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Super Bowl : les têtes brûlées de la NFL

Victimes de pertes de mémoire, de crises de démence et de dépressions, plus de 3000 anciens joueurs de football américain ont porté plainte contre la NFL, la ligue nationale. Ils estiment que les commotions subies durant leurs carrières sont la cause de leur état de santé. Pour alerter l’opinion publique, certains joueurs sont allés jusqu’au suicide. Enquête sur les dégâts du sport US numéro un qui fêtera ce 3 février son 43e Super Bowl.

Imaginez Dieumerci Mbokani ou Jelle Van Damme qui poursuivraient l’Union belge de football vingt ans après leurs retraits des terrains parce que celle-ci ne les aurait pas informés des risques d’un jeu de tête un peu trop enthousiaste. Improbable ? Pas dans le sport roi des Etats-Unis où plus de 3000 plaintes ont été déposées contre la NFL en moins de deux ans. Parmi les plaignants, d’anciens joueurs, mais aussi des femmes de joueurs qui s’apprêtent à livrer un bras de fer juridique que certains comparent déjà au procès intenté par les fumeurs contre l’industrie du tabac.

« Faites que mon cerveau soit remis à la banque du cerveau de la NFL »

A l’origine de cette avalanche de plaintes, le suicide d’une ex-star de la NFL, Dave Duerson, à l’âge de 51ans. En février 2011, l’ancien rempart défensif des Giants de New York, reconverti dans les affaires, se tire une balle dans le coeur et laisse à ses proches ce message : « S’il vous plaît, faites que mon cerveau soit remis à la banque du cerveau de la NFL ». Depuis son retrait des terrains, Duerson se plaignait de pertes de mémoire, de changements d’humeur et de violents maux de têtes. Des symptômes dont il était persuadé qu’ils étaient liés à son passé de joueur. Peu après sa mort, la dissection de son cerveau révélera une maladie dégénérative du cerveau connue jusque-là surtout chez les anciens boxeurs.

Dans la foulée, des centaines d’anciens joueurs et joueurs actuels portent plainte contre la ligue et déclarent souffrir de troubles proches de ceux évoqués par Duerson. Ils accusent la ligue de « négligence, escroquerie et dissimulation ». En clair, ils n’ignorent pas le risque de commotions dans un sport réputé violent mais les conséquences à long terme de ces commotions, que la NFL aurait minimisées. Pire, selon eux, elle se serait livrée à une campagne de désinformation, dénaturant les conclusions scientifiques et jetant le trouble sur les liens entre une commotion et un traumatisme cérébral.

Des affirmations que la NFL dément avec force. En prévision du combat juridique, elle a déjà mis ses meilleurs avocats sur le coup, avec une défense claire : à l’époque où ces joueurs étaient encore en activité – même pour le plus âgé des plaignants -, la science avait déjà démontré les séquelles possibles des commotions. « Depuis plus de cent ans », expliquent les dirigeants de la ligue. Par conséquent, ces résultats étaient connus de tous et si la NFL savait, joueurs et syndicats acceptaient les règles du jeu. Alors, à qui la faute ? Dans les prochains mois, voire les prochaines années étant donné le nombre de plaintes introduites, les avocats des deux parties éplucheront contrats des joueurs, rapports scientifiques, campagnes de sensibilisations, antécédents familiaux afin d’obtenir des dommages et intérêts ou de classer les plaintes sans suite.

Mary Ann Easterling, le combat d’une veuve

Peu importe la date ou le lieu du procès, Mary Ann Easterling fera partie des plaignantes. Son mari, ex-demi des Falcons d’Atlanta, Ray Easterling, s’est suicidé en avril dernier. Retiré des terrains depuis 1979, il avait 62 ans et de nombreux problèmes de santé. « Il était de plus en plus souvent en colère. Physiquement il était présent, mais mentalement je le sentais absent. Il avait des comportements bizarres lors des fêtes de famille. Financièrement, il prenait des décisions risquées. Il arrivait en retard alors que tout le monde l’avait toujours connu ponctuel. Je ne reconnaissais plus l’homme que j’avais épousé et cela s’empirait d’année en année », explique Mary Ann Easterling. Comme pour Dave Duerson, évoluant au poste de safety lui aussi, les résultats de l’analyse du cerveau de son mari ont révélé des anomalies associées à une encéphalopathie traumatique chronique, la fameuse « maladie des boxeurs ». Ray et Mary Ann ont été mariés pendant 36 ans et ont eu une fille. Aujourd’hui, Mary Ann veut aller jusqu’au bout et poursuivre le combat entamé contre la NFL peu avant sa mort. « Je veux que la NFL prenne soin de ses joueurs. Je veux qu’elle prenne des décisions qui vont dans le sens de l’humain, pas toujours dans le sens de plus de spectacle et plus d’argent, voilà ce que je veux », déclare Mary Ann. « J’aimerais pouvoir m’asseoir avec les dirigeants de la NFL et leur dire ma douleur, leur demander comment expliquer à un enfant pourquoi son père est toujours fâché, fatigué et déboussolé. » Souffrant d’une maladie neurodégénérative qu’il attribue lui aussi aux commotions subies durant sa carrière, l’ancien centre-arrière des Eagles de Philadelphie Kevin Turner a engagé toutes ses forces dans ce combat. Agé de 43 ans, il a même créé une association qui porte son nom pour sensibiliser aux risques pour le cerveau de la pratique de sport violents. « Je veux que mes enfants pratiquent un sport qui soit sûr. La NFL a trop longtemps fermé les yeux sur ce que vivent les anciens joueurs. Sous notre pression, elle a commencé à prendre conscience du problème, mais seul un tribunal pourra la forcer à continuer à rendre le jeu plus sain. »

Un combat « d’anciens »


Parmi les 3300 plaignants, figurent quelques joueurs qui évoluent toujours en NFL, mais il s’agit surtout d’un combat « d’anciens » qui ne semble guère affecter la nouvelle génération. Dans un récent sondage réalisé auprès de joueurs professionnels, la moitié a admis qu’ils tenteraient de masquer une commotion lors d’un match. Dans un sport où les places sont chères et les prétendants nombreux, beaucoup de joueurs peuvent être tentés de reprendre place sur les terrains le plus rapidement possible. Peu avant le dernier Superbowl, Kris Dielman, joueur de ligne de 30 ans des Chargers de San Diego, tenu à l’écart des terrains pendant dix semaines à cause d’une commotion cérébrale déclarait : « Un jour, j’aurai peut-être des difficultés à marcher, mais je connais les risques lorsque j’enfile mon casque. Les blessures cela fait partie intégrante du jeu. » Deux mois plus tard, le joueur, venu avec sa femme et ses enfants, annonçait devant les caméras de télévision son retrait définitif des terrains pour raisons de santé…

PAR GILLES CLARENNE AUX ÉTATS-UNIS

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