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Paré de noir-jaune-rouge, Van Aert peut-il imiter le Gilbert de 2011 ?

Fabien Chaliaud Journaliste

Un maillot noir-jaune-rouge sur les épaules au départ de la Grande Boucle et une première étape destinée aux puncheurs, cela ne vous rappelle rien ? En 2011, Philippe Gilbert avait gagné le premier acte du Tour au sommet du Mont des Alouettes. Un scénario qui pourrait se répéter dix après avec Wout Van Aert à Landerneau ? Analyse

Hooglede-Gits, petite commune de l’arrondissement de Roulers, n’est située qu’à environ 25 km de Waregem où se disputait le national de cyclisme de dimanche dernier. En 2011, sur un parcours peu sélectif, beaucoup d’observateurs pensent Tom Boonen favori. Mais celui qui dominera le printemps suivant avec un quadruplé E3, Gand-Wevelgem, Tour des Flandres et Paris-Roubaix n’est que l’ombre de lui-même cette année-là. Quatrième d’un Ronde sur lequel il n’a pesé qu’en lançant une offensive de son rival Cancellara et contraint à l’abandon sur les pavés roubaisiens pour la première fois de sa carrière, l’Anversois n’est pas en mesure de suivre son rival wallon Philippe Gilbert lorsque celui-ci démarre en trombe sur la bosse pavée du Gitsberg à un peu plus de 2km du but. Le Remoucastrien se pare de noir-jaune-rouge pour la première fois de sa carrière et entend bien être infidèle à sa nouvelle tunique une semaine plus tard pour se revêtir de jaune lors de la première étape du Tour de France.

DIRECTEMENT PRIS, DIRECTEMENT PERDU

Le Mont des Alouettes culmine à 232 mètres avec vue sur la commune des Herbiers, connue pour être le cadre d’une épreuve chronométrée dont le dernier gagnant en 2019 est Jos van Emden devant Filippo Ganna et Primoz Roglic. Elle héberge aussi une équipe de foot amateur qui a réussi l’exploit d’atteindre la finale de la Coupe de France en 2018 contre le PSG.

La montée, longue de 3km, présente un pourcentage moyen de 4% et convient bien aux coureurs explosifs capables de mettre du braquet. Du cousu main pour Philippe Gilbert qui va lever les bras ce 2 juillet après une démonstration de force lors de laquelle il a d’abord muselé une accélération de Fabian Cancellara avant de creuser un écart irrémédiable sur la concurrence. Moqué pour ses nouveaux cheveux peroxydés qui n’étaient pas sans rappeler ceux d’un certain Richard Virenque lors de l’exclusion de Festina en 1998, celui qui était déjà le leader de l’équipe Lotto enchaîne les montées sur le podium pour enfin enfiler sur ses épaules la précieuse tunique jaune qu’il perdra dès le lendemain au profit de Thor Hushovd, vainqueur avec son équipe Garmin du chrono par équipes. Le mardi qui suit, Phil tentera bien de reprendre son bien sur les pentes un peu plus raides de Mûr-de-Bretagne, en vain.

DEUX COUREURS EN QUÊTE DES CINQ MONUMENTS

Hasard de l’organisation, les coureurs présents sur ce Tour de France emprunteront de nouveau la côte bretonne au lendemain de la première étape qui se terminera à Landerneau. Dix ans après Philippe Gilbert, qui sera encore au départ, le hasard a voulu qu’un autre grand champion se présente au départ vêtu des couleurs nationales belges. Wout Van Aert ne possède pas encore le riche palmarès de son aîné mais nourrit l’ambition de l’égaler et pourquoi pas d’accomplir le denier défi que le Remoucastrien n’a pas encore relevé : celui de remporter les cinq monuments du sport cycliste.

Pour l’instant, le citoyen d’Herentals possède dans sa musette aux trophées le seul qui manque à Gilbert: Milan – San Remo. Mais bien avant de peut-être pouvoir s’égaler sur le terrain des classiques, les deux hommes pourraient croiser leurs destins si d’aventure Van Aert parvenait à réaliser sur ce Tour de France la même prouesse que Gilbert dix ans plus tôt.

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GILBERT INSATIABLE AU PRINTEMPS 2011, VAN AERT EN DEMI-TEINTE EN 2021

Pour pousser le jeu de la comparaison, nous sommes revenus aux printemps respectifs des deux champions. En 2011, Gilbert a 28 ans alors que Van Aert affiche 26 printemps sur sa carte d’identité en 2021. C’est en Toscane que le coureur wallon commence la récolte de son incroyable moisson de bouquets. Les Strade Bianche n’ont pas encore la même aura qu’aujourd’hui, mais attirent déjà de beaux coureurs au départ. Phil monte sur la plus haute marche du podium à la Piazza del Campo en devançant Ballan et Cunego. Ce printemps, Van Aert ne termine pas sur le podium de la course pour la première fois de sa carrière, se contentant de la quatrième place d’une course dont il était le vainqueur sortant. Les deux coureurs confirment leur bonne forme sur Tirreno puisque le Gilbert 2011 s’adjuge une étape alors que Van Aert cuvée 2021 en gagne deux et termine à la 2e place du général derrière Tadej Pogacar.

En 2011, les grandes classiques de mars et d’avril tombent pratiquement toutes dans l’escarcelle des coureurs belges. Milan-San Remo échappe encore aux nôtres et à Gilbert, troisième, derrière Cancellara et l’étonnant Matthew Goss, premier non-européen à s’adjuger la Primavera. C’est sans doute l’édition lors de laquelle le citoyen de Remouchamps peut nourrir le plus de regrets quant à la victoire. Cette année, Van Aert termine lui aussi sur la même marche du podium, à la différence près qu’il avait conquis le dernier bouquet et que la Classicissima sourit désormais à nos compatriotes puisque Jasper Stuyven lui a succédé au palmarès.

Dans le coup, mais non gagnants sur le Tour des Flandres, les deux hommes partagent aussi le fait d’avoir enlevé l’Amstel Gold Race, mais dans des circonstances différentes. Un écart de quelques millimètres à déceler a usé les yeux des commissaires de course qui ont finalement désigné Van Aert vainqueur de son sprint épique avec Tom Pidcock. Gilbert, pour sa part, n’acceptait personne dans son ombre sur les pentes d’un Cauberg devenu sa rampe de lancement préférée vers la victoire. Le parallèle des printemps s’arrête là. Si le champion de Belgique de cyclocross remportait aussi Gand-Wevelgem, c’était une maigre consolation à côté de la razzia du coureur wallon qui roulait sur la concurrence à la Flèche Brabançonne, à la Flèche Wallonne et sur Liège-Bastogne-Liège.

UN MOIS DE MAI QUI CHANGE TOUT

Wout Van Aert est un hyperactif et il lui est difficile de s’astreindre des périodes de récupération entre les courses. Il n’hésite d’ailleurs pas à troquer son fidèle vélo contre des chaussures de running dès qu’il le peut (avec un effet bénéfique lors des cross très boueux).

C’est avec celles-ci aux pieds qu’il annonce le 8 mai son forfait pour la « Wings for Life World Run », une course à pied caritative dont le but est de courir le plus de kilomètres à une moyenne donnée pour récolter des fonds. WVA nous révèle avoir été opéréde l’appendicite. Sa préparation en vue du Tour de France est alors chamboulée par ce repos forcé. A la place d’un Dauphiné Libéré qui l’a amené à bonne température lors de ses deux dernières participations à la Grande Boucle, le Campinois doit se contenter de stages en altitude à Tignes et n’aura que le championnat de Belgique sur route comme point de repères avant de partir pour Brest puisqu’il renonce aussi à défier Yves Lampaert et Remco Evenepoel sur l’épreuve chronométrée organisée quelques jours avant.

Gilbert n’a pas connu tous ces contretemps avant de mettre le cap sur la Vendée en 2011. Il a emmagasiné le plein de confiance et de victoires au Tour de Belgique et au Ster ZLM Toer dont il a remporté les classements généraux avec, à chaque fois, une étape en plus dans sa musette.

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ROI DES BELGES SUR LA ROUTE ET DANS LES LABOURÉS

Autant dire que le sacre national des deux coureurs s’inscrit dans des logiques bien différentes. Si Gilbert possédait les armes suffisantes pour faire tomber un Boonen en plein doute, Van Aert naviguait à vue sur un parcours peu sélectif où la loi du nombre d’équipes comme Lotto-Soudal et Deceuninck-Quick.Step aurait pu rapidement mettre à mal ses ambitions. « Je ne m’attendais pas à être champion de Belgique cette année. Ce maillot tricolore me motive encore plus pour me montrer au Tour », avoue le citoyen d’Herentals. Surtout que les données sur sa forme se révèlent aussi très encourageantes. « J’ai étudié mes valeurs et mes watts lors du sprint final, et il s’avère que c’est un de mes meilleurs sprints de la saison. Mon départ et mon accélération étaient bons. Je suis confiant pour les prochains jours quant à mes chances face à des adversaires d’un niveau international. »

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VAN DER POEL, L’ÉTERNEL RIVAL

Si Mathieu Van Der Poel fait de temps à autre quelques infidélités à son vieux rival belge pour des duels tout terrain, leurs routes se croisent toujours aussi régulièrement dans les labourés et sur la route. Pourtant, ce ne sera que leur premier duel sur la Grande Boucle. Si Van Aert prendra pour la troisième fois le départ de la grand-messe de juillet, Van Der Poel effectuera ses débuts puisque son équipe n’avait pas été invitée les années précédentes. Mais l’apprentissage ne fait pas partie du vocabulaire du natif de Kappelen qui entend bien au moins remporter une étape comme son rival belge l’avait fait lors de sa première participation, voire plus puisque la perspective de se parer d’un jaune associé mais jamais porté par son grand-père Raymond Poulidor, récemment disparu, le motive au plus haut point.

Pour peaufiner sa condition, VDP a mis le cap sur la Suisse et son tour national où il a impressionné, voire écoeuré la concurrence en remportant deux étapes et en dégageant une impression de puissance phénoménale lors de ses journées passées dans la peau du leader de l’épreuve. Mais sur les routes de son championnat national, dimanche dernier, le fils d’Adrie Van Der Poel n’a pas affiché le même coup de pédale. Surpris en début de course et hors du coup, il a préféré abandonner. Un jour sans, mais qui ne remet pas en cause la condition globale du champion batave estime-t-on dans le camp d’Alpecin-Fenix. Mais alors que Van Aert ne savait pas à quoi s’attendre en posant les roues à Waregem, son succès combiné au coup de mou de son plus féroce adversaire a sans doute décuplé sa motivation. « Ce maillot jaune, c’est le rêve de tout coureur. Mon coéquipier Mike Teunissen a déjà pu le porter en 2019 (il avait gagné la 1e étape à Bruxelles, ndlr) et m’a expliqué ce que cela fait. C’est clairement un événement que j’ai hâte de connaître », a déclaré le coureur belge avec un sourire aux coins des lèvres.

APRÈS LES ALOUETTES, VOICI LES LOUPS

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« De ce que j’ai compris, c’est une étape difficile. Il s’agira d’être prudent tout au long de la journée, sur des routes étroites et sinueuses et pentes raides. Normalement, une arrivée comme celle-là me convient. Espérons que j’aurai encore assez d’énergie à la fin ». Et il sera question d’économiser ses forces dans une première étape où cinq côtes sont répertoriées en plus des nombreux talus qui donnent au profil des allures de mini montagnes russes. Après le Mont des Alouettes en 2011, c’est la côte de la Fosse aux Loups qui se dressera devant les coureurs pour les 3 derniers kilomètres. Une longueur identique à celle de la montée des Herbiers en 2011, mais la pente moyenne, proche des 6%, sera un peu ardue.

Et qui dit loup, dit Deceuninck-Quick.Step dont la meute privée de Sam Bennett, remplacé au pied levé par un Mark Cavendish rêvant toujours du record d’étapes d’Eddy Merckx sur le Tour, peut compter sur son chef Julian Alaphilippe. Le champion du monde, qui espère être porté par sa récente paternité, voudra faire voir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel à ses rivaux belge et néerlandais. Peut-être se souviendra-t-il que Wout Van Aert avait célébré la venue au monde de son fils Georges par un titre de champion de Belgique de cyclocross. En tout cas, Alaphilippe aura à coeur de faire rimer Nino, le prénom de son fils avec victoire à Landerneau. Parmi les autres favoris de cette première étape, on peut aussi citer Marc Hirschi, même si des doutes persistent toujours sur la forme du coureur suisse brillant lors de l’édition 2020. On ne sait pas non plus s’il ne devra pas se sacrifier pour éviter toute mauvaise surprise au vainqueur sortant Tadej Pogacar, outsider au même titre que les autres prétendants à la victoire finale, à un bouquet sur cette première arrivée « au sommet ».

N’excluons pas non plus une surprise dans cette étape et pourquoi pas un échappé aller au bout de son effort. Si Alpecin-Fenix assumera probablement le gros du travail derrière les échappés, rien ne dit qu’elle sera beaucoup épaulée. La Deceuninck-Quick.Step devrait bien donner un coup de main mais rien n’est moins sûr pour les formations de Van Aert et d’Hirschi qui possèdent deux candidats au général. Mais les renforts pourraient venir du côté de Bahrein avec un Sonny Colbrelli, boosté par son maillot de champion d’Italie, Israël, avec un Michael Woods qui n’hésitera pas à prendre tout ce qu’il peut, ou de Bike Exchange, emmené par un Michael Matthews, déjà vainqueur à 3 reprises au mois de juillet .

PLUSIEURS ÉTAPES POUR PRENDRE LE JAUNE

Si d’aventure, Wout Van Aert ne devait pas remporter la première étape samedi, il aurait encore d’autres chances d’endosser la précieuse tunique de leader les jours qui suivent. Mûr-de-Bretagne sera le dessert de l’étape de dimanche. Une difficulté plus exigeante que celle de la Fosse aux loups et dont le profil pourrait mieux correspondre à son coéquipier Primoz Roglic, qui a sûrement noté dans un coin de sa tête que Cadel Evans y avait levé les bras l’année de son sacre final à Paris, en 2011 justement. Le contre-la-montre individuel de 27km de la cinquième étape sera aussi une troisième possibilité pour Van Aert de lever les bras et de se parer de jaune. Mais pour la symbolique avec l’année 2011, on vous avoue avoir quand même une préférence pour une victoire du côté de Landerneau.

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