© EPA

Sport électronique : un phénomène à l’émergence anarchique

Les jeux vidéo ont toujours connu un immense succès et se vendent comme des petits pains. Mais si jouer est un moyen de détente pour certains, il s’agit d’un  » sport  » à part entière pour d’autres. C’est ce que l’on appelle l’e-sport ou le sport électronique : un phénomène croissant où règne pour l’instant un certain chaos.

Lorsqu’on parle de sport, on parle de football, de tennis, de basket, de ski, de hockey ou autres. Lorsqu’on parle de sport, on parle d’activité physique, de dépense énergétique, de santé… Mais aujourd’hui, force est de constater que le sport évolue et s’élargit au point de toucher l’électronique. Oui, être assis, devant un écran sur lequel tourne un jeu vidéo, manette en main, casque sur la tête… Cela peut aussi être un sport.

Pour être reconnu comme un e-sportif, il suffit au « gamer » de s’inscrire dans l’un des nombreux tournois de jeux vidéo. Là, ses capacités seront mesurées à celles de ses adversaires. Individuellement ou par équipe ? « Cela dépend de la discipline pratiquée. De nombreux jeux se jouent à cinq joueurs (League of Legends, Dota, Counter Strike, Call of Duty). Starcraft, Hearthstone et les jeux de simulation sportive de type FIFA, Street Figther permettent de participer en solo » explique Julien « Révi » Lacroix, top 3 Benelux sur « Rainbow Six Siege » (jeu de tir) et top 6 européen sur Heroes of the Storm (jeu de type arène de bataille en ligne multi-joueurs : MOBA).

« Pas nouveau »

« C’est bien beau tout ça mais ce phénomène existe depuis les années 90 » me direz-vous. Et personne ne vous donnera tort. Les prémices de l’e-sport sont apparues avec Quake (jeu de tir) en 1997.

Les compétitions de jeux vidéo n’ont donc, en soi, rien de nouveau. Ce qui l’est, c’est la croissance fulgurante du sport électronique en Occident.

Une croissance qui, selon Julien, « a pris son envol en 2010 avec la sortie de Starcraft 2 (jeu de stratégie) et l’implication des développeurs ainsi que de la communauté pour organiser de nombreux tournois retransmis sur des webtv dont Justin.tv (devenu Twitch.tv) ».

L’accessibilité grandissante à une bonne connexion internet a permis aux organisateurs de diffuser les matchs, les contenus et aux spectateurs de les regarder dans des conditions optimales. Ainsi, l’e-sport s’est doucement démocratisé.

Dans le même temps, « le mastodonte League of Legends (LOL) a annoncé la mise en place d’un tournoi (LCS) avec un cash prize (un prix) de plus de 5 millions de dollars (4,4 millions d’euros) » afin de concurrencer le jeu rival, DOTA, qui lui offre 2 millions de dollars au vainqueur de son grand chelem. « On pourrait comparer ces deux jeux comme le foot en salle et le foot sur gazon car ces derniers sont deux jeux de type MOBA  » explique Révi.

Rapidement, la visibilité des compétitions d’e-sport va atteindre des sommets. Au point que des sponsors tels que Coca Cola ou KFC investissent dans ces tournois mais aussi dans des joueurs auxquels il arrive qu’ils payent une dotation. Une norme sur les continents américain et asiatique mais une tendance émergente en Europe… dont les médias parlent de plus en plus. Pour cause, les championnats du monde de League of Legends ont eu lieu dans les capitales européennes.

Mais pourquoi l’e-sport est considéré comme sport ?

A l’instar des sportifs traditionnels de haut niveau, les e-sportifs peuvent s’entraîner huit heures par jour, sept jours sur sept. Ils peuvent accéder au titre des joueurs professionnels encadrés par des managers dans des équipes pour gagner des tournois.

Bien loin du préjugé des « boutonneux à lunettes mangeant des chips et buvant du coca », nombreux sont les joueurs à pratiquer du sport en dehors du jeu. « À haut niveau, il est vivement conseillé de pratiquer du sport à côté afin d’être au top de sa forme car très peu de personnes parviendraient à emmagasiner autant d’informations à la seconde ainsi que d’exécuter autant d’actions en une minute. Quand on sait que les joueurs pros de Starcraft tournent à une moyenne de 300 voire 400 actions par minute sur leur clavier et souris… », explique Révi.

Cela dit, on ne peut se baser que sur des caractéristiques communes entre le sport traditionnel et l’e-sport pour affirmer qu’ils appartiennent bien à la même famille d’activité.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Quelle législation pour l’e-sport ? Aucune !

Car personne n’est aujourd’hui apte à prouver que l’e-sport est bel et bien un sport, simplement parce qu’il n’existe aucune fédération officielle dans le domaine. Seuls certains pays asiatiques voient l’e-sport régulé. C’est notamment le cas de la Kespa en Corée du Sud. Le problème ? Ces fédérations nationales n’ont d’emprise que sur les joueurs de leur propre pays. Aucune fédération internationale n’existe et dès lors, aucune règle propre à l’e-sport n’a vu le jour. En attendant, ces règles sont établies par les développeurs, les organisateurs des tournois, avec des enjeux financiers à la base. Le sport électronique est livré à lui-même tandis qu’il draine toujours plus d’argent. Aucune protection des joueurs, des mineurs n’existe. C’est le véritable problème de la discipline où la loi du plus fort semble de mise sans qu’aucun contrôle ne puisse être réalisé.

Au point de se demander si l’e-sport est réellement légal… En France, il est reconnu, pour le moment, comme un jeu de hasard. Ses compétitions sont actuellement illégales mais le gouvernement français semble se pencher sur la question d’un cadre juridique plus clair pour soutenir les joueurs et les protéger… mais surtout pour taxer leurs dotations.

En Belgique, les compétitions de jeux de hasard sont également illégales, mais rien ne prouve que les jeux électroniques en font partie. Quid du poker ? Les e-sportifs ne reconnaissent pas le poker comme l’une des disciplines pouvant être la base d’une compétition e-sportive. Pour le moment, aucune législation n’interdit donc, en Belgique, les compétitions de jeu électronique. Et à la question de savoir si les e-sportifs ont un statut, la réponse est négative. S’il n’y a pas de fédération reconnue par l’état, les « gamers » ne peuvent être reconnus comme des joueurs professionnels.

Un flou législatif général en Europe qui amène les joueurs de notre continent à s’exiler en Asie ou aux Etats-Unis, là où l’e-sport est reconnu au point que des visas sont distribués aux e-sportifs. Là se trouvent dans des « gaming houses » (des maisons d’entraînement qui existent aussi en Europe mais dans une moindre mesure) des équipes internationales dans lesquelles jouent des Européens : « Les développeurs ont, au début, tenté de faire vibrer la flamme du patriotisme, mais malheureusement la différence de niveau se ressentait. Dans l’e-sport on parlera plus en termes de continents. Les seules nations représentées par des équipes sont des mastodontes tels que la Corée du Sud et la Chine ».

De plus, les dotations y sont bien plus conséquentes

Une discipline anarchisée

Le manque de régulation est criant dans une discipline qui draine toujours plus d’argent. Sans fédération, les développeurs fixent leurs propres règles. Les joueurs ne sont pas protégés tandis que certaines jeunes stoppent leurs études pour s’entraîner. Avec quel soutien derrière ? Tout le monde peut créer des compétitions. C’est la loi du plus fort.

En Belgique, certaines compétitions sont labellisées « championnat de Belgique ». Or, les développeurs ne s’intéressent qu’à la scène continentale. Le problème : « Si du jour au lendemain, je décidais de créer un tournoi et l’appeler « championnat belge », rien ne m’en empêcherait… », explique Révi.

La création de fédérations nationales serait-elle la solution ? « Non, cela n’y changerait rien » nous répond Révi. « Les joueurs fuient de toutes façons l’Europe pour s’offrir un maximum de visibilité et un maximum d’argent » explique l’e-sportif. « Puis, la seule régulation possible provient des développeurs. Ceux-ci ont le droit de diffusion sur leur jeu ».

La seule solution serait de voir apparaître une fédération internationale à l’image de la FIFA dans le football. Elle seule pourrait contrôler et placer des limites à l’émergence du phénomène. En plus, il existe également des championnats du monde organisés par les développeurs eux-mêmes.

Mais si une fédération internationale empêcherait certaines dérives, la toute puissance des développeurs resterait intacte. Ils ont les pleins pouvoirs sur les jeux qu’ils produisent.

Une toute petite carrière

Si certaines compétitions sont dotées d’une récompense financière de plusieurs millions d’euros et que le sponsoring permet à certains e-sportifs de gagner allégrement leur vie, la carrière des e-sportifs est encore beaucoup plus courte que celle des sportifs traditionnels de haut niveau. Ce que confirme Révi : « Les 25 ans et plus se lassent ou ont difficile à tenir le rythme. Il semblerait qu’à partir de cet âge, les réflexes se perdent petit à petit selon diverses études sur le sujet ». Et en effet, une étude, menée par la Plos (Public Library of Science), affirme que des pertes de dextérité et de réflexes manuels, surviennent dès l’âge de 24 ans. « Il existe de vieux joueurs mais on pourrait presque les compter sur les doigts d’une main » ajoute Julien. « Par la suite, ils deviennent managers, coaches, analystes voire mêmes consultants » conclut-il.

Le problème est que pour devenir professionnel, il faut commencer à jouer tôt et espérer intégrer le milieu dès l’âge de 16 ans en s’entraînant 8 heures chaque jour. Cela engendre un abandon scolaire qui peut poser problèmes lors d’une reconversion par la suite.

Les USA prennent le problème très au sérieux. Ainsi, il est possible d’approcher le monde de l’électronique via des ligues universitaires permettant aux jeunes de poursuivre leurs études tout en jouant aux jeux vidéo. Il pourrait s’agir d’une solution au problème bien que le niveau entre les ligues universitaires et le niveau professionnel soit abyssal.

En Belgique

Tout cela n’empêche pas le sport de se développer en Belgique. Certes il n’est pas encadré mais diverses organisations ont vu le jour. C’est notamment le cas d’egorganisation qui organise différents tournois. Puis des e-sport bars naissent également tels le Player e-sport bar à Liège ou l’Hyperion Esport Bar à Bruxelles.

En outre, le 24 octobre dernier, la demi-finale d’un des championnats du monde (ESWC) de League of Legends a attiré plus de 15.000 personnes au palais 12 de Bruxelles.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Et ce week-end, Avenue Georges Rodenbach à Schaerbeek, auront lieu les qualifications ESWC pour la COD World League (le « championnat du monde » Call of Duty). Des qualifications qui pourraient amener les joueurs à s’affronter au Zénith de Paris. Cet évènement se déroulera les 6, 7 et 8 mai prochains

Quentin Droussin

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire