© belga

Tadej Pogacar, vraiment un Flandrien ?

Le prodige slovène épate la galerie depuis ses débuts professionnels en 2019 et enchaîne les victoires au rythme d’un TGV sur les tours et les classiques. Le voici au départ des deux prochaines courses flandriennes. Avec de réelles ambitions ou seulement pour se préparer à l’étape pavée du prochain Tour de France ?

Deux Tours de France, Deux Tirreno-Adriatico, un Liège-Bastogne-Liège, un Tour de Lombardie et les Strade Bianche. Voici quelques lignes succinctes mais prestigieuses du palmarès d’un coureur qui a vu le jour à Klanec en Slovénie voici un peu plus de 23 ans.

La vitesse effrénée à laquelle le nouveau phénomène du cyclisme mondial décroche les bouquets les plus prestigieux les uns après les autres impressionne autant qu’elle n’agace déjà. Parfois comparé à Eddy Merckx, Tadej Pogacar a déjà réussi à creuser ce fossé entre ceux qui adorent cet impétueux jeune homme capable de gagner quand il le décide et ceux qui sont déjà lassés de cette machine à gagner dont ils remettent déjà en cause l’honnêteté des prestations. L’entourage sulfureux du Slovène chez UAE où se trouvent quelques noms liés à des affaires de dopage de l’époque EPO est aussi très souvent pointé du doigt.

Alors forcément, sa facilité à inscrire à son palmarès la course qu’il a décidé de remporter lui a valu le surnom de « Pogastrong », un sobriquet trouvé par Antoine Vayer, ancien entraîneur de la Festina gavée à l’EPO, qui tente de se racheter une image d’homme intègre, sous un déguisement de clown un peu pathétique sur Twitter qui n’apporte pas trop de crédit à ses pourtant bonnes questions sur l’état de « santé » du peloton.

Lance Armstrong est déjà venu par le passé sur le Tour des Flandres, mais ne s'y est jamais vraiment montré à son affaire, ses principaux objectifs étant situés plus tard dans la saison.
Lance Armstrong est déjà venu par le passé sur le Tour des Flandres, mais ne s’y est jamais vraiment montré à son affaire, ses principaux objectifs étant situés plus tard dans la saison.© belga

Du coup, cette légende a renforcé un mythe selon lequel Tadej Pogacar peut tout gagner. Comme Eddy Merckx en son temps ou comme Lance Armstrong donc, avec lequel il partage l’amour des watts élevées dès que les pentes se dressent sous ses pédales.

Armstrong en repérage dans les Flandres, mais jamais acteur

Cependant, malgré une première partie de carrière dédiée aux classiques avant son cancer, Big Tex n’a jamais réussi à combiner ses démonstrations sur la Boucle hexagonale de juillet avec l’accumulation de bouquets sur les épreuves d’un jour. Il avait même pour habitude d’éviter ce qui se courait au mois d’avril à l’exception d’une Amstel Gold Race lors de laquelle il s’est offert deux fois la place de premier dauphin d’un Rabobank : Michael Boogerd en 1999 et Erik Dekker en 2001. Ces résultats ont ensuite été effacés des palmarès depuis ses aveux de dopage.

Lorsqu’il était chez Motorola au début de sa carrière, c’est sur les courses d’un jour que le Texan était le plus performant. Champion du monde en 1993 sous la pluie battante d’Oslo, il s’est offert la Klasika San Sebastian en 1995 et le Mur de Huy l’année suivante. Sur la Doyenne, il aussi terminé sur la seconde marche du podium à deux reprises (1994,1996). Armstrong n’est venu qu’à trois reprises sur le Ronde, terminant à chaque fois loin de ceux qui s’offraient les honneurs de la victoire. Lors de sa dernière participation, il était même reparti de Bruges avec une gastro-entérite. Son objectif principal de l’été était de toute façon bien plus important que l’Américain ne se présentait de toute façon pas au départ de Bruges avec l’intention de briguer un quelconque classement. Il n’empêche que même lorsque les classiques figuraient en tête de liste de ses objectifs de la saison, le Boss, comme on le surnommait, n’avait pas plus de visées que ça sur les clasiques pavées.

La troisième fut la bonne pour le roi Eddy

Avant de s’offrir son premier grand tour avec le Giro en 1968, Eddy Merckx avait déjà été sacré par deux fois sur Milan-San Remo (1966 et 1967) et une fois à Roubaix (1968), sans oublier des succès sur la Flèche Wallonne et Gand – Wevelgem lors de l’année 1967. Avant le gain de son premier Tour de France, c’est celui des Flandres qu’il avait ajouté à son palmarès en plus d’une troisième Primavera et d’une première Doyenne à Liège. Le Roi Eddy a remporté le Ronde à sa troisième tentative, malgré sa culture des routes belges et un peloton bien moins dense qu’aujourd’hui au moment d’aborder les principales monticules pavés de la seconde fête nationale flamande. Lors de sa première participation, Merckx avait cependant terminé à la troisième place du classement. Preuve que le talent peut laisser entrevoir de beaux résultats.

Beaucoup imaginent alors le même destin pour Tadej Pogacar qui viendra découvrir les routes des Flandres ce mercredi à l’occasion de « Dwars door Vlaanderen« , dernière répétition avant la grand messe de ce dimanche entre Anvers et Audenarde. Pogi viendra-t-il rabattre les cartes dans le duel tant attendu entre les éternels rivaux que sont Wout Van Aert et Mathieu van der Poel ? Certains l’imaginent même lever les bras, aveuglés par des performances pourtant réalisées sur d’autres terrains avec des spécificités différentes de celles des routes du nord du pays.

Tadej Pogacar dans le Smeysberg lors des derniers mondiaux de Louvain. Sur un circuit aux bosses pourtant très flandriennes, le Slovène n'avait terminé qu'à la 37e place à plus de six minutes. Mais il est vrai qu'il sortait d'un Tour de France gagnant et d'une troisième place aux JO.
Tadej Pogacar dans le Smeysberg lors des derniers mondiaux de Louvain. Sur un circuit aux bosses pourtant très flandriennes, le Slovène n’avait terminé qu’à la 37e place à plus de six minutes. Mais il est vrai qu’il sortait d’un Tour de France gagnant et d’une troisième place aux JO.© iStock

Tadej Pogacar l’a d’ailleurs directement mentionné au moment de répondre aux questions de la nuée de journalistes pressée d’entendre ses premières réactions après sa première journée en selle sur les routes saintes du cyclisme flamand. « Je sais aussi que les courses flamandes sont très différentes des autres. Je veux laisser tout venir à moi et m’amuser le plus possible », a expliqué le double vainqueur de la Grande Boucle. « Qu’est-ce que j’attends de ces courses ? La forme est bonne et j’espère que je pourrais me battre ou être à l’avant de la course, mais je ne me fais pas d’illusion sur les pavés : je sais que ce sont des courses différentes de la normale. Mais je vais essayer de m’imprégner de tout cela et d’en profiter autant que possible, a rajouté le crack slovène.

Les approches avec de nombreux virages et rétrécissements avant les monts ou secteurs pavés sont évidemment très importants sur ces courses. Pogacar n’en possède pas une expérience folle et sa seule participation à une course belge avec un parcours assez proche de ce qui l’attendra dans les prochains jours se résume aux championnats du monde de Louvain. Le circuit comportait deux bosses pavées ainsi que le Smeysberg et le double lauréat du Tour n’y avait pas fait une impression folle en terminant à quasiment 6’30 » de Julian Alaphilippe. Evidemment, Pogacar se trouvait entre ses deux objectifs de l’époque, le Tour de France et le Tour de Lombardie qu’il allait remporté quelques semaines après cette escapade belge. La forme du jour est sans doute bien différente, mais l’ambition réelle du Slovène se trouve aussi dans quelques semaines plus à l’est de notre petit royaume.

On peut aussi estimer que l’équipe UAE n’a pas l’art de ce téléguidage des leaders comme peuvent l’avoir les formations Quick.Step ou Jumbo-Visma. Si Matteo Trentin sera un guide idéal, de par son expérience au sein de l’équipe de Patrick Lefevere, il semble le seul à pouvoir accompagner au mieux son leader désigné. N’en déplaise à Rui Oliveira et Oliveiro Troia que Fabio Baldato, directeur sportif de l’UAE qui fut deux fois deuxième du Ronde lors des éditions 1995 et 1996, voit lancer Pogacar comme il se doit sur la rampe de départ des secteurs stratégiques. C’est vrai qu’on se dit qu’ils ont certainement les mêmes références que des Tiesj Benoot, Florian Sénéchal, Tiesj Benoot ou Yves Lampaert… Oliveira était d’ailleurs le premier UAE avec une 56e place à Wevelgem. A Harelbeke, le premier membre de la formation de Pogacar avait terminé à une « brillante » 43e place grâce à Mikkel Bjerg.

« Il voulait participer à « À travers la Flandre » tout comme au Tour des Flandres. Nous ne l’avons pas forcé. Il est très curieux et veut relever de nouveaux défis. Cet hiver, nous sommes allés skier, et il voulait être le meilleur là aussi. Et si on fait du karting, il veut aussi gagner. Cette mentalité est tout simplement dans ses gènes », explique encore Baldato pour démontrer l’ambition de son poulain à l’entame de ces épreuves.

