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Dauphiné Libéré: comment une règle absurde sur l’équipement a peut-être coûté la victoire à Wout Van Aert sur le contre-la-montre

« Un contre-la-montre est toujours équitable. Je dois accepter le résultat », a déclaré le toujours sportif Wout van Aert après sa deuxième place dans le contre-la-montre du Criterium du Dauphiné. Compte tenu du faible écart de deux secondes, le champion de Belgique bouillait pourtant intérieurement. Et pour de bonnes raisons.

Flashback sur le premier contre-la-montre du Giro à Budapest : Simon Yates s’impose à la surprise générale. Grâce à ses jambes bien sûr, mais aussi grâce à Marco Pinotti, spécialiste du contre-la-montre et ancien coureur, qui est parti à la recherche de ce que l’on appelle les marginal gains chez BikeExchange.

Parmi ceux-ci, une nouvelle combinaison faite sur mesure pour le corps de Yates et adaptée pour l’exercice chronométré. C’est l’entreprise britannique Vorteq qui l’a frabriquée et elle a été testée en profondeur dans la soufflerie de l’écurie de Formule 1, McLaren. Le côut de cette tenue, en dehors des frais de développement : 3200 euros.

Vorteq n’est pourtant pas le sponsor vestimentaire de l’équipe, mais cela n’a pas été un problème. Le nom du sponsor officiel Ale était imprimé sur la combinaison et il n’y a donc pas eu de pertes commerciales.

L’investissement a été rentabilisé puisque Yates, loin d’être un spécialiste de l’effort en solitaire, a devancé Mathieu van der Poel dans les rues de la capitale hongroise. La tenue spécialement conçue pour l’occasion a-t-elle fait la différence ? C’est possible, même si on ne peut pas l’affirmer avec certitude. Il n’y a certainement pas eu d’effet négatif.

Deux secondes

Lors du contre-la-montre du Criterium du Dauphiné, le leader du classement général Wout van Aert échoue pour le deuxième jour consécutif (après ses bras levés trop tôt dans un sprint contre David Gaudu) sur la plus mauvaise marche du podium de l’étape. Il a terminé à deux petites secondes du champion du monde de l’exercice,Filippo Ganna. Immédiatement après l’arrivée, il a poussé un grand  » f*ck  » et, par frustration, a laissé tomber violemment son vélo sur le sol.

Un peu plus tard, après avoir retrouvé ses esprits, Van Aert se montre sportif et élégant en allant féliciter son rival transalpin. Dans les interviews qui suivront, l’homme d’Herentals se montre toujours aussi calme. Il ne cherche pas d’excuses, comme souvent.

« Un contre-la-montre est toujours équitable. La différence n’est que de deux secondes. J’aime gagner, mais je dois l’accepter, car je suis battu par le champion du monde. Je ne gagnerai jamais avec une minute d’avance sur Ganna. Je dois donc être satisfait de cette performance », affirmera-t-il lors de ses différents entretiens avec la presse.

Le directeur sportif et entraîneur Mathieu Heijboer avançait une autre explication : « Je pense que Wout a réalisé le meilleur contre-la-montre aujourd’hui. Il était mieux que Ganna. » Il fait aussi référence au vent qui s’est levé au milieu du parcours et qui aurait désavantagé le Campinois.

Plusieurs rides

La combinaison de contre-la-montre portée par Wout van Aert est également évoquée par le directeur sportif. Il s’agissait pas d’une combinaison AGU, qui a développé selon ses dires « la tenue de contre-la-montre la plus rapide du monde » pour Jumbo-Visma. Elle n’a certainement pas été fabriquée sur mesure ou testée dans la soufflerie du professeur Bert Blocken de la TU Eindhoven.

Le nouvel équipementier du maillot jaune, Santini (qui sera aussi bientôt le même pour les différentes tuniques distinctives du Tour) est une marque italienne de qualité bien connue, mais sa combinaison de contre-la-montre souffre de la comparaison avec celle développée par l’entreprise belge Bioracer pour Filippo Ganna ou la tenue AGU fabriquée sur mesure pour Wout van Aert. Ne serait-ce que pour une question de coupe.

