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Eupen en visite à Anderlecht, ou David rencontre Goliath

Manfred Theissen et Herman Van Holsbeeck, les managers d’Eupen et d’Anderlecht, frappent les trois coups du championnat 2010-2011.

A gauche: l’ogre anderlechtois. 30 titres au compteur. Et champion en titre, prêt à dévorer tout le monde sur son passage comme la saison dernière. A droite: le petit poucet d’Eupen. Néo-promu et première découverte de l’élite belge. Entre les deux, un gouffre abyssal. Le budget des Germanophones est dix fois inférieur à celui des Mauves (on passe de 4 à 40 millions d’euros!).

Sport-Foot Magazine a réuni les deux managers. Pas en terrain neutre. Mais dans les bureaux du champion. Requête d’Herman Van Holsbeeck. Acceptée sans trop de difficultés par un Manfred Theissen, heureux de la rencontre. A trois jours de la reprise du championnat et du déplacement d’Eupen au stade Constant Vanden Stock, Theissen est venu en repérage. Pour parler football, réforme du championnat…

Comment avez-vous été accueilli dans cette D1?
Manfred Theissen. Pour l’instant, on essaie de nous aider. Surtout la Pro League qui nous prodigue des conseils très précieux. Car nous venons d’arriver en D1 et comme tout petit club du football belge, nous devons apprendre comment on vit en D1. Être présent, écouter et apprendre, tels seront nos maîtres-mots. Eupen n’a aucune exigence. Depuis l’accession à l’élite, nous avons constaté le fossé énorme entre la D2 et la D1, en ce qui concerne les structures et infrastructures.

Avez-vous senti un peu de méfiance?
Theissen. Pas du tout. Eupen ne monte pas en D1 pour rivaliser avec les grands. Pour Eupen, c’est un rêve d’être là. Je ne peux pas encore vous dire si on se sent à notre place mais Eupen est fier d’être là.

Pourtant, les grands clubs essaient depuis plusieurs années de réduire l’espace des petits…
Theissen. Mais c’est normal car quand on compare Eupen aux grands clubs, on voit que nous ne jouons pas dans la même cour. C’est un fait. L’intérêt d’un championnat demeure malgré tout d’avoir des grands et des petits mais je comprends les grands clubs qui essaient de hausser le niveau de notre compétition.

Dans ce contexte-là, comment Anderlecht a-t-il accueilli la montée d’Eupen?
Herman Van Holsbeeck. Je voudrais d’abord féliciter monsieur Theissen pour le travail accompli. Et il y a beaucoup de bon sens dans son discours… Sportivement, les Eupenois sont à leur place. Le rôle d’Anderlecht dans la réforme du championnat consistait surtout à améliorer le produit « football belge ». Soyons honnêtes, on veut diminuer le nombre de clubs mais Anderlecht est prêt à encourager les clubs bien gérés. On voudrait obtenir des critères clairs. Des études ont prouvé qu’on ne pouvait plus jouer au football dans notre pays avec 20 ou 22 clubs en D1. Dans certaines régions, les études indiquent qu’il y a de la place pour un club bien structuré. Je viens du Lierse et rien que dans cette région, il y a toute une série de clubs qui se marchent sur les pieds. Je pense qu’à terme, il vaudrait mieux fusionner en vue d’obtenir un club professionnel bien structuré qui améliorerait le produit « football belge ». Or, tout le monde tient à son identité et défend son pré carré. A terme, il faudra être plus strict dans les critères d’obtention de licences.

Qui dit critères plus durs dit également impossibilité pour un club comme Eupen, Dender ou Tubize de rejoindre la D1?
Van Holsbeeck. Si on prend l’exemple de Dender, on doit bien admettre que les hommes politiques vont devoir intervenir davantage s’ils veulent avoir un club dans leur région. Car, j’entends qu’à Dender ce sont des personnes isolées qui ont avancé l’argent et qui se retrouvent maintenant en grande difficulté. On voit certains drames humains dans le football simplement parce que ces clubs-là n’étaient pas prêts pour monter en D1. Si vous me demandez ce que je peux donner comme conseil à Eupen, je lui dirais que ce n’est pas parce qu’il est en D1 qu’il doit prendre des risques démesurés. Il faut trouver le bon équilibre entre la passion et la réalité.

Au Lierse, au début de ma carrière, j’ai commis ce genre d’erreurs: se laisser entraîner par les demandes d’entraîneurs et donner la clé de son club à ces hommes qui ont un projet mais qui discutent, six mois plus tard, avec un autre club pour 2,5 euros de plus.

« Si un club ne respecte pas les critères, il ne doit pas monter »

Quels seraient les critères pour évoluer en D1?
Van Holsbeeck. Je vise surtout les infrastructures des clubs de D2. Eupen doit faire un effort considérable en peu de temps. Il y a tant de points à respecter qu’actuellement, on laisse encore un peu de temps aux promus pour se mettre en ordre. Et finalement, on se rend compte très souvent que les problèmes ne peuvent être résolus. Si les critères sont clairs, qu’un club mérite sportivement de monter en D1 et qu’il respecte ces critères, il doit monter.

Et s’il ne les respecte pas?
Van Holsbeeck. Alors là, il ne doit pas monter. Si au départ, le club ne respecte pas les critères mais qu’il veut monter, il sait qu’il va devoir investir pour devenir un club professionnel valable.
Theissen. Je peux dire que pour l’instant, je vis une situation très délicate. De la montée à mi-octobre, on n’a que trois mois pour se mettre en conformité car il y a les congés du bâtiment. Il y a l’urbanisme et les permis de bâtir à obtenir. Je sais très bien que dans d’autres villes en Belgique, le stade serait déjà prêt mais à Eupen, on respecte la législation en place. Si j’ai un conseil à donner à la Ligue Pro: n’acceptez plus une équipe qui n’est pas conforme car vous la mettez en difficulté. Je l’admets devant vous. Je suis donc d’accord avec monsieur Van Holsbeeck.

Mais si on met de côté l’aspect sportif, pensez-vous qu’Eupen a sa place en D1?
Van Holsbeeck. Au niveau public, il faudra voir comment il va réagir à la D1.
Theissen. Les Germanophones vont au Standard et surtout en Bundesliga. En une heure, vous êtes à Schalke, Cologne, Mönchengladbach.
Van Holsbeeck. Oui mais la D1 peut changer cette donne. Est-ce que dans la région, il y a vraiment moyen d’avoir un club de D1 viable à long terme? Les gens vont-ils se déplacer pour les matches comme Eupen-Westerlo? Si vous êtes manager d’un club comme Eupen, que vous avez fourni un travail extraordinaire pour arriver en D1 mais que vous vous rendez compte que vous devez composer avec une moyenne de 2000 à 2500 supporters, vous savez très bien qu’à terme, vous n’avez aucune chance de rester en D1.

Comment combler le fossé entre D1 et D2?
Van Holsbeeck. Je crois que pour résoudre cette équation, il faudrait une meilleure entente entre les clubs de D1 et de D2 et que tous aient pour ambition d’avoir un meilleur produit foot. Les Hollandais ont des années d’avance car à un moment, Feyenoord met de côté ses querelles avec l’Ajax pour se concentrer uniquement sur l’amélioration du football national. Il faudrait qu’on pense un peu moins à soi et beaucoup plus à l’intérêt général. Il y a quelques années, Roger Vanden Stock avait réussi à dégager du contrat TV 10 millions d’euros pour les clubs de D2. Or, un représentant de D2 avait dit qu’il n’avait pas besoin de ces 10 millions! Pourtant, Anderlecht est prêt à payer un montant pour récompenser les clubs qui travaillent bien et qui ont une vision sportive et extra-sportive.

Theissen. C’est vrai que la D2 est invivable du point de vue économique. A un moment donné, il y a eu une proposition de la Ligue Pro beaucoup plus importante pour les clubs de D2 mais ceux-ci, très mal conseillés par certains anciens cercles de D1, n’ont pas saisi l’occasion. Il doit y avoir un soutien pour les clubs de D2 car certains vont finir par disparaître. On parle de Dender mais il y en a d’autres qui ont la corde au cou. Soit on trouve un consensus entre la D1 et la D2, soit on laisse crever les clubs de D2.

Van Holsbeeck. Aujourd’hui, quand un club de D1 descend en D2, il est mort. Et il le sait!

La D1 pour Eupen est donc synonyme de manne providentielle?
Theissen. Tout le monde croit maintenant que parce qu’on est en D1, on est un club riche. Non. Le jour où nous allons recevoir notre part des droits TV, on en aura bien besoin car nous sommes en train de faire des investissements de l’ordre de cinq à six millions d’euros (dont 60% sont pris en charge par la Communauté germanophone, 20% par la Ville d’Eupen et 20% par le club).

Comment s’en sortir pour un petit club comme Eupen?
Theissen. On a la chance d’avoir du soutien public. De la Communauté germanophone et de la Ville. Il faut dire que le club a fait beaucoup de publicité pour la région et la ville.

Anderlecht a pour sa part toujours couru après des aides publiques…
Van Holsbeeck. Les relations politiques avec la Région bruxelloise et la commune se sont améliorées. On a également reçu de l’argent pour le centre d’entraînement de Neerpede. Mais si le football belge veut évoluer, notamment au niveau des infrastructures, il faudra l’intervention des hommes politiques. Seuls, les clubs ne s’en sortiront pas. Avec la candidature pour le Mondial 2018, tout le monde s’est rendu compte que la Belgique faisait office de dernier de la classe.

Est-ce que comme Tubize il y a deux ans, Eupen se dit: « On ne sera en D1 qu’un an, ne faisons pas de folies! »
Theissen. Non, absolument pas. Car avec un tel discours, les politiques qui nous soutiennent risquent d’être déçus. Notre objectif, aujourd’hui, est d’essayer de se stabiliser en D1. Au niveau sportif, il n’y a rien de garanti mais nous disposons d’un avantage: on a su garder l’équipe de la montée (à part le capitaine Mijat Maric parti à Lokeren). L’équipe est très jeune et elle dispose encore d’une marge de progression. Nous ne sommes donc pas tombés dans le piège des agents de joueurs: nous avons reçu énormément de propositions de footballeurs au CV bien fourni mais ils ne sont pas faits pour Eupen. Nous suivons davantage la philosophie d’un Zulte Waregem et d’un Saint-Trond.

Est-ce que le rêve d’Eupen est donc de sortir de ce rôle de petit frère?
Theissen. Non, Eupen va toujours rester le petit poucet. Il ne va jamais se comparer à des grands clubs mais si, comme on le souhaite, Eupen parvient à se stabiliser en D1, le club va acquérir un certain respect.
Van Holsbeeck. Pour la presse, c’est peut-être moins intéressant car Eupen n’a pas encore acheté grand-chose. Mais c’est plein de sagesse car les dirigeants ont surtout veillé à garder le noyau qui leur avait apporté beaucoup de bonheur. C’est déjà une preuve d’intelligence. De plus, ils ont des gens avec un savoir-faire sportif. Ils ont du nez. Quand nos scouts vont voir Eupen, ils reviennent en disant que c’est une équipe difficile à jouer.

Votre budget est à l’opposé: 4 millions pour Eupen et 40 millions pour Anderlecht. Pourtant, votre politique de transfert se ressemble: des étrangers et des jeunes…
Theissen. Mais à Anderlecht, il s’agit de valeurs sûres…
Van Holsbeeck. Nous avons changé récemment notre politique. Avant, on était trop exigeant envers nos jeunes. L’année passée, on avait Romelu Lukaku, comme troisième attaquant mais certains voulaient malgré tout acheter un autre avant. Finalement, on a maintenu Lukaku comme troisième attaquant. Avec le résultat que l’on connaît.

Mais même les étrangers sont jeunes…
Van Holsbeeck. Car tout le monde est dans le même bateau. C’est la crise! Le marché espagnol est au bord de la faillite. Je sais ce que Jelle Van Damme gagne à Wolverhampton: ce n’est pas tellement plus qu’à Anderlecht.
Theissen. On avait Marc Hendrikx, qui à 35 ans, était super pro. Il ne jouait presque jamais mais il n’a pas cessé de montrer l’exemple. A part lui et Maric qui en avait 26, tous les autres membres du noyau avaient entre 19 et 23 ans.

Et pourquoi autant d’étrangers?
Van Holsbeeck. Pendant des années, Anderlecht a fait tourner le moulin des transferts en dépensant pas mal d’argent sur le marché belge. Aujourd’hui, quand on se présente, on demande 3 à 5 millions là où la valeur réelle est moindre. Pour Kevin De Bruyne, un ket de 18 ans qui n’avait disputé qu’une saison en D1, nous étions prêts à payer 2,5 millions d’euros. Plus, c’était trop. Nous avons fait le choix, si on nous demande autant, soit de transférer un Américain (Sacha Kljestan) pour 400.000 euros, soit d’aller chercher les joueurs plus jeunes. Je sais ainsi que Genk est fâché contre nous parce que nous avons mis sous contrat Kevin Praet, 16 ans.
Theissen. Pour nous, cela diffère un peu. Notre partenaire italien n’avait pas le temps de sonder le marché belge. Il voulait des joueurs qu’il connaissait personnellement et qui évoluaient en Italie ou en Suisse. Ses connections nous ont permis de faire venir des joueurs et de les mettre en vitrine. C’est une question de temps et pas parce que les joueurs belges sont trop chers pour Eupen. Aujourd’hui, il nous manque seulement deux ou trois joueurs d’un certain niveau.

Anderlecht en a en magasin…
Van Holsbeeck. On a trois, quatre joueurs sur le départ et je pense qu’au moins un pourrait faire l’affaire mais il faut être réaliste et voir si une affaire peut se réaliser.

Qui sera champion?
Theissen. J’ai l’honneur d’être dans le bureau du champion.
Van Holsbeeck. C’est l’objectif d’Anderlecht.

Et qui sera le descendant direct?
Theissen. Pas Eupen.
Van Holsbeeck. Je souhaite que cela ne soit pas Eupen qui pourrait constituer une bonne surprise.

Stéphane Vande Velde

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