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Avec Van Wilder, Vervaeke et Schmid, Quick Step veut entourer Evenepoel sur les grands tours

Fabien Chaliaud Journaliste

Réputée équipe de classiques, la formation belge ambitionne désormais de briller sur les épreuves de 3 semaines avec Remco Evenepoel. Encore faut-il pouvoir l’entourer convenablement.

Patrick Lefevere n’est pas du genre à délier les cordons de la bourse sans bonne raison, même lorsqu’il veut attirer un jeune coureur à fort potentiel. Les moeurs étaient sans doute quelque peu différentes il y a presque 20 ans, mais quand Tom Boonen a voulu rejoindre la formation belge en provenance de l’US Postal, il avait dû racheter sa dernière année de contrat avec l’escouade de Lance Armstrong. Un montant estimé aux alentours des 200.000 euros. Autant dire que l’on fut un peu surpris de l’annonce de la venue d’Ilan Van Wilder au sein de la formation Quick Step ce jeudi soir.

UN TRANSFERT, DE L’INEDIT CHEZ QUICK STEP

D’après les premières informations, Lefevere aurait mis de sa poche pour reprendre la dernière année de contrat qu’il restait au jeune coureur belge chez les Allemands de DSM. Le big boss serait-il si sûr de son coup ? On le sait, le natif de Moorslede fait rarement dans le sentiment quand il s’agit d’argent. Ceux qui veulent un trop gros contrat et qui ne le méritent pas à ses yeux peuvent aller se vendre ailleurs. Le coeur a ses raisons que la bourse de l’oncle Lefevere oublie. Mark Cavendish est d’ailleurs encore dans le cas puisqu’il n’a toujours pas prolongé au sein de l’équipe la plus prolifique en victoires de la saison écoulée. Mais cela sera-t-il encore possible puisqu’Ilan Van Wilder est devenu le 30e coureur actuellement sous contrat dans le Wolfpack ?

Pour rejoindre Quick Step en 2003, Tornado Tom avait dû payer aux environs de 200 000 euros à l'US Postal. Un choix qu'il n'a pas regretté comme en atteste son impressionnant palmarès même si Patrick Lefevere ne l'a pas prolongé à n'importe quel prix quand les succès ont commencé à être moins nombreux.
Pour rejoindre Quick Step en 2003, Tornado Tom avait dû payer aux environs de 200 000 euros à l’US Postal. Un choix qu’il n’a pas regretté comme en atteste son impressionnant palmarès même si Patrick Lefevere ne l’a pas prolongé à n’importe quel prix quand les succès ont commencé à être moins nombreux.© iStock

LES SPRINTEURS SACRIFIES ?

Les règlements permettraient à une équipe World Tour d’avoir 30 coureurs professionnels et deux néo-professionnels en son sein. Quick Step-Alpha Vinyl, le nouveau nom de l’équipe à partir du 1er janvier, compte deux nouveaux dans les pelotons avec le Britannique Ethan Vernon et le Slovaque Martin Svrcek. Il resterait donc théoriquement une place de libre pour compléter l’effectif en 2022. Mais Cavendish reverra-t-il ses prétentions financières à la baisse dans l’espoir de dépasser le record de victoires d’Eddy Merckx lors du prochain Tour de France ? Il devra réfléchir s’il peut trouver un environnement aussi propice à la victoire ailleurs dans le peloton. Chez Quick Step, le Manx Express peut compter sur le meilleur poisson-pilote du moment, actuellement en tête des Six jours de Gand, en la personne du Danois Michael Morkov. Et l’équipe alignée dans l’Hexagone en juillet prochain devrait encore être axée sur les victoires d’étapes puisque Remco Evenepoel ne disputera que la Vuelta à la mi-août. Autant dire que Cavendish devra mettre tous ces éléments dans la balance avec le fait bien légitime qu’à désormais 36 ans, il ambitionne aussi un dernier joli contrat, lui qui a accepté de courir à des conditions beaucoup plus faibles pour relancer sa carrière en 2021.

Le sprinteur ne devra pas non plus oublier que Patrick Lefevere s’est rassuré avec le retour en forme de Fabio Jakobsen. Après sa grave chute lors d’un sprint houleux avec Dylan Groenewegen au Tour de Pologne en 2020, on ne savait pas quand le Néerlandais grièvement blessé, notamment au visage, allait retrouver les jambes lui permettant de regagner des sprints de haut niveau. Lors de la dernière Vuelta, le sprinteur de 25 ans s’est rassuré et a rassuré ses employeurs avec trois bouquets d’étape, même si de son propre aveu, il ne prendra sans doute plus autant de risques que par le passé dans les dernières lignes droites. En plus de lui, Quick Step peut aussi compter sur Davide Ballerini ou Jannik Steimle pour remporter des emballages groupés. Pour l’instant, l’Italien et l’Allemand n’ont brillé dans ce domaine que sur des épreuves de réputation moindre ou dans des sprints en petit comité. L’équipe belge espère les faire progresser (ils n’ont que 27 et 25 ans) et répartir le budget qu’elle consacrait à des sprinteurs de classe mondiale comme Sam Bennett pour le redistribuer dans des coureurs offrant un autre profil.

Si elle vise les grands tours à long terme, la Quick.Step doit continuer à briller sur les classiques importantes pour ses principaux partenaires financiers. Et avec Asgreen et Alaphilippe, il y aura encore de quoi faire.
Si elle vise les grands tours à long terme, la Quick.Step doit continuer à briller sur les classiques importantes pour ses principaux partenaires financiers. Et avec Asgreen et Alaphilippe, il y aura encore de quoi faire.© iStock

LES CLASSIQUES POUR LE COURT TERME, LA JEUNESSE DOREE POUR VISER LES TOURS à LONG TERME

Car si l’équipe a conservé la structure de sa meute pour les classiques avec les prolongations à moyen et long terme des Julian Alaphilippe, Kasper Asgreen, Yves Lampaert, Florian Sénéchal, Mikkel Honoré, Andrea Bagioli tout en conservant encore l’expérimenté Zdenek Stybar pour encore une saison, elle ambitionne désormais de briller sur le terrain des épreuves de trois semaines grâce à Remco Evenepoel lié jusqu’en 2026 au Wolfpack.

Pourtant, Lefevere a dû laisser filer un coureur ayant démontré sur ses deux derniers Giro qu’il aurait pu être un co-leader ou un lieutenant de très haut niveau pour le petit prodige de Schepdaal. Le Portugais Joao Almeida, influencé par le sens des gros contrats de son agent Jorge Mendes, a préféré quitter une formation pouvant lui offrir des perspectives individuelles pour l’UAE où il risque de se contenter de l’ombre bien oppressante d’un Tadej Pogacar qui a justifié son statut de souverain absolu de la formation de Mauro Gianetti et qui est surtout capable de briller sur les courses par étapes comme sur des classiques du style Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Il l’a prouvé en les remportant cette année. Et ce terrain, c’est aussi celui qu’affectionne un Joao Almeida qui aura en plus dans son équipe un Marc Hirschi souvent inspiré par ces courses.

Autant dire qu’il fallait trouver un coureur digne de ce nom pour remplacer le Lusitanien et surtout qui puisse cohabiter sans frictions avec Evenepoel. Ilan Van Wilder connaît parfaitement le « Petit Cannibale » puisqu’il a souvent couru à ses côtés en équipe nationale chez les Juniors.

Celui qui est né à Jette quelques mois après Remco a bien compris que ce dernier disposait d’une palette de coureur bien plus complète que la sienne, même s’il dispose évidemment de qualités qui doivent lui permettre de réussir de belles choses sur les courses par étapes. Troisième du Tour de l’Avenir 2019 remporté par le Norvégien Tobias Foss (9e du dernier Giro), il a devancé des coureurs comme Clément Champoussin (4e) ou son nouvel équipier Mauri Vansevenant (6e). Chez les pros, sa relation avec l’équipe DSM a plus ressemblé à du BDSM et de nombreuses tensions ont animé leur collaboration.

Van Wilder s’est surtout distingué sur des chronos comme en attestent sa quatrième place sur le contre-la-montre du Tour de Romandie, sa cinquième sur celui du Dauphiné Libéré et sa quatrième sur le championnat de Belgique de l’effort individuel. Mais en montagne, celui qui n’est pas sur le papier un mauvais grimpeur, a souvent péché. Avant l’arrivée au sommet de Thyon 2000 en Romandie, il est 8e du général. Sous une pluie battante, il s’effondre en ne terminant que 24e et chute à la 17e place. Il remontera ensuite d’une place grâce à son contre-la-montre. Au Dauphiné Libéré, porteur du maillot blanc et 5e du général avant le dernier week-end montagneux, il s’effondre sur la route de La Plagne et tombe à la 24e place. Il abandonne dès le lendemain. Lors du Tour de l’Ain en 2020, c’était le Grand Colombier qui avait précipité la chute de Van Wilder alors qu’il occupait la 12e place du général.

Mauro Schmid s'est imposé sur l'étape des routes blanches lors du dernier Giro. S'il est présenté comme un excellent grimpeur, il ne s'est pour l'instant illustrer qu'en moyenne montagne.
Mauro Schmid s’est imposé sur l’étape des routes blanches lors du dernier Giro. S’il est présenté comme un excellent grimpeur, il ne s’est pour l’instant illustrer qu’en moyenne montagne.© iStock

DU GROS POTENTIEL MAIS ENCORE AUCUNE REFERENCE EN HAUTE MONTAGNE

Si le transfert du jeune belge apparaît comme un gros coup sur le papier, il faudra qu’il progresse en montagne, un peu comme Remco Evenepoel qui doit encore prouver pas mal dans ce domaine, même s’il ne faut pas oublier que 2021 était une année de reconstruction après sa terrible chute du Tour de Lombardie. Mais en attendant les évolutions de sa jeune recrue, Patrick Lefevere n’a pas trouvé un remplaçant immédiat à Joao Almeida. Le fait que Evenepoel lui-même ait besoin de plus de temps pour être prêt à briller sur un format de trois semaines a peut-être guidé le choix du Boss du Wolfpack à voir à plus long terme.

Le recrutement de Mauro Schmid, le Suisse laissé libre par une Qhubeka qui a mis la clé sous la porte est une autre preuve de cette idée. Il est à peine plus âgé que Remco Evenepoel et s’est déjà offert une victoire de prestige sur le dernier Giro, lors de l’étape des routes blanches qui furent fatales à son nouveau leader. Schmid est un grimpeur mais n’a pas encore montré ses aptitudes en haute montagne. Mais il possède évidemment une grosse marge de progression.

A ce trio, il ne faut pas oublier Mauri Vansevenant, né en 99 comme Schmid, et qui est aussi promis à un bel avenir dès que la route s’élève. Avec quatre grosses promesses, dont trois Belges, âgées d’à peine 21 et 22 ans, Patrick Lefevere voit plus loin que les prochains mois, ce qu’il ne peut pas se permettre sur le terrain des classiques, importantes pour ses principaux partenaires financiers et où il doit obtenir le maximum de résultats chaque année. Les grands tours sont avant tout une question de prestige pour le manager qui n’a jamais réussi à faire briller l’un de ses coureurs sur ce format. Il a bien essayé avec des Gianni Bugno, Pavel Tonkov, José Antonio Pecharroman ou José Rujano par le passé, mais les résultats furent assez décevants. Il y a trois ans, il a obtenu un podium sur la Vuelta grâce à Enric Mas, mais l’Espagnol n’est pas resté, tout comme Almeida, quatrième en 2020 et sixième cette année sur le Giro d’Italia.

Louis Vervaeke était promis aux podiums (et peut-être plus) sur les grands tours. Le voici désormais guide d'une jeune génération de loups aux dents longues.
Louis Vervaeke était promis aux podiums (et peut-être plus) sur les grands tours. Le voici désormais guide d’une jeune génération de loups aux dents longues.© iStock

VERVAEKE, LE GRAND ESPOIR DECHU QUI PEUT APPRENDRE AUX GRANDES PROMESSES

Pour épauler ses jeunes promesses, Lefevere n’a pas oublié d’inclure quelques coureurs d’expérience. Deuxième du Tour de Lombardie derrière Pogacar, Fausto Masnada, 28 ans, fut 9e du Tour d’Italie en 2020. Mattia Cattaneo, 31 ans, a terminé 9e du Tour de Romandie et 12e du Tour de France cette année. S’il n’a pas vraiment confirmé tous les espoirs placés en lui, le Britannique James Knox n’est pas non plus un mauvais grimpeur et peut donc s’avérer utile pour protéger un leader dès que la route s’élève. Ce trio n’a pas empêché Quick Step de mettre aussi le grapin sur un autre coureur putôt à l’aise en montagne: Louis Vervaeke.

Chez Fenix Alpecin, il a retrouvé un certain niveau, lui qui était promis aux sommets au début de sa carrière chez Lotto. Beaucoup voyaient en lui le coureur capable de briller sur les grands tours mais des blessures et un mental fragile l’ont un peu fait passer à côté de son sujet. Un passage chez Sunweb n’a pas relancé la carrière du coureur de Renaix qui rêvait de podium sur le Tour mais n’avait jusqu’à présent pas fait mieux qu’une 89e place finale sur la Vuelta pour trois abandons au Giro. Sur ce dernier, en 2021, il s’est souvent montré à l’avant, occupant même un moment la 2e place du général provisoire (au soir de la 5e étape) pour terminer 20e à l’arrivée à Milan.

Ses mauvaises expériences couplées à ses qualités naturelles peuvent être de précieux atouts pour ses 3 cadets de compatriotes dont l’on attend monts et merveilles. A bientôt 29 ans, Vervaeke arrive dans ce qui sont théoriquement ses plus belles années et sa contribution pourrait être plus qu’intéressante pour une meute de jeunes loups affamés prête à se parer de jaune.

On le voit, avec son recrutement, Patrick Lefevere a décidé de miser sur l’avenir et de mettre un peu plus l’accent sur les coureurs de tours quitte à sacrifier des sprints qui lui ont rapportés pas mal de bouquets faciles par le passé. Mais il faudra de la patience pour qu’une meute à la culture classique évolue vers celle de la patience et de la gestion que nécessitent les courses de 3 semaines.

L’équipe Ineos a bien tenté d’importer son modèle du Tour de France sur les Monuments du printemps sans obtenir de grands résultats. L’inverse est-il possible ? Avec de la patience et un peu de magie des sorciers Lefevere et Van Mol, peut-être que le rêve de voir un Belge sur la plus haute marche du podium à Paris deviendra réalité.

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