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Quand la cocaïne s’invite à la fête du rugby

L’arrestation des rugbymen Ali Williams et James O’Connor pour détention de cocaïne relance le débat sur l’usage de ce stupéfiant souvent qualifié, un peu vite au vu de ses vertus stimulantes, de substance festive, dans un sport de plus en plus éprouvant pour les organismes.

Les circonstances de l’interpellation, dans la nuit de vendredi à samedi, du deuxième ligne néo-zélandais du Racing 92 et de l’arrière polyvalent australien du RC Toulon, devant une boîte de nuit parisienne, laissent certes augurer d’une utilisation récréative de ce psychotrope longtemps élitiste et désormais largement démocratisé. Mais les effets dopants de la « coke » sont suffisamment percutants pour entretenir l’ambiguïté sur les véritables motivations des joueurs.

« La cocaïne améliore les performances par une augmentation de la vigilance, de la réactivité, de l’agressivité », détaille Xavier Bigard, conseiller scientifique de l’Agence Française de lutte contre le dopage (AFLD).

Un effet stimulant corroboré par Christian Bagate, ancien président de la commission médicale de la Fédération française de rugby (FFR) qui évoque le « cocktail corticoïdes-cocaïne du lundi-mardi-mercredi » destiné à supporter les lourdes charges d’entraînement du début de semaine tout en récupérant du match du week-end.

Un « pot belge » rugbystique, selon l’expression de l’ex-médecin fédéral, consommé jusqu’en milieu de semaine pour être éliminé avant d’éventuels contrôles. La cocaïne et les corticoïdes ne sont en effet pas interdits par les autorités sportives -et donc pas recherchés- hors des périodes de compétition.

– Vingt fois plus de morts subites –

Mais la cocaïne n’est pas la panacée sur le plan des performances. « Elle augmente la fréquence cardiaque de repos et entraîne une baisse des réserves énergétiques, reprend Xavier Bigard. Au bout du compte, les situations où la cocaïne bénéficie à la performance sont des efforts de très courte durée et de très haute intensité comme un mouvement d’haltérophilie par exemple. »

Sur un terrain de rugby, la cocaïne aura donc un effet dopant sur l’explosivité, la prise de décision ou la tolérance aux chocs, mais constituera un handicap à 80 minutes d’allers-retours d’un en-but à l’autre.

Au-delà de ces considérations, elle représente un danger sanitaire majoré pour les sportifs, vingt fois plus souvent victimes de mort subite lorsqu’ils sont sous son influence, selon le conseiller de l’AFLD.

Car la cocaïne est d’abord un stupéfiant, une drogue et donc à ce titre particulièrement addictive. C’est d’ailleurs l’origine de la confusion entre sa consommation festive et son usage dopant.

« Il y a une vraie porosité entre les milieux festifs et sportifs. La prise de contact avec la cocaïne se fait certainement souvent dans le premier », estime Laurent Bénézech, ancien pilier international, auteur en 2014 d’un ouvrage dénonçant le dopage dans son sport. « Ce n’est pas nouveau », reprend-il, rappelant le précédent Pieter de Villiers, du nom de l’ex-pilier international français (1999-2007), d’origine sud-africaine, premier joueur positif à la cocaïne; contrôle finalement annulé pour vice de forme.

– ‘Le sentiment d’être Superman’ –

« C’est un produit très pratique, facile et bon marché pour gérer les après-matches et supporter de lourdes charges de travail » qui permettent d’améliorer les performances en match, reprend Bénézech, ostracisé par une partie de ses pairs après la parution de « Rugby, où sont passées tes valeurs?: un joueur brise l’omerta » (ed. La Martinière, 2014). « Mais le discours, dans le rugby, a toujours été +C’est un produit festif et un problème de société+ », déplore-t-il.

Un refrain entonné par Mourad Boudjellal, président de Toulon et de James O’Connor, qui a estimé lundi que « dans certains clubs et auprès de beaucoup de joueurs, la coke s’est un peu invitée dans le milieu festif. On a eu l’étape alcool, là on est à une autre étape ».

Le rugby n’est, loin s’en faut, pas un cas isolé. Un an après Bénézech, le nageur Amaury Leveaux a jeté un pavé dans les bassins en publiant un livre au titre quasi plagié sur celui du rugbyman: « Sexe, drogue et natation: un nageur brise l’omerta ».

La cocaïne « stimule le système nerveux central, permet de ne pas avoir faim, de ne pas être fatigué, de lutter contre la difficulté de l’effort. Elle donne au sportif le sentiment d’être invincible, d’être Superman, la sensation que rien ne lui résiste », y écrit le champion olympique du 4×100 m en 2012.

Natation, sports de combat ou extrêmes, automobile, tennis… La cocaïne est présente dans toutes les disciplines mais les rugbymen sont, sans doute, les plus tentés par son usage. Il n’est en effet, selon Xavier Bigard, pas de sport comparable en terme « d’augmentation aussi rapide des morphologies, des traumatismes, des contraintes physiques, associée à une diminution des temps de récupération. »

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