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La sensation Remco

Ne l’appelez pas  » le nouveau Merckx « . Après son exploit à San Sebastián, Remco Evenepoel (19 ans) n’a plus besoin d’être appelé par son nom. Un prénom suffit.

Vendredi, la  » grosse  » info concernant Remco Evenepoel était le fait qu’il avait rompu avec sa copine et qu’il allait s’installer à Monaco ou à Andorre. En période creuse, le coureur faisait même l’objet de l’éditorial de Het Laatste Nieuws, dans les pages réservées aux informations consacrées à la formation du gouvernement. Het Nieuwsblad faisait appel à des conseillers conjugaux pour tenter d’expliquer la rupture avec Oumaïma. Et sur internet, les messages de soutien alternaient (malheureusement) avec des avis impitoyables concernant sa  » fuite fiscale.  »

Remco Evenepoel dicte sa loi, comme Julian Alaphilippe, Mathieu van der Poel ou Egan Bernal.

Quatre jours plus tôt, Evenepoel avait remporté le critérium d’après-Tour d’Alost devant le maillot jaune, Egan Bernal. Il y avait eu accord.  » C’était un peu comme si on avait invité Metallica à une fête pour servir les toasts « , avait tweeté un confrère. Mais Remco était le roi de la soirée et personne ne s’en offusquait. La Belgique reste un pays fou de cyclisme et, malgré les succès de Tom Boonen & Co, ça fait 43 ans qu’elle attend un vainqueur du Tour, un successeur à Eddy Merckx.

Cela démontrait bien combien Evenepoel est déjà une star en Belgique. Et à ce moment-là, le Miracle de San Sebastián n’avait pas encore eu lieu. En Espagne, les médias l’ont déjà rebaptisé San Remco tandis qu’en France, L’Équipe titrait : La Sensation. Cyrille Guimard, le directeur sportif qui a conduit LeMond, Fignon et Hinault à la victoire au Tour, en rajoutait exagérément :  » Evenepoel n’est pas le nouveau Merckx : c’est Merckx + Hinault avec un peu de Bernal et de… Mbappé. Dommage pour ceux qui rêvaient de gagner le Tour en 2020.  »

Les compliments des plus jeunes étaient tout aussi élogieux. Andrey Amador, le coureur de l’équipe Movistar qui est parti en vain à la chasse au Belge, a tweeté – avec un clin d’oeil, certes – qu’il venait d’être  » balayé par un phénomène « . Alberto Contador, la grande idole d’Evenepoel, a écrit en majuscules : B R U T A L ! ! ! Quant à Egan Bernal, il l’a félicité :  » Capo, quelle classe ! Really happy for you !  » Remco a répondu :  » Thanks amigo  » . Entre jeunes prodiges, on s’entend.

Un état d’esprit à la Merckx

Evenepoel s’est donc hissé au sommet bien plus tôt qu’on ne l’imaginait. Il a remporté sa première grande classique du WorldTour avec la manière : à 20 km de l’arrivée, il a lâché Andrey Amador et les autres coureurs de l’équipe Movistar avant de ne concéder que quelques secondes à Alejandro Valverde & Co dans l’ascension du Murgil-Tontorra et de s’imposer en solitaire.

C’est déjà la quatrième fois qu’il l’emporte de la sorte, cette saison, après ses solos aux Hammer Series, au Belgium Tour et à l’Adriatica Ionica Race. Aucun coureur du WorldTour n’a fait aussi bien cette année.

Cela en dit long quant à la classe d’Evenepoel mais aussi sur son état d’esprit à la Merckx : il n’attend pas, il attaque. Il dicte sa loi, comme Julian Alaphilippe, Mathieu van der Poel ou Egan Bernal. Mais ceux-ci on respectivement huit, cinq et trois ans de plus que le Brabançon qui, à 19 ans et 190 jours, a remporté la plus longue course qu’il ait jamais disputée (227 km alors qu’il n’avait jamais fait que deux fois plus de 220 km), sur un parcours comptant 3500 mètres de dénivelé qui plus est.

La dernière fois qu’un coureur sortant du Tour avait remporté cette classique, c’était en 2007. Mais Leonardo Bertagnolli avait ensuite vu son nom retiré du palmarès pour dopage. Il est vrai que, plus que les autres années, plusieurs stars du Tour étaient épuisées mentalement et physiquement : Alaphilippe, Bernal, Gaudu, Landa, Simon et Adam Yates, Benoot, Wellens… Tous on roulé avec le frein à main.

Il est vrai aussi que la Donostia-Donostia Klasikoa n’est pas Liège-Bastogne-Liège et ses 255 km ou le championnat du monde, une longue course que tout le monde veut gagner. Cette année, dans le Yorkshire, ce sera même 285 km. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a douze mois à peine, début août 2018, Evenepoel disputait encore Aubel-Thimister-Stavelot, une course de trois jours pour juniors avec des étapes de… 90 km.

Questions pour un champion

Un peu plus d’un an seulement après avoir troqué ses chaussures de football pour un vélo, le jeune homme de Schepdaal faisait déjà des entraînements de 150 km à des moyennes jamais vues pour un junior. Son endurance et des facultés de récupération exceptionnelles lui ont permis de passer chez les pros sans problème, de digérer 49 jours de course et de briller contre-la-montre, au point qu’il ne faudrait pas être surpris s’il décrochait une médaille aux championnats d’Europe à Alkmaar jeudi.

Mais le plus surprenant, dans tout cela, c’est surtout qu’Evenepoel progresse de mois en mois, de stage en stage (comme voici peu à Livigno). Alors qu’il a encore l’âge d’un coureur espoir première année, il défie toutes les lois de la physique. La question étant de savoir où cela va s’arrêter. Après deux ans et demi de course seulement, comment son coeur s’adaptera-t-il a des efforts de plus en plus importants ?

Combien de kilos de muscle prendra-t-il encore (actuellement, il ne pèse que 60 kilos et ses quadriceps ont déjà pris un fameux volume cette année) ? Cela ne risque-t-il pas de le désavantager lors des longues ascensions en montagne ?

Logiquement, c’est le seul terrain sur lequel il n’a pas pu rivaliser avec les professionnels expérimentés cette année. Il a terminé 15e du Tour des Émirats Arabes Unis -il était encore en surpoids -, 4e d’un Tour de Turquie auquel peu de bons coureurs participaient, 9e de l’Adriatica Ionica Race après une attaque téméraire aux Tre Cime di Lavaredo, la fameuse ascension lors de laquelle Eddy Merckx, alors âgé de 23 ans, avait jeté les bases de son premier succès au Giro en 1968.

Personne ne peut dire où Evenepoel en sera dans trois ans. Même pas lui. Jusqu’ici (et même après), il est absurde de l’appeler le nouveau Merckx. D’autant qu’aujourd’hui, on mise beaucoup plus sur les spécialités. Et qu’il faut compter sur de nouveaux prodiges comme Egan Bernal (22 ans) ou Tadej Pogacar (vainqueur du Tour de Californie à 20 ans). Ne disait-on pas, il y a dix jours à peine, que Bernal allait dominer le cyclisme mondial ?

Comme le Colombien, le Belge est ambitieux, audacieux, intelligent, résistant au stress, travailleur, gagneur et bien entouré. Cela devrait lui permettre de résister aux tentations et de ne pas devenir un deuxième Frank Vandenbroucke. Mais ce qui est sûr, c’est que, désormais, tout va changer pour lui. Et cet adversaire est bien plus difficile à combattre que les kilos ou que Bernal.

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