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« On veut que notre sport soit mis en valeur »

Si le rugby belge, et masculin, se développe à XV, il grandit plutôt à VII côté féminin. En tout cas, les jumelles Stevins, Héloïse et Margaux, font ce qu’elles peuvent pour le porter haut. Entretien où il est question de bras cassés, faux cils et girl power.

Des couloirs immaculés, des bureaux vides dans une enceinte fraîchement sortie de terre, au milieu d’un presque no man’s land. En février 2018, le stade Nelson Mandela de Neder-over-Heembeek voit le jour. Un an plus tard, deux petits formats poussent les portes vitrées de leur QG, qui sent encore le neuf.

 » L’interview ne devrait pas durer trop longtemps, on a la même histoire « , sourit Margaux Stevins, MG pour les intimes, en compagnie de sa soeur jumelle, Héloïse, dite Hélo. Les deux rugbywomen reviennent juste d’un tournoi mitigé à Dubaï, avec les Belsevens, l’équipe nationale de rugby à VII, sport olympique depuis 2016.

Les JO, c’est clairement notre objectif.  » Margaux Stevins

Doubles championnes de Belgique de rugby à XV avec Boitsfort, elles ont choisi cet été de descendre de deux divisions pour rejoindre le club de La Hulpe et surtout se concentrer sur un objectif commun : les JO de 2020.

Que ce soit au pays, où elles vivent ensemble à Etterbeek, ou à l’autre bout du monde, elles ne se quittent pas d’une foulée.  » Il va falloir penser à couper le cordon « , taquine Héloïse, dans son gros pull bleu marine floqué à coups de lettres roses.

Fin décembre dernier, elles ont fêté leurs 26 printemps, mais aussi leur première décennie d’ovalie, avant de dresser le bilan, calmement.

 » On a compris qu’on avait franchi un cap quand on a été à Hong-Kong pour la première fois, en 2017. C’est le temple du rugby à VII « , poursuit Hélo, inspirée, gamine, par Serena Williams, cette ‘femme forte’.

 » Au début, on combinait le rugby avec nos cours de piano. Sauf qu’on arrivait les doigts bandés, sans avoir révisé, ce qui avait le don d’énerver notre prof…  » Aujourd’hui, les jumelles Stevins rêvent plutôt d’écrire les partitions d’un sport que l’on pense faussement acquis à la cause masculine.

 » On peut devenir professionnelles  »

Qu’est-ce que vous attendez du rugby ?

HÉLOÏSE STEVINS : Personnellement, je continue à croire que si on poursuit sur notre lancée, au niveau des entraînements et des résultats, que ça bouge un petit peu, on peut devenir professionnelles. Et si ça ne marche pas pour nous, ça marchera pour les générations suivantes. Je veux continuer à me battre et on verra bien. En tout cas, avant les JO, ça va être compliqué de lâcher ( elle sourit).

MARGAUX STEVINS : Les JO, c’est clairement l’objectif. Le problème, c’est qu’on a plusieurs projets à la fois et il n’y a pas de projet olympique concret qui est mis en place. Pourtant, le rugby à VII est devenu un sport olympique en 2016, mais l’évolution qu’on se doit d’avoir pour 2020 doit surtout venir de nous… Alors on compte sur notre détermination et notre motivation. C’est un projet en tant que joueuse, pas en tant que fédération, puisqu’il n’y a pas d’attentes particulières.

Pour les non-initiés, le rugby féminin pourrait attirer davantage d’adeptes dans sa version à VII, qui est plus abordable, plus spectaculaire donc éventuellement plus télévisuelle. Dans votre cas, vous avez l’impression de pouvoir jouer le rôle de pionnières ?

MARGAUX : Avant nous, il y avait des joueuses qui ont défendu le rugby féminin et c’est grâce à elles qu’il en est là aujourd’hui. De notre côté, on apporte davantage le côté athlète, sportive de haut niveau, faire attention à ce qu’on bouffe, etc. C’est ce qui est assez nouveau.

