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Mathieu van der Poel : le Ronaldinho du cross

 » Si le vélo de Mathieu van der Poel pouvait parler, on entendrait de drôles d’histoires « , rigole, Paul Herijgers, impressionné par ses acrobaties. Mais d’où vient l’habileté du coureur hollandais qui, dimanche, tentera de décrocher son deuxième titre de champion du monde ?.

Plus tôt on apprend, mieux c’est

Bien que, enfant, il ait pratiqué de nombreux sports – le tir à l’arc, le judo, le poney, le ski, le tennis et, pendant très longtemps, le football – le cyclo-cross a toujours été le premier amour de Mathieu van der Poel. Dès l’âge de cinq ans, lors des cross organisés dans la région du Brabant hollandais, il étonne par sa technique, bien plus avancée que celle de coureurs plus âgés. Il fait sans réfléchir des choses qu’eux-mêmes n’osent pas encore imaginer.

 » Tout petit, j’essayais de sauter par-dessus des troncs d’arbres « , explique-t-il en 2017 dans De Telegraaf.  » Ou alors, dans les bois, je tentais de gravir des côtes soi-disant trop raides pour moi. Il y avait toujours quelqu’un pour dire :  » Tu n’y arriveras pas « . Ça me motivait encore plus à tout donner pour y parvenir, même si je devais y mettre une heure.  »

Van der Poel est encouragé par son père, Adrie, qui n’était pourtant pas le plus grand technicien des cyclocrossmen. Lors du championnat du monde 1989 à Pontchâteau, il avait même été dégoûté par les obstacles. Tandis que Danny De Bie les franchissait allègrement, lui, le favori, devait à chaque fois descendre de vélo. Des images que le gamin a visionnées de nombreuses fois sur YouTube par la suite.

Ce jour-là, Adrie a compris combien la technique allait prendre de l’importance au fil des années, surtout lors des cross rapides. Pour son neuvième anniversaire, le 19 janvier 2004, son fils reçoit un cadeau spécial : un entraînement de technique donné par son idole, Sven Nys, dans les bois d’Ossendrecht. A cette époque, Mathieu franchit déjà les obstacles mais Nys, qui avait été équipier d’Adrie chez Rabobank, lui permet d’affûter davantage encore sa technique.

Le sens du corps et de l’équilibre

Mathieu van der Poel qui rejoint et dépasse Toon Aerts dans la fameuse pente de la Citadelle de Namur, les pieds bien fixés aux pédales, le corps parfaitement en équilibre. Van der Poel qui, à Baal, manque de tomber dans la descente du dirt jump mais reste miraculeusement sur son vélo :

 » C’est l’image de l’année « , crie Michel Wuyts, le commentateur de la VRT. Des manoeuvres que le Hollandais volant exécute grâce à une motricité et une proprioception exceptionnelles : il est capable de sentir la position et le centre de gravité de son corps dans l’espace.

Ce sens du corps et de l’équilibre innés, il les travaille depuis l’âge de 16 ans. Sur les conseils d’Adrie, il consulte David Bombeke, un kiné.  » Nous travaillons la stabilité du tronc et la proprioception « , raconte celui-ci.  » Je lui demande de tenir sur une jambe tout en tentant de le déséquilibrer avec un élastique. Dans le même temps, il doit faire des exercices mentaux de prise de décisions, ce qui lui permet de travailler sa vitesse de réaction et ses capacités neurologiques.

Je lui montre, par exemple, une flèche sur un écran et je lui demande de la tourner de 45 degrés. Il s’est très vite bien débrouillé, beaucoup mieux que son frère David. Ces exercices mentaux, imaginés par Stijn Quanten, sont également utilisés au MilanLab de l’AC Milan. Cela nous permet de classer les athlètes par catégories auxquelles nous donnons les noms de joueurs de football. David est plutôt Gattuso tandis que Mathieu est… Ronaldinho. « 

Tout petit, j’essayais déjà de sauter par-dessus des troncs d’arbres.  » Mathieu van der Poel

L’amusement et le facteur de risque

En novembre, après sa victoire à Tabor, Van der Poel poste sur Instagram une photo d’un saut par-dessus un pont avec, en légende :  » Never underestimate the importance of having fun  » –  » Ne sous-estimez jamais l’importance du plaisir.  » Avant le cross, il avait déjà placé des photos sur lesquelles on le voyait trébucher sur un obstacle à l’entraînement et s’était amusé à demander :  » Est-ce que ça compte comme une chute ?  »

Cette anecdote montre combien, à la façon de Ronaldinho, Van der Poel a le sens du risque et du show. Comme lors du cross dans la boue de Namur où, après une énième démonstration de puissance physique et de technique, il se permet un wheeling juste avant l’arrivée. Puis, il place la photo sur Instagram avec un court message d’amour :  » MUD ?  » Il s’explique ensuite devant les journalistes :  » Ce wheeling ? L’idée m’a pris comme ça d’un coup. Il y avait longtemps que je n’en avais plus fait.  »

Ces shows sont moins destinés au public qu’à se faire plaisir car il les fait aussi à l’entraînement. Et tant pis si, de temps en temps, il tombe, avouait-il l’an dernier dans le magazine HUMO :  » Si je reste deux semaines sans tomber, c’est que quelque chose ne va pas. On tombe rarement par malchance, c’est la preuve qu’on sort de sa zone de confort.

A l’échauffement, surtout, j’essaye de repousser mes limites. Je veux savoir à quelle allure maximale je peux franchir les obstacles ou prendre des virages en frôlant les piquets. En course, certaines manoeuvres peuvent paraître dangereuses mais le risque est calculé. Je maîtrise pratiquement toujours toutes les situations. « 

Freins à disque

Après le cross de Zeven, en novembre 2016, Wout van Aert est plus abattu que jamais.  » Après trois virages, j’avais compris. Mathieu allait tellement vite qu’il était à la fois devant et derrière. Même dans les virages, on aurait dit qu’il allait tout droit. Je n’ai jamais vu cela. On aurait dit qu’il avait d’autres pneus que nous.  »

Ce genre de commentaires élogieux revient souvent. Pour le suivre, il faut s’accrocher. Dans le dernier Spécial Cyclocross de Sport/Voetbalmagazine, VDP affirme que c’est le summum de la technique.  » Prendre les virages rapidement en gardant les deux pieds sur les pédales, c’est le pied. Surtout dans le sable, on a l’impression d’être en suspension.  »

Le Hollandais frôle si souvent le poteau ou la barrière que, parfois, il les touche – comme à Diegem, où il a déchiré son short – ou tombe – comme à Baal -, où sa roue avant s’est dérobée.  » C’est ma faute, j’étais trop enthousiaste « , dit-il. Cinq jours plus tard, à Bruxelles, il est à nouveau en démonstration dans les descentes.

 » Ça peut paraître bizarre mais Mathieu n’a pas besoin de beaucoup d’appuis dans les virages « , dit Christoph Roodhooft, manager de l’équipe Corendon-Circus.  » Il est comme les pilotes de rallye, il dérape pour perdre le moins de vitesse possible. Ça lui permet aussi de mieux corriger sa trajectoire.  »

Tom Meeusen explique aussi qu’il utilise des pneus plus fins.  » A Loenhout, par exemple, Mathieu et moi avons utilisé des griffo alors que beaucoup d’autres roulaient avec des rhinos, les plus lourds. Mathieu a glissé une fois mais, le reste du temps, il maîtrisait parfaitement son vélo. Autre avantage de ces pneus plus fins : ils offrent moins de résistance dans les lignes droites. Mathieu doit donc faire moins d’efforts que les autres pour pédaler plus vite.  »

Mais le plus gros atout matériel de Van der Poel, ce sont les freins à disque. Il a été un des premiers à les adopter, dès ses débuts chez les élites, en 2014/15.  » Il a cependant fallu le convaincre « , dit Roodhooft.  » Mathieu devait utiliser les freins à disque à partir du 1er septembre et prendre ainsi la relève de Niels Albert. Quelques jours avant, très tard le soir, il m’avait envoyé un SMS :  » Puis-je utiliser les freins cantilever ?  » Nous avons tenu bon et nous avons eu raison car, pour sa première course à Gieten, il s’est imposé. Depuis, il ne peut plus se passer des ces freins.  »

Mathieu van der Poel : le Ronaldinho du cross
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Bien que, quatre ans plus tard, presque tous les cyclocrossmen les utilisent, ces freins à disque restent un atout de Van der Poel. C’est en tout cas ce qu’il a déclaré dans le guide du cyclo-cross de Sport/Voetbalmagazine.  » J’arrive à freiner plus tard que les autres et, dès lors, à entrer plus vite dans le virage. Ça me permet de faire la différence. Ces freins ont même renforcé mon enthousiasme pour le cyclo-cross. Ils offrent une plus grande maîtrise et rendent la course plus extrême. « 

VTT/motocross

Si vous demandez à Van der Poel quels jours de l’année il aime le plus, il vous répondra invariablement que ce sont ceux qui suivent la saison de cyclocross. Depuis des années, il se rend dans les bois avec des amis sur son dirt bike – un VTT dont la selle est rabaissée. Jusqu’à la tombée de la nuit, ils franchissent des collines de boues très élevées qu’ils ont aménagées eux-mêmes, des branches, des portions de sable, des puits profonds… C’est en partie pour cela que VDP n’était pas partisan de la descente dirt jump à Baal. Il estimait qu’un vélo de cyclocross n’était pas fait pour cela.