Wout Van Aert ne portait pas sa combinaison habituelle sur ce contre-la-montre du Dauphiné Libéré.
Wout Van Aert ne portait pas sa combinaison habituelle sur ce contre-la-montre du Dauphiné Libéré.© iStock

Ces détails, a priori insignifiants pour les quidams, se voient clairement sur les photos. On peut constater la présence de beaucoup de plis, surtout autour du cou et sur les bras, sans que les ourlets soient bien ajustés au corps. Selon les spécialistes, Van Aert a probablement perdu jusqu’à 10 secondes à cause de ces petits détails. Le Belge s’est incliné que pour deux secondes et c’est donc pour ça qu’il fut dans un premier temps frustré au moment de descendre de son vélo. Le vent s’est levé, c’est ennuyeux, mais une cause externe, naturelle qui ne dépend pas de vous. Avant, Van Aert aurait sans doute plus difficilement gardé sonc calme, mais il a pris beaucoup de recul à ce sujet avec les années.

Normalement, vous devriez pouvoir porter votre propre combinaison de contre-la-montre dans le sport de haut-niveau. Mais dans le cyclisme, il règne parfois toujours un certain amateurisme et les intérêts personnels des sponsors prennent parfois le dessus sur le sport.

Un coureur qui ne porte pas le maillot de leader ou une combinaison officielle de la course en question peut se voir infliger une amende de 500 euros par les règlements de l’UCI. La sanction peut même aller plus loin avec une impossibilité de prendre le départ ou une disqualification. Il n’est donc pas question de porter sa propre tenue de contre-la-montre, même en remplaçant le nom del’équipementier de l’équipe par celui de l’épreuve.

Une aberration au haut niveau

Oui, le sport de haut niveau, grâce au pouvoir de l’argent, ne se joue jamais à armes égales. Il est vrai que les coureurs de Jumbo Visma ont la chance de disposer de vélos plus aérodynamiques grâce à Cervélo, ce qui n’est pas le cas d’autres formations plus petites et même plus grandes. Mais ils ont investi beaucoup de temps, d’énergie et d’argent dans ce domaine.

Comme dans le développement de leurs combinaisons de contre-la-montre. Imposer au leader ou porteur d’un maillot distinctif le port d’une tenue x pour cent moins aérodynamique à cause d’une règle absurde de l’UCI est une aberration par rapport à ce que l’on attend du sport de haut niveau.

Un peu comme si le pilote de F1 le plus rapide après les qualifications du GP devait rouler avec des pneus moins performants que ses concurrents, parce que la FIA possède son propre manufacturier. Comme si le sprinteur de 100 m le plus rapide en demi-finale des Jeux olympiques devait courir la finale avec un parachute. C’est comme si les joueurs de la meilleure équipe de la saison régulière de la NBA devaient disputer les playoffs avec des crampons de footballeurs. Vous aurez compris la logique.

Bien sûr, ces comparaisons sont quelque peu exagérées, mais les faits sont là. Il s’agit d’un désavantage concurrentiel délibérément et absurdement imposé. Imaginez qu’un coureur perde le Tour de France à cause de cela, ou un titre mondial de contre-la-montre. On parle de détails qui pourraient coûter plusieurs centaines de milliers d’euros à un coureur et à son équipe, tout ça parce que dans le cyclisme, le conservatisme et l’amateurisme prévalent encore.

Chers directeurs d’équipe et coureurs : ne vous contentez pas de soulever cette question en coulisses, faites le aussi à haute voix et par tous les canaux, à l’UCI. Et si le vent ne se lève pas et qu’il n’y a pas de défaillance de l’équipement, ce sera toujours le plus rapide qui s’imposera au terme d’un contre-la-montre.

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