Mais deux autres questions se posent en plus de savoir s’il saura bien se placer à l’approche des secteurs décisifs. Que vaut-il réellement sur les pavés ? On le sait, les formats lourds et puissants sont plus souvent à l’aise sur ce type de revêtement, même si Julian Alaphilippe avait prouvé qu’il pouvait rivaliser avec les cadors en 2020. Cependant, il faut rappeler que le Tour des Flandres avait été déplacé après le Mondial en raison de la crise sanitaire et que le Français a semblé moins à la fête l’année suivante lorsque la course avait retrouvé sa place habituelle au calendrier.

Le champion du monde possède aussi une explosivité hors-normes qui lui permet de finalement s’illustrer dans les bergs ou de creuser l’écart sur la concurrence dans le Poggio, chose que Pogacar n’est pas vraiment parvenu à faire malgré quatre tentatives voici deux semaines. Et la sélection qui en a découlé était bien moins impressionnante que le ménage dont a été capable l’homme à la barbichette de mousquetaire sur des pourcentages moins exigeants et nécessitants plus de force.

Peut-on réellement comparer les sterrati des Strade Bianche avec les monts pavés des Flandres ?
Peut-on réellement comparer les sterrati des Strade Bianche avec les monts pavés des Flandres ?© iStock

Les pavés que Pogacar abordera lors de Dwars door Vlaanderen ne sont pas les plus difficiles des courses belges et apparaissent comme des routes juste légèrement mal entretenues en comparaison de ceux des routes de Paris-Roubaix, autre monument que certains voient aussi un jour être enlevé par le stupéfiant slovène. Les montées du jour seront aussi bien moins exigeantes que le Koppenberg, Paterberg ou Vieux Quaremont. Le Nokereberg, l’une des rares difficultés pavées de ce mercredi, sert de sprint final d’une semi-classique disputé quelques semaines plus tôt. Pas vraiment l’endroit où les costauds qui ambitionnent le Tour des Flandres font de grosses différences. Certains diront que Pogacar l’a emporté sur les Strade Bianche après un numéro en solo de 50 km. La performance était certes bluffante mais où étaient les coureurs qui l’avaient devancé 12 mois plus tôt sur les mêmes routes ? van der Poel, Egan Bernal, Van Aert et Tom Pidcock n’étaient pas au départ, Alaphilippe est lourdement tombé et tout le monde se demande encore comment Michael Gogl avait pu accompagner les meilleurs ce jour là. L’approche des sterrati est aussi bien différente et un peu plus facile que celles de monts pavés de Flandre.

Ce menu moins copieux et plus abordable pour un champion de la trempe de Tadej Pogacar devrait lui permettre de tirer son épingle du jeu si le placement est à la hauteur. Mais, il ne faudra pas oublier dimanche, que contrairement à la course de ce jour, les barrières nadars empêcheront les coureurs de prendre la rigole pour éviter les secousses des pavés. Ceux qui s’y sentent moins à l’aise n’auront pas de subterfuges pour échapper à leur destin.

Enfin, si certains coureurs comme Wout Van Aert, Mathieu van der Poel, Kasper Asgreen et cie jouent une grosse partie de leur saison lors des trois prochaines semaines, ce ne sera pas le cas d’un Tadej Pogacar qui ambitionne surtout de reconduire ses succès acquis l’an dernier sur les routes de Liège-Bastogne-Liège et de la Grande Boucle. A l’image de sa descente « prudente » du Poggio voici deux semaines, quand il a vu son compatriote Matej Mohoric prêt à prendre tous les risques, il pourrait s’épargner au risque de ne pas tout perdre pour une course qu’il n’est pas sûr de gagner.

Dwars door Vlaanderen donnera en tout cas un petit aperçu de ce que l’on pourra attendre de Tadej Pogacar sur les pavés du Nord de la France en juillet prochain. Et surtout si ses adversaires y trouveront un terrain favorable pour tenter de le bousculer, eux qui ont appris à se faire gifler tant dans les cols que dans les contre-la-montre.

Quant à ses ambitions de Tour des Flandres, sans doute qu’elles seront légitimes dans quelques années s’il se met en tête de remporter la Vlaanderens Mooiste. Le coureur est ambitieux et n’a pas peur de sortir de sa zone de confort. Mais en attendant, il semble quand même un peu prétentieux et farfelu de penser qu’aussi doué que soit Tadej Pogacar, il ne doive pas passer par cette phase d’apprentissage qu’ont connu tous les champions de l’histoire qui se sont mis en tête de défier les routes flamandes. Car sinon, il faudra parler de la quête d’un nouveau Pogacar quand ce dernier pendra son vélo au clou dans une petite dizaine d’années. Le nouvel Eddy Merckx aura donc été trouvé.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire