Laurent Raphaël

London Calling J-64: Sans fighting spirit, pas d’exploit

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Quatrième épisode du carnet de bord hebdomadaire du rédac chef de Focus qui s’apprête à courir le Virgin Money London Marathon. Cette semaine, focus sur la souffrance dans l’effort; mais aussi le coin cinéma et les travaux pratiques.

Dans cet article:

  1. A bout de souffle
  2. Bande annonce (Les Chariots de feu de Hugh Hudson)
  3. Travaux pratiques

À BOUT DE SOUFFLE

London Calling J-64: Sans fighting spirit, pas d'exploit

La vidéo a fait le tour du monde cette semaine sur les sites d’info, catégories Sports ou Insolite -à défaut de pouvoir la ranger sous l’étiquette Masochisme, Inconscience ou Force de caractère, c’est selon. On y voit la coureuse kényane Hyvon Ngetich à quatre pattes, le regard absent, la tête et le torse en suspension entre deux bras format allumettes, se traîner vers la ligne d’arrivée du marathon d’Austin comme une araignée qui aurait avalé une triple dose de Xanax. Une équipe médicale l’entoure, il y a même une âme charitable qui a apporté un fauteuil roulant mais la jeune femme de 29 ans ne veut rien entendre, bien décidée qu’elle est à terminer la course malgré la défaillance moteur qui lui a coupé les jambes à quelques mètres de l’objectif…

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Pour l’apprenti marathonien que je suis, ce spectacle de la souffrance volontaire (mais est-on encore volontaire de quoi que ce soit quand on est complètement dans le cirage?) suscite des sentiments mélangés. D’un côté, je suis admiratif de la volonté à toute épreuve de cette athlète qui a rayé le mot « renoncement » de son vocabulaire. Sans fighting spirit, pas d’exploit. Une règle qui vaut pour le sport mais aussi pour la musique, l’écriture, le cinéma, la danse ou la science. Le film Whiplash qui est sorti cette semaine (l’histoire d’un jeune batteur prêt à tout pour décrocher la lune) en fait la démonstration avec tambours mais sans trompettes: le génie sans le travail, c’est comme posséder une Ferrari mais ne pas avoir les clés.

Le supplice de la Kényane fait aussi écho à l’idée répandue, dans tous les sports, que la victoire est plus belle quand elle est pavée de sacrifices. Le cycliste qui termine l’ascension du col la langue sur le guidon sera d’autant plus adulé. Lance Amstrong n’a pas compris ce principe de base. Tout semblait trop facile pour lui. On sait maintenant pourquoi. Il aurait au moins dû faire semblant de se faire mal. La dramatisation est l’ingrédient principal d’un storytelling qui soulève les foules. On doit sentir que le champion pourrait à tout moment s’effondrer. On attend qu’il se surpasse, titille la frontière de sa propre humanité. Une mythologie de l’effort extrême qui ne date pas d’hier. Pour la petite histoire, Philippidès, le messager qui avait parcouru les 42 kilomètres séparant Marathon d’Athènes pour annoncer la victoire contre les Perses en 490 avant JC, n’ira pas plus loin. Il décèdera juste après. Ce qui aurait pu vacciner toute le monde de vouloir retenter le coup. Bien au contraire, c’est devenu une distance étalon à laquelle des millions de gens se sont mesurés.

Philippidès, le messager qui avait parcouru les 42 km séparant Marathon d'Athènes pour annoncer la victoire contre les Perses en 490 avant JC.
Philippidès, le messager qui avait parcouru les 42 km séparant Marathon d’Athènes pour annoncer la victoire contre les Perses en 490 avant JC.© REUTERS/John Kolesidis

Admiration d’un côté donc pour le jusqu’au-boutisme de l’athlète féminine, nausée de l’autre. Toute personne qui fait du sport intensivement redoute comme la peste ce point de rupture. Au minimum, sans même penser au pire, tout adepte s’interroge sur les bienfaits ou non de sa pratique sportive sur sa santé. Or plus la discipline est exigeante et exercée avec frénésie, plus le risque de se mettre dans le rouge est grand évidemment. Sans parler d’autres facteurs visibles ou non qui peuvent aggraver son cas, comme l’âge, une malformation cardiaque, etc.

Chez le boxeur comme chez le coureur de fond, une petite lampe est censée s’allumer quand la limite anatomique est franchie. Mais parfois elle ne s’allume pas. Ou elle est volontairement ignorée par un mental prêt à brûler tous les feux rouges pour arriver à destination et honorer le contrat que le sportif a signé avec lui-même. Une conduite dangereuse qui ouvre certes la route des records (que ce soit celui de l’amateur ou du pro) mais augmente aussi sensiblement le risque d’accident.

C’est tout le paradoxe du sport. La société valorise les exploits sportifs. Ils sont mis en scène et brandis comme des démonstrations. On parle d’ailleurs des « dieux du stade ». En même temps, si on se place d’un point de vue purement médical, la modération est la meilleure assurance-vie. Entre le sport passion qui déchaîne les émotions mais prend tous les risques et le sport pépère qui assure la longévité mais ne sublime pas la condition humaine, il faut donc choisir. Ce qui n’empêche évidemment pas de prendre des précautions simples dans tous les cas. Inutile de jouer au kamikaze. Pour éviter les petits et gros désagréments, rien ne vaut ainsi une bonne préparation. Physique et mentale. Chaque semaine, nos amis de Body Talk, le magazine santé, nous livreront quelques conseils pratiques et décortiqueront les études scientifiques qui mettent le corps humain en équation. Commençons par le début avec le rappel des règles de base à respecter quand on commence à courir.

BANDE-ANNONCE

Les Chariots de feu (Chariots of Fire), de Hugh Hudson, avec Ben Cross, Ian Charleston, John Gielgud. 1981.

Les Chariots de feu, c’est un peu le péplum des films de course à pied. Mais aussi un manifeste gay avec son défilé de beaux garçons à la virilité fougueuse mais fragile. La scène d’ouverture est un monument du genre, gravée dans toutes les mémoires au rayon de la célébration orgasmique du corps.

On y voit un groupe de jeunes athlètes, tous vêtus pareillement d’élégants shorts et t-shirts blancs, galoper au ralenti comme une horde de chevaux les pieds dans l’eau sur une plage coiffée d’un ciel menaçant. La caméra les serre d’abord de près, saisissant les signes de contentement sur les visages juvéniles, avant de s’écarter progressivement pour laisser filer la petite troupe et l’inscrire dans le décor grandiose d’une cote anglaise battue par les vents. Cette entrée en matière gonflée que n’aurait pas reniée Leni Riefenstahl, la grande prêtresse de la propagande du régime nazi, est soulignée par une bande-son redoutable, passée depuis à la postérité, flot de nappes synthétiques aux effets lysergiques ravageurs.

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Il fallait oser ce mélange entre un classicisme visuel très Burberry et une bande-son érotico-électro. Hugh Hudson l’a fait, sans doute décomplexé par une époque, le début des années 80, prête à toutes les expérimentations esthétiques, même les plus hasardeuses. Cet enrobage publicitaire en agacera certains, il conserve pourtant un fort indice de vitalité trente-cinq ans plus tard. Même la musique pompeuse de Vangelis contribue largement à mettre en lévitation cette évocation léchée du sport comme accélérateur de foi (en l’homme ou en dieu) à travers le portrait croisé de deux athlètes que tout oppose et qui deviendront les étendards de la délégation britannique à Paris pour les Olympiades de 1924. Une histoire estampillée « inspirée de faits réels ». Harold Abrahams est anglais, juif, impulsif et ambitieux. Il s’est ouvert les portes de la haute, et singulièrement de l’université de Cambridge, grâce à l’argent de son père banquier. Eric Liddell, lui, est écossais, réfléchi, sauf quand il s’agit de sa foi, qu’il vit avec une passion dévorante et à laquelle il consacre sa vie. Chacun son carburant pour courir plus vite: la reconnaissance pour le premier, une quête mystique pour le second.