Avant, le Hollandais aimait aussi faire de la moto d’enduro. L’été, surtout, mais aussi parfois l’hiver, dans la neige, comme en 2017.  » Le meilleur moment de l’année « , avait-il dit. Aujourd’hui, il ne sort plus très souvent sa moto. Christoph Roodhooft trouve cela trop dangereux. Et l’été, il n’a plus le temps car depuis 2016, il fait du VTT, un autre coup de foudre.

Les pneus plus larges ainsi que les suspensions avant et arrière de son vélo tout-terrain lui permettent de parcourir désormais les descentes les plus difficiles. Comme l’été dernier, lorsqu’il est parti en montagne dans les environs de Livigno, avec Tom Meeusen.  » Mathieu a descendu en sifflotant un sentier terriblement pentu et parsemé de pierres « , raconte son équipier.  » J’ai rarement peur mais moi, je n’ai pas osé : je suis descendu à pied.  » (il rit).

Lors de ses débuts en VTT, malgré sa technique, Van der Poel a cependant dû baisser pavillon devant des acrobates comme Nino Schurter, surtout dans les descentes extrêmes. Bien qu’il n’ait jamais pris part à des courses de VTT avant 2016, il en a cependant impressionné plus d’un, tant il s’est adapté rapidement. Et selon Meeusen, cela lui a permis d’encore progresser sur le plan technique en cyclocross.  » Pour Mathieu, même la plongée de Gavere est un jeu d’enfant, désormais. « 

Le meilleur physiquement également

Selon Meeusen, si Van der Poel est aussi fort techniquement, c’est aussi parce qu’il est le meilleur physiquement.  » A l’échauffement, beaucoup de coureurs parviennent à prendre parfaitement les virages « , dit-il.  » Tout l’art consiste à faire pareil après X tours, quand le coeur bat pratiquement à 200. Je suis moi aussi un spécialiste des virages mais à Hamme, où j’ai suivi Mathieu pendant une demi-heure, j’avais tellement d’acide dans les muscles que, dans les lignes droites, ils ne suivaient plus. Ça m’a fait commettre une faute que je n’aurais jamais commise si j’avais pédalé à mon rythme.

Le problème c’est que, dès le départ, Mathieu était parti à fond, histoire d’obliger tout le monde à chercher son deuxième souffle. A Coxyde, par exemple, il y a des dunes juste après le départ. Beaucoup n’en ont pas cru leurs yeux mais Mathieu a récupéré tellement vite que, dans le tronçon sablonneux suivant, très technique, il ne souffrait déjà plus. Ce qui lui a permis de s’échapper dès le premier tour.

C’est pareil dans les virages et sur les obstacles : plus on est frais, plus on est rapide et plus on ose. Cela permet à Mathieu de ne pas trop ralentir par rapport à sa vitesse de pointe. Disons qu’il passe à 25 km/h là où les autres passent à 23. Sur un cross, ces deux kilomètres font la différence, surtout lorsqu’il y a beaucoup de virages, comme à Ruddervoorde ou à Hamme.

Mathieu économise ainsi de la puissance, il se fatigue moins et il est encore plus frais dans le virage suivant. Ou alors, il reste sur son vélo dans une côte que les autres escaladent à pied, comme l’an dernier en Coupe du monde à Bogense, où il a exécuté un de ses plus beaux numéros. Là, il a étalé sa supériorité à tous les niveaux. Assis sur son vélo, malgré le sol gelé, il a choisi la bonne trace et la bonne vitesse pour étaler sa puissance avec détermination. Phénoménal !  »

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Casse-cou un jour, casse-cou toujours

Mathieu van der Poel va parfois tellement loin qu’il arrive que les choses tournent mal. Comme à Loenhout, en 2016, lorsqu’il a tenté de dépasser Tom Meeusen dans une côte mais est tombé. Ou comme en 2017 à Gavere, où il a commis une faute un sautant par-dessus une clôture et s’est ouvert le genou, perdant ainsi la course. Sans parler de Lokeren, cette saison, où le Hollandais s’est tordu la cheville en franchissant un canal.

Il a même encore une vis dans la main, souvenir d’une épreuve de VTT à Logroño, où il s’est fracturé le scaphoïde en mai 2018. En 2015 et en 2016, il est aussi tombé plusieurs fois, ce qui lui a valu quelques opérations et l’a obligé à faire l’impasse sur la saison de cyclocross.

En juniors, déjà, on a dû lui placer des vis en titane dans la clavicule et il s’est occasionné des contusions au sternum en fonçant dans un arbre. Gamin, il ne tenait pas en place et s’est cassé le bras en chutant d’une balançoire, puis le poignet en jouant au tennis de table. Casse-cou un jour, casse-cou toujours.

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