HÉLOÏSE : Les résultats aussi. On n’a jamais fait mieux avant. En avril, on va partir à Hong-Kong. Si on gagne le Hong-Kong Sevens, on passe en World Series ( il y a plusieurs divisions au sein d’un même tournoi, ndlr). Ça serait une première pour le rugby belge.

MARGAUX : Avant, on n’allait juste pas à Hong-Kong ( rires).

Vous sentez qu’il y a un engouement autour du rugby féminin ?

HÉLOÏSE : C’est clair. Il y a de plus en plus d’équipes féminines. Les clubs doivent désormais avoir une équipe réserve. Ça les force à recruter. À La Hulpe, j’ai l’impression qu’à chaque entraînement, il y a quelqu’un de nouveau. C’est peut-être parce que c’est un peu plus visible à la télé…

MARGAUX : Moi, j’ai l’impression qu’il y a aussi une génération  » girl power  » qui émerge. C’est-à-dire que les filles se mettent au rugby parce qu’elles veulent se mettre au même niveau que les mecs, être considérées de la même manière. Je les entends parler dans le vestiaire, c’est quand même des forts caractères qui viennent au rugby, rarement des toutes timides.

Il fallait sûrement être un peu  » girl power  » pour commencer le rugby, en 2008…

MARGAUX : Moi, je le suis carrément ( rires). On a commencé à quinze, seize ans, il y a pile dix ans. On vient de Ham-sur-Heure, pas loin de Charleroi, et on a participé à une initiation après la Coupe du monde 2007. Le Black Star Charleroi a voulu créer une équipe féminine pour développer un peu le club. Des potes d’enfance et des copines de classe en ont entendu parler et elles nous ont rameuté.

HÉLOÏSE : C’était chouette. On a dû débarquer à dix, on se marrait trop. Au début, c’était plus de l’amusement, mais on a vite accroché et on a vite été repérées.

MARGAUX : C’est ce qui nous a boostées, je pense. On s’est dit qu’on avait des qualités.

HÉLOÏSE : Il fallait les voir… Franchement, on était nulles ( rires). Je me demande encore comment on a pu déceler un potentiel chez nous. La technique, elle vient en travaillant, surtout chez les filles, qui ont moins de prédispositions que les hommes. Nous, on était scandaleuses ( rires).

MARGAUX : Mais on a toujours été sportives. On a fait tous les stages multisports possibles pendant les vacances. On savait courir, on avait de la psychomotricité, on savait toucher des ballons parce qu’on avait fait du volley, mais on ne savait pas faire une passe. Plaquer… ( elle souffle) À part se battre entre nous, on ne le faisait pas spécialement. En fait, je crois que le rugby nous a canalisées.

 » On se challenge entre nous  »

Apparemment, vos parents ont quand même eu du mal à se faire à l’idée que leurs jumelles allaient jouer au rugby, notamment pour les risques de blessures.

HÉLOÏSE : Surtout quand, en 2017, je me suis cassé le bras aux Championnats d’Europe, à Kazan, en Russie. J’y suis restée, sans intervention, pendant trois jours. Je ne voulais pas me faire opérer là-bas et je ne pouvais pas rentrer plus tôt, il n’y avait pas d’avion. Sauf qu’un nerf était comprimé par la fracture… Je me suis réveillée, je ne savais plus bouger la main. J’étais vraiment en mode guerrière, survivor. Après, il y a eu des complications, j’ai dû me faire réopérer et je n’ai pas pu jouer pendant un an.

On dit souvent que les jumeaux souffrent l’un pour l’autre. Margaux, c’était le cas ?