Les valeurs du sacrifice, du dépassement de soi sont célébrées dans une chorégraphie millimétrée qui fait la part belle à la grâce physique, mais évite toutefois le grand barnum hollywoodien. Hugh Hudson n’est pas anglais pour rien. Reste que si ce n’était qu’un beau chromo, le film n’aurait pas plus d’intérêt qu’un clip du comité olympique. Mais sous son vernis brillant, Les Chariots de feu creuse des tunnels existentiels plus profonds qui résonnent d’ailleurs étrangement avec l’actualité. Chacun des deux protagonistes lutte contre un mal qui le ronge. Alors que Harold court avant tout pour faire oublier sa judaïté et laver les affronts de l’antisémitisme ordinaire symbolisé par les sous-entendus permanents des présidents de Cambridge, Eric se débat avec une foi dévorante qui lui donne certes des ailes, mais l’écrase aussi sous son couvercle de principes. Quand il ne refuse pas de courir le dimanche au risque de briser son rêve, il se flagelle l’esprit avec ce cas de conscience: est-ce qu’il agit vraiment au service de l’église ou par pure vanité? Ces questions identitaires traversent tout le film, lui donnent du muscle et de la vitesse. Et dans le contexte tendu actuel, le message d’espoir final, qui voit la liberté individuelle et la fraternité triompher à grandes enjambées, est toujours bon à prendre…

TRAVAUX PRATIQUES

Je suis passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel émotionnel cette semaine. Dimanche dernier, je faisais la grimace après ma sortie de 20 kilomètres en pleine nature. J’avais dû me prendre les pieds dans le tapis à un moment ou l’autre parce que le soir j’ai ressenti une douleur à la cheville gauche, comme un cliquetis électrique dans la charnière. Pas assez forte toutefois pour lancer le plan catastrophe (toubib, kiné, etc.), mais suffisante pour me demander si je n’allais pas devoir écourter ma carrière de coureur de fond.

De peur d’aggraver mon cas, j’ai marché toute la journée de lundi comme si j’avais un escarpin Louboutin à 1500 euros au bout du pied et que la moindre griffe me serait facturée. Je crois même avoir rêvé cette nuit-là que le personnage qu’incarne Kathy Bates dans Misery venait me chatouiller l’astragale à la masse pour m’empêcher de continuer à galoper. Malgré la dose de Voltaren frénétiquement appliquée sur la zone sensible avant de me coucher, j’en avais des sueurs froides.

Mardi matin, j’allais savoir si j’avais raison de m’inquiéter ou si je me faisais juste une petite crise d’hypocondrie. Heureusement, mon planning prévoyait un régime léger: 13 km en endurance fondamentale. Du gâteau en temps normal. Une sorte de décrassage après un week-end riche en acide lactique: 16 km sur piste avec 2 x 4000 à toute vapeur le samedi, puis le lendemain, une balade de 20 bornes dans la forêt avec des jambes aussi mobiles que des troncs d’arbres.

London Calling J-64: Sans fighting spirit, pas d'exploit
© Maxence Dedry

Je fais mes lacets, je règle mon cardio, je me connecte au satellite le plus proche et c’est parti. Après 100 mètres, rien. Après 500 mètres, toujours pas de douleur. Soulagement. Ce n’était donc qu’un nerf coincé ou une bricole de ce genre. Qui n’a pas résisté à l’échauffement des tissus une fois que la machine se met en mouvement. Pour fêter ça, j’ai même décidé de m’en payer une tranche supplémentaire le mercredi. Comme ça, pour le plaisir. Un petit extra de 10 km que j’allais payer comme le morceau de gâteau au chocolat qu’on s’enfile alors qu’on sait pertinemment que c’est celui de trop.

Avec quatre séances hebdomadaires, le corps est déjà comme un élastique hyper tendu prêt à lâcher au moindre coup de vent. En ajouter une supplémentaire n’a donc rien d’une formalité. C’est un jour de récup en moins. Ça chamboule l’équilibre anatomique précaire mis en place depuis quelques semaines. Résultat: la séance de fractionnés du jeudi a viré au bras de fer mental en douze rounds, un pour chaque sprint d’une minute. Du coup, à la fin de la journée, j’avais retrouvé la même grimace que dimanche, non plus cause d’un bobo mais d’un gros coup de fatigue!

Et dire que le plus dur reste à venir. Avec un jeu de piste samedi (au choix, du fractionné ou de la résistance), et surtout un ruban de bitume de 22 km dimanche, première fois que je me paierai cette distance depuis le marathon de Bruxelles en octobre dernier. Tu l’as voulu mon gars, eh ben tu l’as!

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