© getty

Un an après, l’ombre de Kobe Bryant plane toujours sur L.A.

En 2020, Kobe Bryant était la personne dont le nom apparaissait le plus souvent sur Twitter, après Donald Trump, Joe Biden et George Floyd. Près d’un an après sa mort, le 26 janvier, il laisse derrière lui un héritage plus concret que jamais. Celui-ci dépasse largement le cadre du basket. What still smells like Kobe’s spirit? Petit aperçu, basé sur cinq facettes de Black Mamba.

Icône de Los Angeles

Le dimanche 26 janvier 2020, on en est encore aux prémices de la pandémie du coronavirus. À l’époque, le décès inopiné de Kobe Bryant (41 ans) et de sa fille Gianna (treize ans) dans un accident d’hélicoptère est considéré par des millions de fans de NBA et des Lakers comme ce qui peut arriver de pire en 2020. À Los Angeles, en particulier, la tristesse est immense. Kobe l’immortel n’est plus de ce monde. Et le sourire rayonnant de Gigi n’apparaîtra plus jamais sur son visage d’enfant. Les sept autres occupants de l’appareil sont tués eux aussi.

En vingt ans, Los Angeles a vu un jeune adolescent devenir un adulte confirmé, et un membre à part entière de la famille.

Des milliers de fleurs, de bougies, de maillots et de messages de condoléances sont déposés au Staples Center, antre des LA Lakers, ou au pied des peintures murales de Bryant disséminées dans tout LA ( voir encadré). Il faut dire que le joueur devient une icône dans la Cité des anges dès 1996, lorsqu’il passe directement de la High School à la NBA pour propulser les Lakers vers de nouveaux sommets aux côtés de Shaquille O’Neal.  » I know I can do it« , prédit-il alors.

Bryant tiendra sa promesse, en offrant cinq titres NBA au cours d’une illustre carrière étalée sur vingt ans. Au début, il n’est pourtant pas considéré comme un ange. Plutôt comme un égoïste asocial, froid, et ingérable. Le contraste avec Shaquille, le gentil géant adoré de tous, ne peut être plus marqué. Bryant sera trois fois champion (de 2000 à 2002) avec Shaq, mais les deux hommes se disputent souvent. O’Neal reproche à son cadet de tomber dans la facilité. Lorsque la rupture est consommée, et que Bryant se retrouve accusé de viol, ses détracteurs sont aussi nombreux que ses fans.

« Lorsqu’il demandait le ballon, il ne criait pas. Il… sifflait. Comme un serpent « , se souvient Joel Embiid, la vedette des Philadelphia 76ers.© BELGAIMAGE

Une balance qu’il fait pencher en sa faveur dès l’année suivante, grâce à son comportement et à la conquête de deux nouveaux titres (en 2009 et 2010), mais sans O’Neal, cette fois. En vingt ans, LA voit un jeune adolescent devenir un adulte confirmé, et un membre à part entière de la famille. Le légendaire joueur des Lakers le souligne lui-même dans son discours d’adieu, prononcé en avril 2016, au terme de son dernier match mémorable contre Utah Jazz, au cours duquel il inscrit soixante points. « Nous ( lui et la ville, ndlr) avons connu beaucoup de hauts et de bas. Le plus important, c’est que nous soyons restés soudés durant toutes ces années. »

Cette fidélité a tissé un lien indélébile entre Kobe et Los Angeles. Peu de temps après sa retraite, la ville déclare même le 24 août (24/08) Kobe Bryant Day, en référence à ses numéros de maillots. Et après sa mort, elle rebaptise une partie de Figueroa Street, une artère située près du Staples Center, Kobe Bryant Boulevard. Comme pour le consacrer parmi les Anges de Los Angeles.

Source d’inspiration

Certes, seuls Michael Jordan et LeBron James sont cités dans le débat concernant The GOAT, le plus grand de tous les temps. Mais Kobe Bryant est l’idole de nombreuses jeunes stars de la NBA. Car lorsque les champions actuels étaient gamins, Bryant était au sommet de son art. Une idolâtrie également liée à son image. Celle d’un perfectionniste implacable, dont le titre de l’article qu’il écrit dans The Players’ Tribune veut tout dire:  » Obsession is natural. » Il véhicule en outre l’image d’une bête d’entraînement, capable de supporter la douleur comme nul autre. Celle d’un tueur doté de la Mamba Mentality, surnommé ainsi en référence au serpent le plus rapide et le plus dangereux du monde.

C’est aussi le fil rouge de la campagne lancée l’été dernier par l’équipementier sportif Nike. Une ode au perfectionnisme de Bryant, mise en musique par le rappeur Kendrick Lamar. Comme joueur, père, ami, leader, orateur, personnage inspirant… Cette dernière facette n’est pas la moins importante. Car malgré sa réputation individualiste, Bryant devient durant la deuxième partie de sa carrière, et encore par la suite, le mentor personnel de joueurs tels que Kyrie Irving ou Anthony Davis. Mais aussi de leurs homologues féminines de la WNBA ( voir dernier point) ou de vedettes d’autres sports, comme les joueurs de baseball Álex Rodríguez et de football américain Michael Vick. Bryant tisse aussi un lien très solide avec son idole ultime, Michael Jordan. On s’en est aperçu lors de la cérémonie d’adieu de Kobe et Gianna au Staples Center. Durant celle-ci, MJ n’a pas pu retenir ses larmes, ce qui lui arrive rarement, au moment d’évoquer son  » little brother« , en qui il s’était reconnu pour sa passion. LeBron James, qui a rejoint les Lakers la saison précédente, s’est également débarrassé de son aide-mémoire, qui contenait un discours classique, pour laisser parler son coeur.

Près de sept mois plus tard, un autre moment très émouvant a lieu le 23 août, le jour où Bryant aurait dû fêter son 42e anniversaire. LeBron James poste sur Instagram: « Happy Bday my brother! Miss you man! #LongLive #GoneButNeverEverForgotten » Il y joint une vidéo datant des Jeux Olympiques de Pékin (2008), où l’on découvre les joueurs du Team USA chanter Happy Birthday à l’adresse de Bryant, qui tient la petite Gianna, alors âgée de deux ans, dans ses bras.

Le même jour, LeBron James débarque dans un tout autre contexte: les play-offs, disputés dans la bulle du complexe sportif de Disney World à Orlando, où la NBA s’est réfugiée pour terminer la saison malgré la crise du coronavirus. Une époque déprimante, loin de la famille, mais James et ses équipiers des Lakers s’inspirent quotidiennement de Bryant pendant ces trois mois. Sur le vol qui l’emmène en Floride, Anthony Davis porte un t-shirt sur lequel figurent des photos de Kobe et Gianna. Et tous les joueurs écrivent le slogan de Bryant  » Leave a legacy » (Laisse un héritage) sur des panneaux placés dans la bulle d’Orlando. Ils terminent aussi chaque entraînement, temps mort et rassemblement par un  » One, two, three, Mamba! » Et le 24/08, jour du Kobe Bryant Day et de leur match de play-offs contre Portland, ils portent des maillots Black Mamba, sur lesquels on aperçoit un petit coeur dans lequel est gravé le numéro 2, celui que portait Gianna. Coïncidence: l’espace d’un instant, le marquoir de la rencontre indique le score de… 24-8. Et LeBron James le ressent:  » Kobe is here. »

Kobe Bryant est resté vingt ans avec son épouse Vanessa Laine, qui ne l'a pas laissé tomber après les accusations de viol pesant contre lui.
Kobe Bryant est resté vingt ans avec son épouse Vanessa Laine, qui ne l’a pas laissé tomber après les accusations de viol pesant contre lui.© BELGAIMAGE

Selon James, il ne se passe pas un jour sans que l’on ne parle de Bryant et de sa Mamba Mentality. Après un mauvais match, Anthony Davis se demande par exemple quel conseil Kobe lui aurait donné. Ces pensées sont une source de motivation sur le chemin qui mène les Lakers vers le titre, début octobre. Un titre qu’ils dédient évidemment à Bryant. Un hommage que l’on retrouve aussi sur les traditionnelles bagues de champions, confectionnées pour chaque joueur. Elles comportent un serpent Mamba gravé derrière chaque numéro de maillot. Et à l’intérieur de la bague, qui peut s’ouvrir, se trouvent de minuscules maillots d’anciennes vedettes des Lakers, dont deux maillots de Bryant, floqués des numéros 8 et 24.

De nombreux autres joueurs de NBA rendent encore hommage à Kobe. En portant ses chaussures, en racontant des anecdotes à son sujet lors d’interviewes, en expliquant comment Bryant les a inspirés, par exemple. C’est ainsi que Joel Embiid, la vedette des Philadelphia 76ers, révèle quel bruit Kobe émettait pendant les matches lorsqu’il demandait le ballon. « Il ne criait pas. Il… sifflait. Comme un serpent. »

Conteur d’histoires

Au fil de sa carrière, Kobe Bryant a plusieurs fois dû revenir de blessures, et s’est rendu compte de l’importance du storytelling: ce qui se cache derrière les points, les assists et les rebonds. C’est Jeanne Mastriano, sa professeure d’anglais en High School, qui lui fait prendre conscience de cela. Bryant a expliqué la manière dont il a dû se battre contre lui-même, avec son tempérament égoïste et cette obsession de toujours vouloir devenir le meilleur et de le rester. Ou, comme il le disait lui-même: « Contre le mauvais côté de la greatness. » C’est pour cette raison qu’il s’est surnommé Black Mamba, un serpent mortel qui exorcise ses démons sur un terrain de basket. Cela ne l’empêchait pas de vouer un amour fou à son sport.

À l’approche de sa retraite, cette passion s’est incarnée dans le poème Dear Basketball, publié sur The Players’ Tribune, la plateforme en ligne qui permet aux athlètes de raconter leur propre histoire et dans laquelle – ce n’est pas un hasard – il a été l’un des premiers à (s’)investir. Suite aux réactions très positives, Bryant a décidé de réaliser un court-métrage à partir de ce poème. Son succès s’est révélé encore plus retentissant, avec un Oscar dans la catégorie courts métrages d’animation à la clé, en 2018.

Cette récompense procure à Bryant une plus grande satisfaction encore que n’importe quel trophée décerné par la NBA. Voilà sa nouvelle obsession: avec Granity Studios, une boîte de prod’ qu’il crée en 2013, il édite des livres, produit des podcasts et des films très appréciés des enfants et des ados. Avec comme fil rouge: transmettre la passion du sport. Dans une série de livres, on retrouve une jeune fille orpheline, qui rêve d’une carrière dans le tennis et se nomme… Legacy (Héritage, en VF). Bryant veut également laisser une trace avec ses récits. En inspirant non pas une, mais plusieurs générations.

Un rêve qui, malgré son décès, ne s’est pas évaporé, car Granity Studios continue de sortir des livres et des séries télévisées, sur base des idées que Bryant avait déjà couchées sur papier.

Homme d’affaires

En plus de Granity Studios, Bryant s’est bâti un empire dans le monde des affaires. En 2014, il se lance dans un investissement de six millions de dollars en faveur du nouveau fabricant de boissons énergisantes, Body Armor. Des actions qui rapportent 200 millions de dollars, après leur revente à Coca-Cola. Bryant crée simultanément sa société Kobe Inc. et – en collaboration avec l’homme d’affaires Jeff Stibel – Bryant Stibel & Venture Capital. Une société qui lui permet d’investir cent millions de dollars dans VIPKid, une plateforme en ligne pour enfants, dans Scopely, un bureau de création de jeux vidéo, et dans Art of Sport, une société qui fabrique de produits de soin destinés aux sportifs.

Sous les yeux des caméras, Kobe Bryant montrait à sa fille Gianna la technique des vedettes de la WNBA.
Sous les yeux des caméras, Kobe Bryant montrait à sa fille Gianna la technique des vedettes de la WNBA.© BELGAIMAGE

À chaque fois, l’idée est de développer un nouveau concept dans lequel il aurait lui-même un apport important. HyperIce constitue un autre exemple: c’est un producteur d’appareils de récupération, que Bryant contribue à développer durant ses dernières années comme joueur. Avec succès, car HyperIce est devenu depuis partenaire officiel de la NBA et de la NFL.

Ces investissements, Bryant peut les réaliser grâce aux 328 millions de dollars amassés en vingt saisons comme joueur. Il faut y ajouter les contrats de sponsoring, comme les vingt millions de dollars qui lui sont versés annuellement pour la vente à Nike de ses chaussures Mamba et de sa ligne de vêtements. Après le décès de Bryant, Nike a encore lancé plusieurs nouveaux articles. Comme les chaussures Kobe V Protro, pour lancer la « Mamba week » à la fin du mois d’août 2020. Ou un maillot des Lakers, qui porte les deux numéros de Bryant, le 8 et le 24. Un hommage (commercial) de Nike, qui précise qu’il continuera à faire vivre l’héritage du joueur.

Pourtant, le mariage de 17 ans avec la marque à la virgule est sur le point de capoter peu de temps avant le décès de Bryant. C’est du moins ce qu’affirme l’investisseur Shervin Pishevar sur Twitter, et ce que Pat Benson, auteur du livre Kobe Bryant’s Sneaker History (1996-2020), décrit comme « très probable ». Selon Pishevar, Bryant n’était pas satisfait du marketing, de la promotion et du design de ses dernières chaussures, réalisées par Nike. Lors d’une réunion, Kobe lui aurait parlé de son projet de lancer sa propre marque de chaussures, appelée Mamba. Un business-model révolutionnaire, étant donné que toutes les lignes de chaussures personnalisées des vedettes NBA – comme celles de Michael Jordan avec Nike, ou de Stephen Curry avec Under Armor – sont chapeautées par de grands équipementiers sportifs. Ce projet n’a jamais vu le jour, car Bryant a trouvé la mort un mois après cette fameuse entrevue avec Pishevar.

Ambassadeur du basket féminin

Début 2020, Emma Meesseman explique lors de l’émission De Huiskamer, sur la chaîne flamande Sporza, qu’elle envisage de rencontrer Kobe Bryant durant la prochaine saison de WNBA, avec sa fille Gianna. Car Bryant s’est profilé comme le principal ambassadeur de la WNBA au terme de sa carrière, précise notre compatriote. En partie à cause du talent de Gianna, qu’il emmène souvent assister à des matches de la ligue féminine. Sous les yeux des caméras, il montre à Mambacita – son surnom – la technique de vedettes comme Candace Parker, Diana Taurasi, Sue Bird ou Sabrina Ionescu, la jeune phénomène avec qui Bryant est régulièrement en contact.

Pourtant, en 2004, le leader des Lakers – encore jeune à l’époque – est accusé de viol, une affaire finalement réglée à l’amiable avec la victime. Une tache sombre sur le blason de Bryant, qui n’a cependant pas nui à son rôle d’ambassadeur de la WBNA. De nombreuses femmes, a-t-il souvent expliqué, sont techniquement plus douées que leurs collègues masculins de la NBA, où l’aspect physique est déterminant. Durant toute sa carrière, Bryant n’a eu de cesse de travailler sa technique, en s’exerçant pendant des heures sur un seul mouvement.

Black Mamba n’a jamais caché son amour du basket féminin. Fin 2019, il portait encore un hoodie orange, avec le logo de la WNBA, au moment d’assister à un match des Lakers aux côtés d’une Gianna rayonnante. Dans les semaines qui ont suivi sa mort, ce hoodie a été l’article le plus vendu sur le célèbre site de merchandising Fanatics, et même l’article de WNBA le plus vendu de tous les temps.

Bryant ne s’est pas uniquement contenté de paroles: en 2017, il crée la Mamba League, une compétition scolaire locale, composée d’autant de filles que de garçons, et où une place particulière est accordée aux coaches féminines. Elle se joue dans la Mamba Sports Academy, un gigantesque complexe bâti par la légende des Lakers, qui y entraîne sa fille et son équipe avec passion. Avec un objectif en tête: la WNBA, en passant par une étape intermédiaire, la réputée UConn University. Comble de l’ironie: la Mamba Academy était la destination du vol d’hélicoptère que Bryant et Gianna ont emprunté le 26 janvier 2020, pour y jouer un match de basket. Jusqu’au crash fatal…

L’héritage de Black Mamba doit perdurer après sa mort. C’est la raison pour laquelle The Mamba & Mambacita Sports Foundation a été créée, à la mémoire de Bryant et de sa fille. Cette organisation non-lucrative veut offrir aux enfants pauvres les moyens de faire du sport. En août, à l’occasion du Kobe Bryant Day, Nike a fait don d’un million de dollars à la fondation.

La perte de Bryant, ambassadeur du basket féminin, et de Gianna, sportive de haut niveau en devenir, représente un vide immense. Même si la Mamba Mentality ne s’est jamais aussi bien portée.

Une des superbes fresques murales représentant Black Mamba et sa fille Gianna.
Une des superbes fresques murales représentant Black Mamba et sa fille Gianna.© BELGAIMAGE

Kobe Bryant immortel grâce au street art

Avant sa mort, on en voyait déjà quelques unes à Los Angeles: des peintures murales de Kobe Bryant. Après ce 26 janvier 2020, d’autres sont apparues, y compris de sa fille Gianna. Comme une sorte de thérapie, le concepteur digital et supporter des Lakers Mike Asner a créé le site internet kobemural.com et un compte Instagram du même nom, pour recenser et localiser avec précision toutes les fresques représentant le joueur.

Asner pensait rassembler une trentaine ou une quarantaine de photos, mais à son grand étonnement, ce nombre n’a cessé de grimper. Aujourd’hui, le compteur de murals affiche le chiffre de 425, dont 245 en Californie, 76 dans les autres États américains et 104 dans le reste du monde. Répartis sur cinq continents et trente pays, du Brésil au Japon, en passant par l’Ouganda et la Mongolie, mais aussi en Europe, mais pas en Belgique.

Ce sont souvent des oeuvres d’art sublimes, qui s’étendent parfois sur un terrain de basket entier, comme le Tenement Court à Taguig, au sud de Manille, la capitale des Philippines. Après la mort de Bryant, plusieurs Tenement Visual Artists ont travaillé jour et nuit pour représenter Kobe et Gianna. Pour les Philippins, fous de basket, c’est devenu une sorte de pèlerinage. Sur les murs entourant le terrain, ils ont pu écrire des messages, comme  » Gone but never forgotten » et  » Legend will be legend« .

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire