© GETTY

Qui est Sifan Hassan, la Grande Dame de l’athlétisme?

L’an passé, Sifan Hassan (28 ans) a battu le record du monde de l’heure à Bruxelles. Cette fois, elle veut devenir la femme la plus rapide de tous les temps sur 10.000 mètres. Partons à la découverte d’une vedette mondiale de l’athlétisme, qui se définit elle-même comme « une drôle de fille ».

Ce vendredi, il ne fera certainement pas aussi chaud qu’à Tokyo, lorsque la crème de l’athlétisme mondial sera rassemblée au stade Roi Baudouin pour la 45e édition du Memorial Van Damme. La Néerlandaise Sifan Hassan ne s’en plaindra sûrement pas. Un an après avoir battu le record du monde de l’heure à Bruxelles en parcourant 18.930 mètres, Hassan veut battre celui du 10.000 mètres. Le 6 juin, alors qu’elle se préparait pour les Jeux de Tokyo, elle y est déjà parvenue une première fois à Hengelo. Avec un temps de 29: 06: 82, la Néerlandaise a couru dix secondes (! ) plus vite que l’Éthiopienne Almaz Ayana aux Jeux Olympiques de Rio.

Dans son petit appartement, elle n’avait qu’un sac avec des vêtements et un matelas à même le sol.

Mais, deux jours plus tard, Hassan avait déjà perdu ce record. Letesenbet Gidey, encore une Éthiopienne, a encore couru plus vite sur cette même piste de Hengelo (29: 01: 03). L’objectif, ce vendredi à Bruxelles, sera de descendre pour la première fois sous la barre mythique des 29 minutes. Hassan, championne olympique du dix kilomètres à Tokyo où Gidey a décroché la médaille d’argent, en est capable. Une question se pose toutefois: ne sera-t-elle pas trop fatiguée à la fin d’un été éprouvant?

Avant de se préparer pour le Memorial en s’entraînant en altitude à Saint-Moritz, Hassan s’est attaquée au record du monde du 5.000 mètres au Prefontaine Classic à Eugene, aux États-Unis. Elle a bouclé la distance en 14: 27: 89, la meilleure performance mondiale de l’année, mais loin du record de Gidey, fixé à 14: 06: 62. Les athlètes ne sont, eux aussi, que des êtres humains, et après l’intense préparation aux Jeux et leurs prestations là-bas, le réservoir a également tendance à se vider. D’autant que ce qu’Hassan a réalisé au Japon, dans des conditions extrêmes, était déjà phénoménal.

Triplé démentiel

30 juillet: séries du 5.000 mètres

2 août: séries du 1.500 mètres. Finale du 5.000 mètres.

4 août: demi-finales du 1.500 mètres.

6 août: finale du 1.500 mètres.

7 août: finale du 10.000 mètres.

C’est le programme démentiel auquel Sifan Hassan s’est elle-même soumise lors des derniers Jeux Olympiques: six courses en huit jours, toujours à un rythme dépassant les 20 km/h. Essayez vous-même sur une piste. Un tour suffit. Votre respect pour cette frêle Néerlandaise n’en sera que plus grand.

La combinaison des cinq et dix kilomètres est fréquente. Mo Farah, son compagnon d’entraînement aux États-Unis et en Éthiopie, l’avait déjà fait avant elle aux Jeux. Mais y ajouter le 1.500 mètres, c’est du jamais vu. Cette distance est à mi-chemin entre le fond et le sprint, et procure une montée d’acide lactique. La parcourir trois fois (séries, demi-finales et finale) en combinaison avec les deux courses de fond représente un effort gigantesque dans la canicule du Japon. D’autant qu’elle a chuté dans les séries du 1.500 mètres. C’est précisément ce matin-là que son entraîneur, l’Américain Tim Rowberry, lui avait envoyé un message d’encouragement. Il avait utilisé une citation de Paulo Coelho tirée de son livre L’Alchimiste: « Le secret de la vie, c’est que l’on tombe sept fois et qu’on se relève huit fois… » Si ce n’était pas prémonitoire.

C’est Hassan elle-même qui a décidé de s’essayer aux trois distances. Elle est la première femme à tenter le pari, et ce n’est pas un hasard si la BBC l’a appelée The Greatest au terme de sa dernière course. Mais Rowberry a certainement eu une influence sur sa décision, lui aussi. L’Américain, qui a lui-même été un très bon athlète, croit depuis longtemps en une approche multidisciplinaire. Il a trouvé en Hassan une âme bienveillante. La Néerlandaise aime le défi et a le talent nécessaire, c’est-à-dire une vitesse de base suffisante.

À Doha, au championnats du Monde 2019, elle a réussi une première prouesse: Hassan a remporté le 1.500 mètres et le 10.000 mètres. Dans des conditions difficiles, puisqu’au même moment, le monde de l’athlétisme a appris que son coach, Alberto Salazar, était suspendu pour dopage. Son programme d’entraînement en Oregon, dans les installations de Nike auquel Rowberry appartenait aussi, était donc sujet à caution.

La fuite aux Pays-Bas

C’est aux Pays-Bas que Sifan Hassan a découvert et développé son talent pour la course à pied. Elle a passé sa jeunesse sur les hauts plateaux d’Éthiopie, dans la ferme de sa mère. Elle ne renouera les liens avec son père que plus tard. C’est ainsi qu’elle a découvert que lui aussi était très rapide, mais sur des distances plus courtes. Lorsqu’elle est devenue adolescente, c’est sa grand-mère, qui habite à Addis Abeba, la capitale, qui s’est occupée d’elle.

Hassan reste vague sur les raisons qui l’ont poussée, à quinze ans, à fuir vers les Pays-Bas et à y demander l’asile. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer, de la part des journalistes néerlandais. Il s’est passé des choses, elle n’en dira pas plus. Des gens sont morts parce qu’ils demandaient la liberté. Si elle a appris à repousser les événements au fond de sa mémoire, ses entraîneurs ont souvent remarqué qu’elle se bloquait en course, lorsqu’elle courait alors qu’elle était à peine rentrée d’Éthiopie. Parfois elle est heureuse, parfois elle est complètement déprimée. La vie est une montagne russe, a-t-elle encore déclaré au début de cette année.

Les Pays-Bas lui ont offert un nouvel avenir à partir de 2008. Elle a d’abord atterri à Zuidlaren, dans la province de Drenthe, dans un environnement protégé pour les demandeurs d’asile mineurs. Elle avait l’impression d’être en prison et a pleuré tous les jours pendant huit mois. Elle a ensuite déménagé à Leeuwarden, où elle a confié à un accompagnateur qu’elle aimerait faire de l’athlétisme. Il l’a mise en contact avec un club. Comme elle n’avait que de vieilles chaussures de sport, et pas d’argent pour s’acheter de nouvelles spikes, elle en a reçu du club. Là, on a découvert une petite fille anxieuse qui avait du mal à faire confiance aux gens. Il a fallu du temps pour qu’elle s’ouvre aux autres, a révélé un entraîneur lors d’une interview accordée à un journal avant le départ pour Tokyo.

Le 6 juin dernier, Sifan Hassan avait battu le record du monde du 10.000 mètres sur la piste d'Hengelo. Mais deux jours plus tard, celui-ci tombait à nouveau. Hassan le récupérera-t-elle à Bruxelles?
Le 6 juin dernier, Sifan Hassan avait battu le record du monde du 10.000 mètres sur la piste d’Hengelo. Mais deux jours plus tard, celui-ci tombait à nouveau. Hassan le récupérera-t-elle à Bruxelles?© GETTY

Ce n’est qu’à Eindhoven, où elle a pu s’entraîner avec d’autres athlètes originaires d’Éthiopie, qu’elle s’est complètement ouverte. Elle est arrivée dans cette ville parce qu’à 18 ans, elle pouvait prendre son indépendance, vivre seule et étudier pour devenir infirmière. Ses conditions de vie sont restées spartiates: dans son petit appartement, elle n’avait qu’un sac avec des vêtements et un matelas à même le sol, mais sa motivation était grande. À l’époque déjà, elle confiait à ses camarades de club et à ses entraîneurs qu’elle rêvait de participer aux Jeux Olympiques. Comme son talent était évident, elle s’est retrouvée plus tard à Papendal, près d’Arnhem. C’est là que l’on forme les athlètes de haut niveau aux Pays-Bas. Elle a pu demander un passeport néerlandais, qu’elle a obtenu en 2013. En 2015, ce sésame lui a permis de participer aux championnats d’Europe, où elle a directement brillé: elle a remporté la médaille d’or sur 1.500 mètres et la médaille d’argent sur 5.000 mètres. Comme les Jeux de Rio ont été une déception pour elle, avec « seulement » une cinquième place sur le 5.000 mètres, elle a opté pour les États-Unis et Salazar comme nouvel entraîneur.

La récompense

À Tokyo, elle a recueilli les fruits de son travail: l’entraînement, la souffrance, le long chemin vers le succès. Elle mène une existence de nomade: s’entraîner, se reposer, voyager, année après année. Elle est dure au mal, témoigne Rowberry. Et elle est capable de repousser le seuil de la douleur. Les années l’ont cependant assagie. Auparavant, ses entraîneurs néerlandais déploraient parfois ses accès de colère, lorsque la course ne s’était pas déroulée comme elle le souhaitait. Il lui est même arrivé d’être complètement injoignable pendant deux semaines. En août, Rowberry a confié qu’elle avait changé, sur ce plan-là. Le long séjour en Éthiopie et les retrouvailles avec sa famille lui ont permis de relativiser. Parfois, elle n’en fait encore qu’à sa tête, mais mentalement, elle est devenue plus stable, car elle sait désormais qu’elle ne doit plus s’occuper de tout elle-même.

Ces derniers mois, un gros travail a été accompli pour qu’elle garde son calme en toutes circonstances, a révélé Rowberry lorsqu’il est revenu sur le parcours olympique de Hassan à Tokyo. Le lundi 2 août a été un jour-clé: elle a dû disputer deux courses en dix heures de temps. Elle a pris le départ de la deuxième, la finale du 5.000 mètres, avec des jambes lourdes. Sa chute, plus tôt dans la journée, allait-elle anéantir ses chances de remporter la médaille d’or? Non, comme on a pu le vérifier ce soir-là. Elle a répondu à l’attente et a remporté un premier titre olympique. Pour son sprint final, a-t-elle confié après coup, elle a dû puiser très profondément dans ses réserves. Mais elle a été habituée à souffrir. Son dernier tour de piste à l’entraînement est toujours le meilleur, peut-on lire dans la presse. « Car je sais qu’après, je pourrai m’affaler. » Les interviews, le contrôle anti-dopage, un massage: elle a encore dû attendre avant de se glisser dans son lit. « On ne peut pas être vaillant sans avoir peur », a-t-elle posté sur Instagram. Une citation de Mohamed Ali.

Le vendredi, elle a disputé sa deuxième finale. On y a découvert qu’elle avait parfois du mal à évaluer la situation: il y avait beaucoup de vent dans le stade, et en courant en tête, Hassan a gaspillé l’énergie qui lui a manqué dans le dernier tour du 1.500 mètres. Pas de médaille d’or cette fois, seulement une médaille de bronze. Le lendemain, elle a remis les pendules à l’heure en remportant une nouvelle médaille d’or, sur 10.000 mètres. Le sprint final a été très disputé, mais elle a fini par émerger. Son adversaire a vacillé après avoir franchi la ligne, elle-même n’était pas beaucoup mieux. Elle a chuté après la ligne, a rampé vers le côté, a eu besoin d’eau et de glace pour refroidir son front et ses pieds. Peu de temps après, elle a éclaté en sanglots. Elle, qui n’est pas émotive, s’est alors rendue compte de l’énergie que ses exploits lui ont coûté. Elle était contente que tout soit terminé. Quelques célébrations plus tard, elle pouvait enfin exaucer son plus grand souhait: dormir.

Sifan Hassan (à droite) sur la piste du stade Roi Baudouin lors de l'édition 2020 du Memorial Van Damme. Elle y battra le record du monde de l'heure.
Sifan Hassan (à droite) sur la piste du stade Roi Baudouin lors de l’édition 2020 du Memorial Van Damme. Elle y battra le record du monde de l’heure.© GETTY

Hassan, la nomade

La préparation pour Tokyo a été très compliquée pour Sifan Hassan. Elle est Néerlandaise, mais séjourne rarement aux Pays-Bas. Elle partage son temps entre les États-Unis, où elle s’entraîne depuis 2016 sous la direction d’ Alberto Salazar d’abord, de Tim Rowberry ensuite, et l’Éthiopie, où elle a ses racines. Un problème de visa en pleine pandémie et le report des Jeux Olympiques ont encore compliqué sa préparation. Pendant un an, elle n’a pas pu retourner aux États-Unis, mais est restée bloquée plusieurs mois en Éthiopie, où la situation dans la région du Tigré a encore accru l’insécurité. Finalement, elle a dû passer par le Kenya pour obtenir malgré tout un nouveau visa pour les États-Unis. Durant deux mois en 2020, elle en a perdu l’envie de s’entraîner. Mais à quelque chose malheur est bon: grâce à cette longue période passée dans son pays natal, elle a pu renouer le contact avec sa mère et son père, qui possèdent chacun une ferme et ne vivent pas ensemble. Ce qui l’a sauvée pendant cette période: la lecture du Coran.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire