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« Prédire qu’on va gagner à Liège, comme VDB, c’est fantastique »

Il admire toujours Frank Vandenbroucke et, de son propre aveu, Tim Wellens (24 ans) n’a jamais manqué d’assurance. Pourtant, dans notre Belgique si critique, il se fait plus prudent : le Limbourgeois va essayer de gagner Liège-Bastogne-Liège.

Décembre 2013. Nous effectuons un reportage sur le stage de Lotto-Belisol à Majorque. Un soir, vers 22 heures, alors que tous les coureurs sont au lit, nous apercevons un cycliste soulever des poids dans la salle de fitness. C’est Tim Wellens. Opéré du genou, il veut résorber le plus vite possible le déséquilibre musculaire de ses jambes.  » Seuls les coureurs animés d’une volonté pareille réussissent « , le complimentons. Le garçon de Brustem, alors âgé de 22 ans, vient d’achever sa première saison professionnelle. Il sourit modestement:  » Il le faut si je veux briller au Giro. « 

De fait, Wellens est bien là cinq mois plus tard en Italie, et signe notamment deux belles deuxièmes places. Ce sont ses premiers résultats significatifs au WorldTour et ils confirment ce que son coach, Paul Van Den Bosch, nous avait déjà confié quand le Limbourgeois était espoir :  » C’est un grand talent et une forte tête. Il peut aller loin. « 

Deux ans et quatre mois après ce stage à Majorque, nous retrouvons Wellens, cette fois à Brustem, dans la demeure familiale, flanquée du magasin de cycles de son père, Leo. A notre grande surprise, il se souvient de notre rencontre dans le fitness.  » On n’oublie pas facilement des séances pareilles.  » Le coureur Lotto-Soudal a rempli les attentes de son entraîneur. Il a gagné une étape et le classement général de l’EnecoTour en 2014 comme en 2015, le GP de Montréal en 2015 et une étape de Paris-Nice cette année.

Pourtant, sa route n’a pas été pavée de roses: la saison dernière, il n’a pas obtenu ce qu’il espérait au Tour ni dans les classiques ardennaises. Il voulait donc remettre les points sur les  » i  » cette année. Il y est partiellement parvenu avec une étape de la Course au Soleil, devant Alberto Contador et Richie Porte. Mais Wellens en veut davantage: cette semaine, il veut se distinguer dans la Flèche wallonne et à Liège-Bastogne-Liège, puis, en mai, au Giro et en août, aux Jeux.

Cet hiver, il s’est donc entraîné avec la même ferveur qu’à l’époque à Majorque.  » A cette différence près qu’à l’époque, mon palmarès était vierge. Il est plus agréable de m’entraîner dur maintenant parce que j’en récolte les fruits. Quand on trime pour ne rien gagner… Car je veux être le meilleur, même si j’ai tempéré mon ambition depuis que j’ai quitté les catégories d’âges car la concurrence est beaucoup plus âpre. « 

Pas trop maigre

Wellens ne se décrit pas comme un maniaque de l’entraînement pour la cause.  » Jurgen Van den Broeck, par exemple, vit beaucoup plus que moi pour le cyclisme. La façon dont il s’entraîne, surveille sa nourriture… C’est impressionnant. Je doute que ça puisse marcher avec moi. Je pourrais déménager en Espagne pour m’y entraîner cinq ou six heures par jour dans les cols mais gagnerais-je plus pour autant ? Je m’entraîne déjà beaucoup, sans dépasser les limites.

C’est pareil avec l’alimentation. Je pourrais tout peser minutieusement mais je n’en ai pas envie. Je me nourris très sainement. J’ai abandonné le Nutella depuis longtemps. Mais j’écoute mon corps et je mange quand j’ai faim. Aller dormir l’estomac vide, comme certains coureurs ? Non, merci. C’est très dur mentalement, surtout à long terme. Je préfère avoir une longue carrière avec un kilo de trop qu’une courte à l’état de demi-squelette. « 

Wellens a expérimenté l’année passée l’effet négatif des régimes.  » Avant le Tour, j’ai effectué un stage à la Sierra Nevada avec Tony Gallopin. Après un long entraînement, il arrivait que le restaurant soit déjà fermé et nous ne mangions presque rien. Je ne pesais que 66 à 67 kilos pendant le Tour. Beaucoup trop peu : j’ai manqué de power. Avec la chaleur, c’est la cause de mon faible niveau. Je suis à 70 kilos pour 1m83, maintenant, et je me sens mieux. « 

Ces kilos en plus lui nuisent dans les longs cols, quand les spécialistes de la montagne accélèrent, comme dans l’étape du samedi de Paris-Nice. Le Limbourgeois a perdu trois minutes au col de la Madone (15 km).  » Au début, je pédalais à 400 watts et je suivais facilement mais à mi-chemin, mes jambes m’ont lâché alors que Contador, qui ne pèse que 62 kilos, et les autres continuaient à la même cadence. Le lendemain, au col d’Eze, plus court, j’ai développé en moyenne 440 watts mais ce n’était qu’un effort de vingt minutes sur sept kilomètres. J’ai quand même cédé du terrain à Contador et Porte, même si je suis arrivé avec eux au sommet, avant de les battre au sprint à Nice. Mais j’avais entamé l’ascension plus tôt qu’eux : je faisais partie de l’échappée. « 

La solution à ce syndrome des longs cols, à part maigrir? S’entraîner comme Chris Froome chez Sky.  » Des intervalles en côte de 40 minutes et plus, à bloc. Mais ça nuirait à mon explosivité et ça me handicaperait pour les classiques ardennaises, qui comportent des côtes très raides de quelques kilomètres. « 

Or, exercer à la fois les longues côtes et l’explosivité n’est pas possible.  » Valverde et Rodriguez y parviennent, ils brillent dans les grands tours comme à la Doyenne mais je n’ai malheureusement pas leur talent. Si je dois choisir, à ce moment de ma carrière, je préfère les courses dures d’une journée et les tours d’une semaine sans longs cols. Là, je peux gagner tandis que je ne peux pas atteindre le podium du Tour ou du Giro. Et rouler défensivement pendant trois semaines pour une sixième place, merci bien ! Je n’ai encore que 24 ans et tout le temps pour envisager un changement de stratégie. « 

Son choix n’est pas mauvais comme il l’a prouvé en 2015 dans l’EnecoTour et encore plus au GP de Montréal.  » Sur le plan physique, c’est la meilleure course de ma carrière : 345 watts en moyenne, pendant cinq heures. En plus, la concurrence était nettement plus relevée au Canada, où presque tous les favoris du Mondial s’étaient retrouvés.  » Liège-Bastogne-Liège est encore plus dure. Peut-il briguer la victoire?  » Je le pensais l’année dernière… Après un stage en altitude, j’ai été super au Tour du Pays basque mais j’avais dépassé mon pic de forme pour les classiques wallonnes. C’est pour ça que cette fois, à part dans une étape, je me suis retenu au Pays basque. C’est difficile pour un attaquant mais j’y étais obligé, en pensant à la semaine qui vient.

Par rapport à la saison passée, j’ai progressé: en hiver, à Majorque, j’ai fait un test en montée. 480 watts sur dix minutes, soit vingt de plus que l’année précédente. Sur les premiers kilomètres du col d’Eze, j’ai amélioré mon record sur cinq minutes en poussant 496 watts. « 

Italie, mon amour

Après les classiques ardennaises, Wellens prend le départ du Giro mais ne roulera pas le Tour, contrairement à l’année passée.  » Je suis un coureur de mauvais temps car la pluie ne me décourage pas et j’ai souffert de la chaleur en France mais ça n’a pas influencé mon choix, pas plus que le parcours, car j’avais pris ma décision avant de connaître le tracé du Giro. Pourquoi, alors ? Je conserve de bons souvenirs de mon premier Tour d’Italie, un pays fantastique et une course qui me convient mieux. Au Tour, les équipes de classement contrôlent chaque étape alors que les coureurs du Giro ont plus de latitude pour attaquer. C’est parfait pour tenter de gagner des étapes, de même que dimanche, je vais essayer de lutter pour la victoire à la Doyenne. « 

Le Limbourgeois insiste délibérément sur le terme: essayer.  » Certains m’ont démoli parce que j’avais déclaré que je visais une étape du Tour. Pourtant, quand on s’entraîne toutes ces heures et qu’on tient compte de ses qualités, on doit faire preuve d’ambition, non ? J’ai échoué mais je ne regrette rien. Je continue à dire ce que je pense mais en tenant un peu compte des critiques éventuelles. Donc, je dis que je vais essayer et pas que je vais gagner une étape, ce que je n’ai d’ailleurs jamais formulé en ces termes pour le Tour. « 

Ce sont donc les propos de celui qui vénérait Frank Vandenbroucke quand il était jeune.  » Si, comme VDB en 1999, j’étais sûr à 80% de gagner Liège-Bastogne-Liège, je le dirais aussi. Cette audace est fantastique, non ? Malheureusement, je n’ai pas ses jambes. « 

A Paul Van Den Bosch, Wellens confie ses prévisions, comme durant l’EnecoTour 2015. Avant l’étape ardennaise, que le Limbourgeois a gagnée haut la main, le coach a dit à son poulain :  » Ne me fais pas perdre de temps en admirant le paysage.  » Wellens de rétorquer, plein d’assurance :  » Tu vas voir !  » Le coureur Lotto-Soudal a même été encore plus explicite avec le directeur de course Jan Van Driessche, avant le départ :  » Jan, nous serons ensemble sur la photo, ce soir. Comme à La Redoute.  » Il avait déjà gagné en 2014.

Wellens ne souffre pas de la pression qu’il s’impose lui-même.  » Je n’ai jamais manqué de confiance en moi, même pas après mon Tour raté, l’année passée. J’en connaissais les causes.  » Le Limbourgeois ne redoute pas davantage d’être leader.  » Au contraire. Le tournant de ma carrière, selon moi, s’est produit lors de ma première victoire à l’EnecoTour car j’ai gagné plus de respect au sein de mon équipe comme du peloton. Il est logique que des coéquipiers se sacrifient plus facilement pour quelqu’un qui peut gagner. C’est ainsi qu’on gagne en crédit, sans le perdre quand ça va moins bien, comme au Tour. La direction a suivi le conseil du psychologue du sport Nathan Kahan et m’a beaucoup soutenu. Ça m’a beaucoup aidé. « 

Wellens n’avait pas vraiment besoin de Kahan pour se remettre de cette déception ou de son moins bon classement au dernier Paris-Nice.  » Je n’ai pas non plus envie de prendre ma revanche sur ceux qui m’ont critiqué. Je puise en moi-même ma motivation. Je parviens à tourner rapidement la page.  » Comme Van Den Bosch l’a déjà souligné:  » Tim est équilibré, il n’a pas de hauts ni de bas.  » L’intéressé nuance quand même.  » Je peux être vraiment très heureux ou triste, comme au Tour, mais je le montre rarement. Seulement à ma copine. C’est un trait de famille. « 

Un sparadrap sur le nez

D’après le directeur d’équipe Marc Wauters, Wellens a tendance à tout savoir mieux que les autres.  » Quand quelqu’un me dit que ce ne n’est pas bon, je ne suis pas son avis: je veux d’abord le vérifier. Comme à Paris-Nice l’année dernière, quand j’ai décidé, contre l’avis des mécaniciens, d’utiliser des tubes de contre-la-montre plus légers, dans une étape normale. Résultat : une crevaison. J’ai donc compris qu’il valait mieux ne plus les utiliser. « 

Cet entêtement a donné des cheveux blancs à Leo, son père, un ancien coureur.  » Fort de son expérience, il me donnait des conseils. Je les appréciais mais je ne les suivais pas toujours. Maintenant, quand il me dispense ses conseils, je lui réponds : – Papa, j’ai gagné plus souvent que toi !

Je fais ce que j’estime être le mieux. Des nouveaux tests semblent démontrer l’inutilité des sparadraps sur le nez mais je sens qu’ils m’aident à mieux respirer. Je les utilise depuis les juniors. Mais uniquement dans les courses où je veux être vraiment bon. C’est un boost mental. Comme Sagan qui s’est rasé les jambes juste avant les classiques ? Oui. Les détails font parfois la différence. Pour moi aussi, j’espère, à Huy et à Liège. « 

Chez lui en Wallonie

Tim Wellens a une motivation supplémentaire pour briller à la Flèche wallonne : fin 2015, il a acheté un terrain à bâtir à Huy.  » J’ai toujours rêvé de vivre dans une maison au sommet d’une colline. L’année dernière, en effectuant la reconnaissance du parcours de la Flèche wallonne, j’ai découvert ce terrain, au sommet de la côte de Cherave (l’avant-dernière ascension, où il avait placé une attaque en 2015, ndlr). Le site me paraissait idéal.

En plus, Huy est une ville vivante, pas au fin fond des Ardennes où il n’y a rien à faire. Elle est proche de l’autoroute, des aéroports de Zaventem et de Charleroi, à mi-chemin entre Brustem et Montigny-le-Tilleul, la maison de ma copine Sophie, et c’est un terrain d’entraînement idéal, même si la Hesbaye est encore plus belle. Je me suis toujours bien senti en Wallonie, où les gens rient plus, comme mes beaux-parents, et sont plus ouverts que la plupart des Flamands, comme la famille Wellens !  » Il éclate de rire.

Il ne sait pas encore quand il déménagera.  » Nous n’avons même pas encore d’architecte. Je ne sais donc pas quand la maison sera prête. Pour le moment je vis chez l’hôtel Maman. C’est pratique, non ? « 

Un stage en tunnel

Bachelier en technologie énergétique à l’UC Louvain-Limbourg, Tim Wellens a dû achever deux choses très importantes l’année dernière : son stage et son mémoire. Donc, à l’issue de la saison passée, il a passé 56 jours dans le tunnel à vent, maintenant achevé, de la Flanders’ Bike Valley à Paal.  » J’ai calculé l’épaisseur des câbles, étudié la disposition et la puissance des lumières, vérifié l’efficacité des panneaux solaires… Ça m’a pris du temps et de l’énergie car je devais aussi m’entraîner. Je devais achever ma thèse,  » approvisionnement en énergie dans un tunnel à vent « , et la défendre après le Nouvel-An. J’étais terriblement nerveux, bien plus que pour une grande course. Mais j’ai obtenu 13/20 et j’ai donc eu mon diplôme. Mission accomplie. « 

Par Jonas Creteur

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