vous souvenez encore du moment où le Barça vous a contacté ?

ADRIANO : C’est le président de Séville qui m’a appelé. J’ai d’ailleurs manqué son coup de fil. Nous étions en pleine préparation et, en rentrant dans ma chambre, j’ai vu que j’avais eu un appel du président. J’ai dit à Renato, mon compagnon de chambre, que je trouvais ça bizarre. J’avais peur qu’il se soit passé quelque chose. Quand je l’ai rappelé, il m’a dit : Adri, je vais aller droit au but : Barcelone te veut, a fait une proposition et nous l’avons acceptée. Maintenant, c’est à toi de voir. J’ai éclaté de rire et j’ai répondu : Prési, c’est très facile. Il faut savoir que Séville était un club vendeur et le président avait la réputation d’être très dur en affaires ( il rit). Ce n’est qu’après avoir raccroché que j’ai commencé à trembler. Plein de choses se bousculaient dans ma tête. Barcelone, ce n’était pas le meilleur club d’Espagne, mais le meilleur du monde. Que pouvais-je rêver de mieux pour continuer à apprendre ? D’autant qu’ils avaient le meilleur entraîneur de l’époque : Pep Guardiola.

Vous étiez nerveux, le premier jour ?

ADRIANO : J’ai vu des joueurs échouer lors de la présentation tellement ils avaient le trac. C’était bizarre. Ce sont les autres qui vous aident à évacuer le stress. J’ai pu compter sur Dani ( Alves, ndlr). J’ai l’impression qu’il m’a accompagné partout : en Espagne, en équipe nationale. Pouvoir passer du temps dans ce vestiaire, être champion, remporter deux Ligues des Champions, c’est fantastique. D’autant que j’avais chaque jour l’impression de progresser.

Qu’est-ce qu’on vous demande le plus souvent ? Comment est Pep ou comment est Messi ?

ADRIANO : Comment est Messi ( il rit). Tout le monde veut savoir. Pour moi, il était incroyable. Tout ce qu’il a fait pour le football et sa sensibilité. C’est quelqu’un de calme. À l’époque, il était encore plus timide que maintenant. Il venait d’avoir son premier enfant. Après, il s’est ouvert. La paternité lui a fait du bien.

Il faut tout donner sur le terrain, mais savourer aussi. J’y arrive toujours. Même après un nul à Anderlecht.

Adriano

Il faisait la fête dans le vestiaire ?

ADRIANO : Il participait, c’est sûr. Dans un vestiaire, il faut des Sud-Américains pour la salsa. Leo aime blaguer. Mais c’est avant tout un compétiteur très exigeant.

Vous comprenez qu’on le critique aujourd’hui ? On dit qu’il manipule le vestiaire, qu’il veut tout diriger, qu’il a pris le pouvoir.

ADRIANO : Les gens qui disent ça ne le connaissent pas et ne savent rien du fonctionnement du club. Leo a énormément de respect pour les décisions du président. La preuve : il est resté.

N’est-il pas resté uniquement à cause du montant de la clause ?

ADRIANO : Je crois que pour lui, prendre la décision de partir était très difficile. Le Barça, c’est sa vie. Partir comme ça, ça n’aurait pas été correct. Je suis content pour lui et j’espère qu’il apportera autant à l’équipe que par le passé. Tout le monde le soutient, le porte aux nues. C’est le capitaine que tout le monde doit suivre. Quand on voit ce qu’il apporte, on ne peut que tenter de faire aussi bien. Quand j’étais là, il était souvent blessé. J’ai vu de quel professionnalisme il faisait preuve pour se soigner, combien il était attentif aux détails, comment il travaillait et suivait son régime. Je suis arrivé en 2010, je suis parti en 2016, mais presque cinq ans plus tard, il est toujours là. Tout comme Ronaldo. Chapeau à ces deux-là, ce sont des exemples pour chacun, qui prouvent que le talent ne suffit pas à conquérir le Ballon d’Or, qu’il faut faire preuve de discipline et de professionnalisme. Penser au collectif, aussi. Et Leo le fait, car c’est aussi une partie de son succès, de nos succès. Une équipe qui veut obtenir des résultats doit être homogène. On passe parfois plus de temps avec ses équipiers qu’avec sa famille. Bien sûr, on s’entend mieux avec certains qu’avec d’autres, on peut même se faire des amis, mais ce qui compte, c’est le groupe.

Vous avez remporté deux Coupes UEFA, deux Ligues des Champions et quatre championnats d’Espagne. Avez-vous pris le temps de savourer ?

ADRIANO : Oui. Aujourd’hui, je me dis que je suis un privilégié, que j’ai de la chance d’avoir vécu tout ça. Les gens disent parfois qu’ils n’ont pas assez savouré, mais j’ai toujours essayé de le faire, depuis mon premier championnat d’État jusqu’au dernier, en passant par tout ce que j’ai gagné entretemps. Pour moi, chaque victoire est comme la première. Parce que je ne savais jamais si d’autres suivraient. Il faut donc faire la fête dès qu’on peut. Tout donner sur le terrain, mais savourer aussi. J’y arrive toujours. Même après un nul à Anderlecht. J’ai toujours beaucoup d’énergie, car le football est ma passion. À la maison, je n’aime pas parler de football, mais dès que j’enfile mon équipement, je suis un compétiteur. Et ça durera le plus longtemps possible, tant que mon corps l’acceptera.

Adriano sous le maillot du Barça.
Adriano sous le maillot du Barça.

« Avec Guardiola, c’était simple »

Comment était Guardiola ?

ADRIANO CORREIA : Simple. Il ne nous apprenait rien de compliqué, ne faisait rien de spécial, mais il transmettait les choses de façon très délicate, avec beaucoup de sensibilité. Avec lui, pas de théories compliquées. Il disait simplement : Adri, si tu fais ça, on va gagner. Il était très concret. S’il décidait que les défenseurs ne devaient pas monter, nous ne pouvions pas franchir plus d’une fois ou deux la ligne médiane. C’est comme ça que nous avons souvent battu Madrid.

Pourtant, en Ligue des Champions, on lui reproche souvent de rendre les choses trop compliquées.

ADRIANO : Pep est un gagneur et quand on ne gagne pas, on est critiqué. Le Barça jouait-il plus simplement ? Il gagnait et personne ne songeait à critiquer. Il avait les joueurs pour cela aussi. Tout le monde ne s’appelle pas Xavi, Iniesta ou Messi. Tout le monde n’affiche pas autant de confiance sur le terrain, tout le monde n’a pas la même idéologie tout le temps. Au Bayern comme à City, il a remporté le championnat. Ce n’est qu’en Ligue des Champions que ça coince. Mais c’est pareil pour le PSG : combien d’argent ce club n’a-t-il pas déjà dépensé ? Tout n’est pas aussi simple. Il faut construire une équipe, mais aussi faire en sorte que tout le monde parle le même langage sur le terrain.

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