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Runners Up

À quelques jours des 20 kilomètres de Bruxelles, le plus gros événement running du pays, Sport/Foot Magazine vous fait découvrir pourquoi la Belgique passe sa vie baskets aux pieds.

« I think I’d better run, run, run, run.  » La musique, Phoenix en l’occurrence, tape dans les écouteurs, les yeux sont rivés sur le chrono et la sueur commence à perler le long des joues. Le souffle est haletant, le visage rougi, les runnings claquent sur le tarmac jusqu’à ce que ce bruit sourd stoppe enfin.

Médaille au cou, le sourire a remplacé le visage fermé. L’objectif est atteint, l’arcade du Cinquantenaire est franchie.  » C’est vraiment ça « , sourit Carine Verstraete, organisatrice des 20 kilomètres de Bruxelles qui auront lieu dans quelques jours.  » Notre course est devenue le défi des gens qui subissent le rythme effréné de la vie. Et pour beaucoup, ce sont les 20 kilomètres qui deviennent une cible pour claquer un résultat.  »

Des 4.000 personnes d’il y a près de 40 ans aux 40.000 runners des dernières éditions, les 20 kilomètres se sont développés en symbiose avec le running.  » Mettre des baskets est devenu cool et crée de nouvelles belles histoires à chaque course « , résume à merveille l’organisatrice. Plus un seul parc de métropole, plus un sentier verdoyant ne sont foulés par des hurluberlus en short et chaussures fluo. Et une question vient à l’esprit de tous ceux qui les toisent d’un regard aussi atterré qu’interrogatif : mais après quoi galopent-ils ?

UN PHÉNOMÈNE PHYSIOLOGIQUE ET SOCIOLOGIQUE

L’explication du boom de la course à pied est d’abord sociologique. Une vie qui va à 100 à l’heure et un boulot dans lequel la pression est devenue une habitude quotidienne ont engendré un besoin d’air.  » La vie est tellement exigeante et bourrée d’objectifs qu’on ne cesse d’en faire plus chaque jour en fixant la barre de plus en plus haut « , résume Hélène Depoorter, coach diplômée en éducation physique et récente gagnante des 10 kilomètres de Bruxelles.

 » Il faut donc trouver une activité qui détend, qui aère l’esprit. La course est facile, accessible, peu chère et complètement en phase avec l’évolution de notre société. Tout le monde a sa place dans ce sport.  » Carine Verstraete en rajoute une couche :  » Regardez la masse aux 20 kilomètres, personne ne sait qui on est, personne ne juge.  »

Plus que cette échappatoire, la course a avant tout été popularisée par la lubie moderne du bien-être et de la santé. C’est simple, le jogging est l’un des sports les plus gourmands en termes de calories.  » Donc, quand on me pose la question des bienfaits de la course sur l’organisme, je dis aux gens de foncer « , martèle Jean-Pierre Castiaux, médecin du Sport à l’UCL et 72 fois marathonien.

 » Il développe la condition physique de base, la résistance et la puissance. La médecine du sport est d’ailleurs en pleine évolution et le sport devient l’un des meilleurs moyens de se soigner. Mais il faut être régulier dans sa pratique, car un sport de percussion peut faire très mal si, comme beaucoup, on ne fait que les 20 kilomètres de Bruxelles ou presque.  »

Le conseil est limpide : continuez à galoper.  » Mais souvent, il n’y a pas besoin de forcer « , analyse le médecin. Pour beaucoup, sortir pour un petit décrassage ou pour une heure de transpiration avec de la boue sur les pattes devient vite une habitude. Pire, une addiction !

 » On se sent bien après et même pendant l’effort « , commente le Docteur Castiaux.  » C’est tout simplement physiologique. La production d’un effort engendre une production d’une hormone proche de la morphine : l’endorphine. Cette réaction du corps à l’effort est naturelle vu que le sport est une sorte d’agression. C’est de là que découle cette sensation de bonheur, le runner’shigh.  »

Hélène Depoorter qualifie cette sensation d’une autre manière.  » Je parle toujours de recherche du flow, ce feeling qu’on obtient quand on sort de sa zone. Je tente toujours d’aller le chercher et de le vivre un maximum de fois. « 

DROGUÉS AU RUNNING

Dépendant dites-vous ? La réponse est claire, les joggeurs sont des accros à leur dose.  » L’activité étant régulière, la sensation de plénitude est peut-être plus puissante qu’au football par exemple. Et à force de courir sur une base régulière, une habitude hormonale se crée.  » Une petite sensation de manque pourrait donc se faire ressentir quand on stoppe.  » Mais ça n’arrive pas, car quand on commence, on ne s’arrête jamais de courir.  » (rires)

La fièvre du running a déjà pris possession de tout le corps, elle s’attaque désormais au cerveau. Santé et endorphine sont une chose, la gagne en est une autre.  » Au début, je courais pour le plaisir mais j’ai rapidement senti monter le besoin de me lancer dans les compétitions « , explique Hélène Depoorter. L’athlète est arrivée à un tel stade d’entraînement qu’elle se bat face aux autres et enchaîne les podiums. Le premier adversaire du coureur lambda n’est pourtant pas celui qui le dépasse.

L’ennemi, c’est le chrono. Et le chrono n’est qu’une projection de ses propres performances, de ses capacités en tant qu’être humain.  » Le monde actuel se traduit en résultats, en objectifs à remplir et en évaluations « , analyse le docteur Castiaux.  » Nous voulons toujours aller plus loin, plus fort, plus vite. La notion psychologique du dépassement de soi est cruciale dans la vie de tous les jours.  »

Les chiffres défilent donc sur Facebook et Instagram.  » Call me marathonian « ,  » Nouveau record personnel « , chacun veut faire un peu mieux qu’avant et travaille pour. Nouvelles chaussures (lire ci-contre), réveille-matin avancé pour peaufiner son entraînement en matinée, inscription en club, tout est bon pour évoluer. De plus en plus de runningaddicts vont même jusqu’à prendre des cours particuliers.

 » C’est là qu’est la différence avec le passé « , analyse Hélène Depoorter, qui donne des entraînements particuliers.  » J’ai commencé en étant seule dans les bois. Il n’y avait personne. Certains couraient mais personne ne faisait attention à la manière. Les blessures arrivaient rapidement, car une vraie technique de course n’est pas simple à acquérir.  »

Désormais, c’est le mimétisme qui compte. On se met à courir en voyant d’autres revenir d’une séance d’entraînement.  » Le coureur a l’air heureux, bien dans ses bottes et ça attire « , expose Jean-Pierre Castiaux.  » C’est un entraînement par les autres, un effet d’enchaînement. Le nombre croissant de participants aux challenges provinciaux et aux grandes courses est la preuve d’un phénomène de mode. Les joggeurs sont bien alors, je veux l’être également.  »

SE FAIRE LE MONT BLANC

Les médailles sont accrochées au mur, les capitales européennes ont toutes été arpentées à coups de 42,195 km et les records ont été explosés au fil des marathons mais le runner n’est jamais rassasié.  » Comme dans beaucoup de situations, tu as l’impression d’avoir fait le tour, car tu es davantage usé, tu as perdu en vitesse. Il est donc logique de chercher une nouvelle voie « , explique Didier Snoock, employé de Jogging Plus et entraîneur au CEPAL (NdlR : un club de running à Watermael-Boitsfort).

Ce chemin sinueux et vertigineux nommé trail ou ultra trail (quand il dépasse les 80 kilomètres), le coureur l’a emprunté il y a des années déjà.  » Les pionniers du running ont rapidement eu envie de quitter les villes et les courses après le chrono. Le trail est, pour cela, incomparable à la course à pied classique. L’ambiance est à part, car le temps n’est pas la priorité. Ce qui compte est de franchir la ligne d’arrivée. Donc, si j’ai envie de ralentir durant quelques secondes pour profiter de la vue ou pour faire une pause, je ne m’en prive pas. On s’encourage aussi beaucoup, car c’est une épreuve encore plus solitaire qu’un marathon.  »

Ce calme, ce vide fait autour de soi par la course est ce que recherche le traileur de base.  » Sur un marathon ou un semi, j’adore avoir des gens au bord de la route « , sourit Hélène Depoorter.  » Dans un effort durant lequel on ne garde rien sous la pédale, ce soutien est nécessaire. Durant un trail, c’est tout le contraire. La puissance émane de la solitude. Le coureur vit une sorte de retour à la nature. Je ne parle pas là d’une fuite mais d’un besoin de s’écarter des obligations, de prendre l’air.

J’ai eu la chance d’aller récemment courir sur le Mont Blanc (NdlR : où est disputé l’UTMB, l’un des ultra-trails les plus célèbres d’Europe) et c’est juste énorme. Vous réalisez votre passion sur le sommet de l’Europe et tout est magnifique. Le trail est aussi une forme de tourisme nature, une aventure folle mais sécurisée. Les lieux de course (NdlR : les trails les plus célèbres sont disputés dans des endroits somptueux) sont d’ailleurs choisis en fonction, car personne n’accepterait de courir des bornes et des bornes dans un lieu tout pourri.  »

Pour devenir un roi du trail, il faut accepter de se salir de temps à autre. Et pour se salir, rien de tel qu’un passage par la dernière mode du running, la course d’obstacles.  » Le nombre de participants explose « , explique Dimitri Starodoudoff, organisateur, entre autres, de la Medieval Run, de la Zombie Run et de la Trolls X’trem run.  » Nous sommes malheureusement rapidement limités pour des questions de sécurité mais pour vous donner un exemple, les 3.500 dossards de la Trolls X’trem run ont été vendus en 17 minutes.  »

WALKING DEAD EN VRAI

Quand le désormais patron de la société Crazy run a eu l’idée d’importer ce concept américain en Belgique, il ne s’attendait pas à une croissance aussi phénoménale.  » Avoir 1.000 ou 1.500 personnes sur une épreuve, c’était très fort il y a 6 ans.  » Le Belge a désormais fait de ces events sont métier. Si la Trolls X-trem run reste gérée par une ASBL, sa société a lancé deux courses qui cartonnent :

 » La Medieval run a un concept assez simple : il faut courir 15 kilomètres parsemés de 20 obstacles. C’est déjà un sacré programme avec, au menu, de l’eau, de la boue, des sauts au-dessus d’un feu. Pour la Zombie Run, pas besoin de faire un dessin, les participants sont poursuivis par 100 zombies qui doivent leur arracher des bandelettes qui font office de vies.  » Walking Dead est devenu réalité !

L’explication de ce succès se traduit en chiffres avec 10 fois plus de courses qu’il y a 5 ans.  » La Zombie Run a débuté avec 700 personnes et je table sur 3.000 en novembre.  » Une évolution dingue en seulement 4 éditions et qui s’explique par le fun avant tout.  » Tu peux détester courir et t’éclater chez nous. Il n’y a pas de notion de résultat, le but est juste de débarquer avec des copains et se marrer durant une après-midi. Il n’y a qu’à regarder les vidéos des années précédentes pour être tenté.  »

SAPÉS COMME JAMAIS

D’un côté, les événements, de l’autre, les magasins. Les sociétés d’organisation de courses ne sont pas les seules à pouvoir profiter de la croissance du nombre de runners.  » Un phénomène économique est né avec la croissance du sport mais lancer un magasin spécialisé reste un peu une folie « , sourit Luc Bouvier, patron de Jogging Plus qui possède quatre commerces spécialisés.  » Même les grandes marques ont saisi le phénomène. Nike et Adidas, les deux cadors de l’équipement sportif, ont fait passer le jogging dans le top de leurs priorités derrière le football. La gamme générale est d’ailleurs, sans exagérer, dix fois plus étendue qu’il y a 20 ans. Avant, un vieux short suffisait mais avec les nouvelles technologies thermiques pour le textile et les nouvelles chaussures, tout a évolué rapidement. Idem pour le look. On ne court plus sans penser à ce à quoi on ressemble.  »

Et, pour être sapé comme jamais, le runner n’hésite pas à claquer.  » On peut vraiment bien s’amuser avec un petit budget « , poursuit Luc Bouvier.  » Une bonne paire de chaussures est la base, même pour les débutants qui ont pourtant tendance à sous-estimer cet achat. Pour une paire correcte, il faut compter une grosse centaine d’euros. Pour du textile technique de bonne qualité, c’est 60-70 euros. On considère souvent qu’un runner qui sort de 3 à 4 fois par semaine (soit entre 30 et 40 kilomètres en moyenne) peut vraiment s’amuser avec 500 euros par an en usant deux paires de chaussures. Ce sont, bien sûr, les tarifs de magasins spécialisés et dans lesquels des pros sont auprès du client pour le conseiller. Mais il ne faut pas cracher sur Décathlon pour autant, car il permet la promotion du sport. Reste que nous récupérons beaucoup de runners qui souhaitent davantage de précision et de qualité que chez cette enseigne. « 

DES FEMMES ET DES KILOS

Le nombre de femmes ayant fait de la course à pied leur sport de prédilection est en augmentation croissante.  » 80 % de nos participants sont des femmes « , lance même Jean-Paul Bruwier, directeur de publication chez Zatopek, ancien athlète olympique et organisateur de ‘Je cours pour ma forme’.  » Elles sont toutes là pour leur santé et finissent par accrocher.  »

Au point de voir un nombre croissant d’inscriptions féminines sur les challenges belges mais aussi dans les grandes compétitions internationales.  » Même dans nos courses à obstacles, nous comptons près d’un tiers de femmes « , s’enorgueillit Dimitri Starodoudoff, organisateur de course d’obstacles.

Plus que pour leur santé, les femmes courent pour perdre du poids, selon Hélène Depoorter, récente gagnante des 10 kilomètres de Bruxelles.  » C’est l’un des sports les plus efficaces à ce niveau et c’est la motivation primaire de la plupart d’entre elles. Une heure de course, même à rythme peu élevé, signifie une grosse perte de calories. D’ailleurs, peu finissent par vraiment vouloir aller chercher un chrono. Pour les autres, la perte des kilos en trop n’est qu’une première étape.  »

 » COURIR, ÇA S’APPREND  »

Tous les spécialistes du running que nous avons contactés ont tenu à faire passer le même message.  » La course à pied s’apprend et il ne faut certainement pas brûler les étapes.  » Les exemples sont légion : des gars cramés et dégoûtés à la moitié du trail de la Bouillonnante, des blessures à répétition.  » Il est facile d’aller courir mais mettre en place un programme bien taillé est complexe « , explique Jean-Pierre Castiaux, médecin du sport.

Zatopek a pris les choses en main depuis 2008 avec l’action  » Je cours pour ma forme « . Un succès de masse avec un passage de 1.305 à 23.297 participants en 8 éditions.  » Le jogging est devenu collectif « , explique Jean-Paul Bruwier, organisateur du projet et ancien athlète olympique de 400 m haies.  » Et je cours pour ma forme est près de la maison, facile et convivial. « 

Le but du mouvement est d’éduquer à la course à pied.  » Le programme est étalé sur 12 semaines et permet de courir durant plus ou moins 40 minutes sans arrêt. L’évolution se fait progressivement et avec l’aide de coaches. Depuis le lancement du projet, nous avons vu des gens incapables de courir 3 kilomètres finir des marathons.  »

Et pour ceux qui visent les fameux 42 kilomètres, Zatopek offre des conseils et des plannings d’entraînement.  » On apprend même à gérer les trails « , lâche l’ancien hurdler. Comme quoi, la mode décide de tout…

Par Romain Van Der Pluym

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