MARGAUX : Franchement, j’aurais préféré que ça soit moi. Je crois que je ne me suis jamais sentie aussi mal. Elle se levait, elle avait des chutes de tension… Heureusement, le médecin de l’équipe de France – parce qu’on n’en avait pas à l’époque – lui avait donné des médicaments. Malgré tout, je devais rester focus dans mon tournoi. J’étais coincée entre la surveiller et regarder une analyse vidéo. Sur le moment, je m’en foutais, j’avais juste envie d’être près d’elle. Après, je me suis dépassée parce que je me suis dit que je jouais pour deux.

 » Ce qu’on veut par-dessus tout, c’est jouer ensemble. « © BELGAIMAGE

HÉLOÏSE : C’est une des raisons pour lesquelles on dit qu’on est la plus grande force et la plus grande faiblesse de l’autre. Là, il faut dire que c’était chaud. J’avais le bras cassé en quatre, on m’avait mis une gouttière pour jambes, du coup c’était trop grand et mon bras bougeait, on me mettait de l’ammoniac sous le nez et dans l’ambulance, on m’a dit que je devais aller au test anti- dopage… La totale.

Est-ce qu’il y a, à l’inverse, une compétition entre vous ?

HÉLOÏSE : On se challenge entre nous, c’est tout. Ce n’est pas vraiment une compétition, c’est plutôt qu’on se tire vers le haut, puisque ce qu’on veut, c’est jouer ensemble. On veut que le coach annonce son équipe avec nos deux noms sur la feuille de match.

MARGAUX : Enfin, quand tu portes un poids à la muscu, il faut que je porte au minimum le même… ( rires)

 » Je suis un chien de rue, elle est plus fofolle  »

Vos deux carrières sont indissociables. Il n’y a quand même pas un peu de soulagement, voire un sentiment de liberté, quand l’une de vous deux est absente ?

HÉLOÏSE : Au début de la saison, Margaux est partie en vacances et j’ai commencé à La Hulpe toute seule. J’avoue que c’était chouette. J’adore jouer avec elle, mais être vu comme Héloïse et non plus uniquement Héloïse,  » la soeur de Margaux « , ça faisait du bien. Je ne passe pas forcément après elle, mais finalement, on est différentes et on n’a pas la même histoire. Moi, je suis le chat noir, le vilain petit canard… J’ai pas mal été blessée, je n’ai simplement pas de chance ( elle rit).

Au début, on combinait le rugby avec nos cours de piano. Sauf qu’on arrivait les doigts bandés, sans avoir révisé, ce qui avait le don d’énerver notre prof…  » Héloïse Stevins

MARGAUX : L’année de sa blessure au bras, je me concentrais sur mon prénom au moment des sélections. Ce qui, avant, n’arrivait pas. Quand elle est revenue, je me concentrais sur le sien… C’est spécial.

Qu’est-ce qui vous différencie ?

MARGAUX : Je pense que je suis un peu plus agressive. Sur le terrain, je suis un vrai chien de rue ( sic). Je suis assez technique, Héloïse aussi, mais elle part un peu plus dans tous les sens, elle est plus  » fofolle « . Elle prend plus de risques que moi, je suis plus dans le système.

HÉLOÏSE : Notre coach précédent n’aimait pas trop mon profil parce que je suis un peu imprévisible, il disait que ça pouvait marcher, comme ça pouvait nuire à l’équipe. Quand je vois quelque chose, je tente. Je joue au feeling. Je respecte le plan de jeu, d’accord, mais il faut quand même s’amuser.

Quand on tape votre nom sur internet, des articles vous classent parmi  » les plus belles jumelles du sport « . Ce n’est pas réducteur ?

MARGAUX : Je ne veux plus de titre comme ça ( rires) ! C’est même hyper réducteur. Au final, les gens qui vont lire l’article se concentrent là-dessus alors qu’on ne défend pas du tout ce truc de beauté. Ça me scandalise, vraiment. Cela réduit tout le travail qu’on effectue au quotidien. On se défend déjà toutes seules, on n’a pas besoin de ça.

HÉLOÏSE : On n’a jamais dit qu’on voulait que des belles filles viennent au rugby. On s’en fout. On défend tellement de choses en dehors de ça…

 » Au rugby à VII, tu vois de vraies meufs  »

Qu’est-ce que vous défendez ?

MARGAUX : On veut défendre notre pays et prouver que le travail paie, qu’on n’est pas des filles qui veulent seulement voyager à Dubaï ou à Hong-Kong. On veut que notre sport soit mis en valeur.

HÉLOÏSE : On le fait aussi pour les plus jeunes. Par exemple, les filles pensent souvent qu’elles ne doivent pas faire de la musculation, que ce n’est pas féminin. Nous, ça fait un moment qu’on en fait et on reste des croquettes ( rires). On n’est pas des bodybuildeuses. On a plus de muscles qu’avant, mais on n’a pas de la moustache pour autant.

MARGAUX : L’image qu’on a du rugby, c’est celle du rugby à XV. Sauf que si tu es pilier à XV ( joueur de première ligne, ndlr), tu ne tiens pas une minute à VII. Ce serait bien que les gens comprennent que ce n’est pas la même chose, que ce n’est presque plus le même sport.

Pour beaucoup, le rugby conserve cette image violente, très archaïque…

HÉLOÏSE : ( elle coupe) Dans la vie de tous les jours, quand je dis que je fais du rugby, les gens sont très surpris. On me dit :  » Mais quoi ? Tu vas me frapper ? ! Tu vas me plaquer ? !  » ( rires) Comme si directement, j’inspirais la violence, alors que c’est un sport hyper technique, avec des règles.

MARGAUX : Maintenant, si tu vas sur un tournoi de rugby à VII, tu vois de vraies meufs. Certaines ont des faux cils, d’autres se maquillent avant d’aller jouer… C’est la spécialité des Anglaises, qui mettent aussi du fond de teint. Ce n’est plus le rugby d’avant, c’est terminé.

HÉLOÏSE : Nous, on se maquillera seulement le jour où on passera à la télé… ( rires)

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 » Les JO avant d’être périmées  »

Vivre du rugby reste très difficile, notamment en Belgique et encore plus quand on est une femme. Vous en aviez conscience d’entrée ?

HÉLOÏSE STEVINS : On n’y pense pas vraiment parce qu’au fond de nous, on y croit. On veut passer pro.

MARGAUX STEVINS : On fait tout pour, du moins. On s’entraîne, on bosse, sur notre temps libre et avec nos moyens. Dans nos dispositions actuelles, on donne le maximum. On essaye d’être le plus pro possible, mais on ne le fait pas en se disant qu’on doit le devenir obligatoirement.

HÉLOÏSE : ( elle coupe) Mais c’est notre rêve ! Moi, si tu me dis :  » demain, tu signes un contrat « , j’y vais. Je m’entraînerais autant et de la même manière sauf que j’aurais plus de récupération parce que je n’aurais pas besoin de travailler à côté.

À l’heure actuelle, vous devez jongler chacune de votre côté avec un travail.

MARGAUX : Ça fait un moment que je fais des sacrifices pour le rugby. Disons que j’ai laissé de côté l’aspect professionnel, pour l’instant. Je bosse dans une mutuelle, à plein temps, depuis deux ans. Je fais de l’administratif, ce n’est pas très contraignant, ça me permet d’avoir des horaires flexibles et des congés pour les tournois. Je devrais bientôt me lancer en tant que neuropsychologue indépendante pour travailler avec les enfants.

HÉLOÏSE : Je suis kiné à mi-temps, en maison de repos. C’est un travail assez flexible, je peux me permettre de décaler des après-midis pour pouvoir partir en stage ou en tournoi à l’étranger. Mais à l’avenir, j’aimerais vraiment monter un projet sportif. J’attends d’abord de voir si on peut se qualifier pour les Jeux Olympiques en 2020, voire en 2024, du moins avant d’être périmées pour le rugby ( elle sourit).

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