© belga

Trois conclusions après le contre-la-montre des mondiaux: une défaite en vue d’une victoire pour Wout Van Aert ?

La Belgique a remporté cinq médailles lors des quatre derniers championnats du monde de contre-la-montre : aucun autre pays ne fait mieux. Mais, cette fois aussi, il n’y avait pas d’or au bout de l’effort, celui est revenu autour du cou de l’hyperspécialiste Filippo Ganna. Si seul l’arc-en-ciel comptait, on ne peut pas parler de défaite dans le chef de Wout Van Aert et Remco Evenepoel. On vous explique pourquoi.

La course sur route du dimanche 26 a toujours été et reste le plus grand objectif de Wout Van Aert. Le citoyen d’Herentals l’a répété à maintes reprises avant le Championnat du monde de contre-la-montre. Et pourtant, ses cheveux noirs à la mèche blanche se sont encore dressés sur sa tête lorsqu’il a vu que Filippo Ganna avait parcouru les 43,3 km du parcours entre Knokke-Heist et Bruges, 5,34 secondes plus rapidement que lui, soit un écart de 75 mètres ou une puissance développée de 2,4 watts en plus.

Ce sera donc encore de l’argent, la neuvième médaille de ce métal dans sa carrière professionnelle lors des 16 championnats internationaux qu’il disputés, aussi bien dans les labourés que sur la route. Il y a de quoi soupirer en se disant que c’est: « la médaille d’argent de trop ». Malgré la déception, Wout Van Aert s’est une nouvelle fois montré beau perdant en félicitant directement Pippo Ganna, une fois que celui-ci avait franchi la ligne d’arrivée. Le site américain Velonews.com a d’ailleurs commenté le cliché en disant que c’était un bon poster à montrer aux enfants pour qu’ils comprennent ce qu’est un bel esprit sportif.

Peut-on réellement parler de défaite lorsqu’un coureur tout-terrain ne perd que 5,34 secondes sur un pur spécialiste du contre-la-montre ? Pas vraiment, mais Wout Van Aert est un compétiteur hors-normes qui n’aime pas la défaite même si le contexte peut l’expliquer. Et en parlant de contexte, où la différence s’est-elle finalement jouée dans ce contre-la-montre serré jusqu’aux derniers mètres. Peut-être pas tellement pendant l’épreuve elle-même, mais dans les semaines précédentes. Pour être au top de sa forme à Louvain dans une semaine, le Campinois a surtout mis l’accent sur l’endurance et l’explosivité dans ses entraînements, comme en attestent les innombrables séries de sprints à bloc entre 15 et 40 secondes qu’il a effectuées. Des exercices qui ne sont pas totalement adaptés à une préparation pour le contre-la-montre où l’on pratique souvent des blocs d’intervalle plus longs pouvant aller jusqu’à huit minutes juste au-dessus du seuil d’anaérobie. Si WVA s’était donc concentré uniquement sur le contre-la-montre comme c’était le cas de l’Italien, le résultat final eut peut-être été différent. On ne le saura jamais. Mais en attendant, les temps de passage enregristrés lors de la course confirment notre impression. Lors du premier point intérmédaire après 13,8 km, le coureur Jumbo-Visma comptait 7 secondes d’avance sur le bulldozer de l’Ineos, mais il a ensuite perdu six secondes au deuxième point intermédiaire (sur 19,5 km) et 6 secondes à l’arrivée à Bruges (sur un peu plus de 10 km) . Le manque d’entraînement spécifique en contre-la-montre a empêché Van Aert de maintenir un rythme de 100 coups de pédale par minute dans la partie finale. Dans les 6 derniers kilomètres, sa fréquence de pédalage diminuait même à 94 tours par minute. On a aussi pu observer sur la fin que Van Aert bougeait beaucoup plus le haut de son corps pour faire tourner les pédales. Sa vitesse moyenne est donc tombée à 53,9 km/h pendant que Ganna atteignait 54,5 km dans les 10 derniers kilomètres car il avait réussi à conserver suffisamment de puissance et de rotation grâce à sa préparation spécifique. Mais au-delà du constat d’échec immédiat de ce dimanche après-midi, Wout Van Aert peut repartir rassuré en vue de l’épilogue des mondiaux du 26 septembre. Il n’a sans doute jamais été aussi bon et semble prêt à affronter n’importe quel scénario de course que ce soit en règlant au sprint un petit groupe ou en s’imposant en solitaire après une course très difficile afin que l’argent se transforme enfin en or. Ce serait alors le point d’orgue d’une oeuvre polyvalente dans laquelle même une 9e médaille d’argent ne serait plus conséidérée comme une défaite.

REMCO EVENEPOEL, LE POIDS PLUME QUI BOXE LES POIDS LOURDS

Selon Sven Vanthourenhout, Remco Evenepoel a réalisé la performance du jour sur cette épreuve chronométrée en décrochant la médaille de bronze. Le sélectionneur résumait la situation avec l’image d’un poids plume remportant un match de boxe face à des poids lourds. Il faut dire que le résident de Scheepdaal ne partait pas forcément à son avantage avec ses 62 kilos. Mais il n’aura finalement perdu que 44 et 38 secondes sur Ganna (82 kg) et Van Aert (78 kg), et se sera en revanche montré plus rapide que Kasper Asgreen (75kg), Stefan Küng (83 kg), Tony Martin (75 kg), Stefan Bissegger (78 kg), Ethan Hayter (69 kg), Edoardo Affini (80 kg) et Tadej Pogacar (67 kg).

Notons tout de même que sur un parcours totalement plat et disputé sur un revêtement impeccable, Ganna et Van Aert ont battu la moyenne la plus rapide sur un contre-la-montre des Mondiaux. En 2016, à Doha, Tony Martin qui disputait d’ailleurs sa dernière épreuve individuelle ce dimanche, avait accompli le parcours à une vitesse de 53,671 km/h. L’talien et le Belge ont atteint respectivement 54,355 km/h et 54,253 km/h. Evenepoel était lui juste en dessous de la moyenne du coureur allemand en 2016, ce qui rend sa performance d’autant plus phénoménale si on la relie à son poids.

Remco Evenepoel félicite le vainqueur du jour, Filippo Ganna.
Remco Evenepoel félicite le vainqueur du jour, Filippo Ganna.© belga

Lors des championnats d’Europe, Remco Evenepoel avait accompli une excellente première moitié de parcours avant de marquer le pas dans la seconde. A Knokke, le Brabançon est monté en puissance. Après 13,8 km, il n’avait obtenu que le cinquième temps intermédiaire, concédant 28 secondes à Van Aert et 21 à Ganna. Après cela, et malgré la perte d’un bidon (ce qui le rendait un peu moins aérodynamique), il a sû augmenter sa vitesse en maintenant une fréquence de pédalage élevée de 105 tours par minute. Troisième du second secteur (le plus long du parcours avec ses 19,5 km), Evenepoel n’a perdu que 9 secondes sur Ganna et 3 seulement sur WVA. Il obtiendra le quatrième temps de la dernière section de 10 km vers Bruges en étant moins rapide de 4 secondes par rapport à Asgreen et de 6 et 12 secondes par rapport à Van Aert et Ganna.

Le jeune coureur belge a donc développé une puissance moyenne de 390 watts, soit pas moins de 6,3 watts par kg, des chiffres qu’il affirme n’avoir jamais atteint même avant sa terrible chute au Tour de Lombardie en 2020. Il y a un an et trois jours, Evenepoel effectuait son premier entraînement sur rouleaux après sa cabriole lombarde. Il avait duré quarante minutes à une vitesse bien moins élevée que les 53 km/h qui lui ont permis de rallier Bruges ce dimanche.

Sans doute parce qu’il est un talent d’exception, on oublie parfois trop vite d’où revient Remco Evenepoel. Il le sait sans doute mieux que personne. Et il est forcément plus satisfait que Van Aert satisfait avec cette médaille de bronze sur ce parcours pas vraiment dessiné pour lui. À seulement 21 ans et 238 jours. Seuls Jan Ullrich (20 ans, bronze en 1994) et… Evenepoel lui-même (19 ans et 243 jours) étaient plus jeunes lorsqu’ils ont remporté une médaille aux Championnats du monde de contre-la-montre. A titre de comparaison : Fabian Cancellara et Tony Martin, les deux détenteurs du record du nombre de titres mondiaux au chrono (quatre chacun), ont remporté leur première médaille (de bronze), en 2004 et 2009, lors de leur 24e anniversaire… Le citoyen de Scheepdaal devrait logiquement décrocher la lune avant cet âge pour peu que les deux prochains parcours des mondiaux chronométrés soient un peu plus durs qu’en Flandre-Occidentale.

FILIPPO GANNA, L’HOMME TOUJOURS A L’HEURE AUX GRANDS RENDEZ-VOUS

L’image en a amusé beaucoup. Lorsque l’écart entre Van Aert et Ganna n’était plus que d’une seule seconde au deuxième point intermédiaire, certains supporters belges, ont demandé à l’Italien, les bras tendus, à ce qu’il roule un peu plus lentement. La démarche n’a en tout cas pas eu l’effet escompté puisque le coureur d’Ineos a finalement encore repris 6 secondes à son adversaire campinois. Ganna a conservé sa vitesse moyenne record et a jeté à la poubelle la statistique selon laquelle il n’avait jamais remporté de contre-la-montre de plus de 40 km (0 sur 6 jusqu’à avant ce dimanche). Il remporte son deuxième titre mondial consécutif. La victoire de la puissance pure, de la spécialisation, de l’art de répondre présent le jour J quand un objectif est fixé et, comme Ganna l’a également souligné : de la tête. « Mai arrendersi » – n’abandonnez jamais, a-t-il posté sur Instagram. Ganna est évidemment un athlète hors-normes parvenant à obtenir un aérodynamisme impeccable sur sa machine. Mais il ne faut pas négliger sa capacité à trouver une nouvelle motivation pour rester au sommet, un peu comme Van Aert. Le Piémontais est passé maître dans ce domaine : même s’il connaît un petit couac (comme sa médaille d’argent aux Championnats d’Europe à Trente), il a atteint toujours tous les objectifs majeurs qu’il se fixe. En un an, il a décroché le titre mondial dans son propre pays , à Imola (même si c’est plutôt Saint-Marin), remporté cinq étapes contre-la-montre lors des Giros de 2020 et 2021, gagné l’or sur la poursuite par équipes aux Jeux (où il a catapulté les Italiens devant les Danois avec une finition phénoménale) et enfin, il prolongé son titre mondial ce dimanche. S’imposer dans l’entre des lions flamands que sont Evenepoel et Van Aert, un mois à peine après son titre olympique démontre d’ailleurs à merveille la capacité de Filippo Ganna à se remobiliser malgré la pression. L’Italien, il est vrai, a profité de la générosité des villes de Knokke-Heist et de Bruges qui ont payé cher pour accueillir l’évènement. Il a ainsi pu bénéficier d’un parcours plat comme la main, taillé sur mesure pour ses immenses qualités, mais cela n’enlève rien à ses mérites. N’oublions pas quand on parle de jeunesse, que celui qui s’impose déjà comme le meilleur spécialiste de l’effort en solitaire de sa génération, n’a seulement que 25 ans.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire