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Comment le coronavirus bouleverse le secteur des paris

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les parieurs et les sociétés de paris n’ont plus grand chose à se mettre sous la dent. Et ça pourrait avoir des répercussions sur le foot belge.

Un mardi de mi-avril. Un accro aux paris en ligne devrait pouvoir se régaler. Ce soir, c’est Ligue des Champions, avec des matches retour des quarts de finale. Ça pourrait concerner le Paris Saint-Germain, le Real, le Bayern, le Barça. Possible, aussi, de déjà miser sur la Flèche Brabançonne du lendemain. Et également sur du plus long terme. Sur le champion du monde de Formule 1 cuvée 2020, par exemple.

Rien de tout ça. Aucune offre de paris en cyclisme. Aucune offre en Formule 1… Ou si, quand même, mais en e-sport. Vous voulez absolument du foot ? Il y a en cours un Angleterre – Espagne et un Pays-Bas – Portugal. Alléchant. Mais c’est aussi du foot virtuel. Si vous tenez à tout prix à parier sur du vrai football, il n’y a, en ce moment, que deux possibilités : des matches en Biélorussie et d’autres au Nicaragua. On trouve aussi, dans l’offre sportive, quelques rencontres de tennis et de hockey sur glace en Russie. Du baseball à Taïwan. Du ping-pong en Ukraine. Et un grand rendez-vous de fléchettes : The Modus Icons of Darts, rien de moins. Un tournoi où les participants jouent tous de chez eux ! Confinement oblige.

Rien de sexy pour un parieur, donc. S’il veut plus glamour, il doit accepter de placer dès aujourd’hui un bet sur un événement très éloigné dans le temps. L’élection présidentielle américaine, en novembre prochain. Donald Trump est coté à 1.80, Joe Biden à 2.25, Andrew Cuomo (devenu une star dans l’État de New York pour ses initiatives dans la gestion du Covid-19, mais pas officiellement candidat du côté démocrate) à 34. Et good old Hillary Clinton (pas candidate déclarée non plus) à 41. Si vous cherchez du glamour en restant dans le sport, il y a les paris sur le pays qui récoltera le plus de médailles aux Jeux de Tokyo, dans plus d’un an donc. Misez sur les États-Unis. C’est un placement sûr, mais c’est du jeu petit bras avec une cote de 1.10 seulement. Vous avez envie de risque ? La Chine, c’est un rapport de 7. Une autre agence de paris propose de miser sur le nombre de followers que le journaliste flamand Peter Vandenbempt ( VRT) atteindra sur Instagram. Bref, tout est bon.

 » Cette année est foutue  »

Partout dans le monde, la crise du coronavirus a un impact énorme sur le quotidien des parieurs. Et elle provoque une catastrophe sans précédent dans les sociétés de paris. Tour d’horizon.

Déjà, on sait que le secteur restera à l’arrêt pendant tout l’été. Un contraste saisissant avec l’été 2018, qui a marqué un tournant dans l’histoire des paris en ligne chez nous. La Coupe du monde a permis de battre tous les records, en raison d’un matraquage publicitaire et du parcours des Diables. Pendant le Mondial, on a recensé 300.000 parieurs en Belgique, et près d’un sur deux ne s’était jamais pris au jeu avant ça. C’est le jour de la demi-finale contre la France que le nombre de nouveaux joueurs a explosé. Rien que sur des matches du tournoi russe, les Belges ont misé 334 millions d’euros.

 » Cette année est foutue « , a déclaré un patron de Napoleon Games dans Le Soir. Sa société a dû fermer subitement ses 25 salles de jeux et ses deux casinos. À cause du confinement, on aurait pu croire que les Belges allaient se rabattre sur les jeux en ligne, mais ça n’a jamais percuté.  » Il n’y a plus de sport, donc plus de paris sportifs « , poursuit-il.  » Et on ne constate pas de report significatif vers les jeux de casino en ligne.  » Toujours dans le même quotidien, un responsable d’Ardent Group (qui chapeaute notamment le site circus.be) explique que les sociétés de paris se sont solidairement engagées à ne pas profiter du coronavirus pour attirer de nouveaux joueurs.  » La responsabilité de notre secteur est de ne pas utiliser cette période pour faire de la promotion.  » Dans leur directive commune, on lit que  » la publicité ne peut pas suggérer que les jeux de hasard soient une solution aux problèmes sociaux, personnels ou financiers, ou une solution à l’ennui.  »

 » Tout le monde va en prendre plein la gueule  »

À l’étranger, le patron de l’Association Française des Jeux en Ligne (AFJEL) a lancé un cri d’alarme au tout début du mois d’avril.  » C’est un désastre. Tout le monde va en prendre plein la gueule (…) On est facilement à 90 % de chute du chiffre d’affaires.  » Quand les sports les plus populaires se sont mis à l’arrêt, les joueurs ont hésité à se rabattre sur des disciplines moins connues et moins excitantes. Ceux qui ont continué à jouer se sont plutôt tournés vers le poker. Mais cette nouvelle clientèle n’a pas suffi, loin de là, à compenser les pertes de paris sportifs, notamment parce que les mises sont moins importantes en poker.

La tendance est différente en Espagne. Là-bas, de très nombreux habitués de paris sportifs se sont tournés vers le poker dès l’arrêt des compétitions. Et vers d’autres jeux addictifs. Au point que le gouvernement a dare-dare interdit la plupart des publicités. Le ministre de la Consommation a lâché :  » C’est une situation explosive qui peut dévier vers un problème pathologique pour certains groupes sociaux.  »

Retour en France, qui est aussi le pays du tiercé et de l’emblématique PMU. Dix jours après l’annonce de l’arrêt des compétitions sportives, dont les courses de chevaux, cette société mettait 95 % de ses 1.250 salariés au chômage. Le secteur sortait de quelques années difficiles, mais avait su amorcer une reprise en 2019. Tout sera à refaire. Le PMU a officiellement pour mission de  » financer la filière hippique et ses dizaines de milliers d’emplois directs et indirects.  » Depuis 2010, l’entreprise s’est diversifiée dans d’autres activités, comme les paris sportifs et le poker, tandis que les mises au PMU sur les courses hippiques ont représenté 7,6 milliards d’euros l’année passée. Là-bas aussi, on s’attend à un bain de sang, financier et social. Même son de cloche à la Française des Jeux (deux milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019) où on a déjà budgétisé un recul historique.

Des conséquences pour les clubs ?

Quinze des seize clubs de Pro League sont sponsorisés par une société de paris sportifs. Seul Eupen n’a jamais craqué  » pour des raisons philosophiques.  » Au milieu de cette  » catastrophe sans nom « , copyright d’un responsable d’Ardent Group dans SudPresse, certains de ces sponsors préparent une riposte. Comme les chaînes de télé qui possèdent les droits, ils pourraient réclamer un remboursement des montants versés, vu que tous les matches prévus n’auront pas lieu. Et on entend que le même raisonnement prévaut dans les sociétés de paris qui soutiennent des équipes cyclistes.

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