Laurent Raphaël

London Calling J-15: La ville, terrain de jeu pour le coureur de fond

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

À deux semaines du Virgin Money London Marathon, Laurent Raphaël livre l’une des dernières entrées de son carnet de bord, où il est question d’une séance XXL sous le soleil, mais aussi du film culte de Tom Tykwer, Cours, Lola, Cours.

La traversée de Berlin

London Calling J-15: La ville, terrain de jeu pour le coureur de fond

La course à pied se cache parfois là où on ne l’attend pas. Comme dans les interstices d’un film allemand culte des années 90 (1998 pour être précis). Son titre est pourtant explicite: Cours, Lola, Cours. Sauf qu’on est très loin de l’hagiographie mélodramatique d’une athlète de haut niveau suggérée par cette injonction sportive. On est même très loin des pistes d’athlétisme tout court.

Si on galope beaucoup dans ce thriller gonflé à la techno industrielle, c’est avant tout pour sauver sa peau. Celle de Manni en l’occurrence, jeune malfrat qui a eu la mauvaise idée d’oublier dans le métro le sac contenant les 100.000 marks qu’il doit remettre dans moins d’une demi-heure à son propriétaire. Lequel n’est pas du genre à gober des explications fumeuses. Paniqué, il appelle sa copine, Lola, qui le supplie de ne pas braquer la supérette comme il a l’intention de le faire. Il lui laisse 20 minutes, pas une de plus, pour trouver une solution avant de passer à l’acte…

Sur le principe très à la mode à l’époque d’Un jour sans fin, de Smoking/No Smoking ou de Pile et Face, le réalisateur Tom Tykwer qui a dû beaucoup regarder MTV dans sa jeunesse rejoue trois fois la course contre la montre qui s’ensuit avec à chaque fois une petite variante dans le scénario qui aboutit à un dénouement plus ou moins heureux. Dans le premier, la jeune fille essuie le refus de son père banquier de l’aider, avec en prime l’annonce qu’il quitte femme et enfant, dans le deuxième, elle prend le daron en otage et se sert dans la caisse, dans le troisième, elle rate son père de peu et va tenter sa chance au casino.

Le fil rouge -comme la coiffure flamboyante post-punk de Lola, qui court d’un bout à l’autre de ce film-performance-, c’est le sprint de longue haleine que pique l’héroïne pour rallier les lieux clés de la géographie du drame. C’est d’ailleurs l’image qui reste gravée dans la conscience 17 ans après. La faute à une manière très viscérale de filmer cette course folle mais aussi au magnétisme naturel d’un corps lancé au galop, mélange de puissance et d’élégance.

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Même si le soufflé de l’innovation visuelle dont Tykwer farcit son film est un peu retombé depuis, cette cavalcade se laisse revoir avec un certain plaisir. Comme une madeleine qui aurait trempé non dans une tasse de thé Earl Grey mais dans un bain d’acide, au sens stupéfiant du terme, tant la bande-son speedée que le montage nerveux renvoient à une certaine imagerie du Berlin underground.

Certes, l’étalage technique virtuose (du split screen au déroulement en temps réel en passant par l’intégration d’une séquence en dessin animé) frise la démonstration mais Tykwer n’en perd pas de vue pour autant le ressort humain, qui tapisse les boulevards de cette odyssée graphique. Le contraste entre les codes tarantinesques et la déco martiale ou kitsch qu’on dirait par moments sortie d’un épisode de l’Inspecteur Derrick rehausse l’ensemble d’un joli grain de folie. Pas étonnant que Tykwer ait franchi les frontières ensuite pour réaliser, notamment, Heaven avec Cate Blanchett. Ou aussi que Franka Potente, qui prête ses traits et surtout sa foulée à Lola, se soit retrouvée quatre ans plus tard au générique du musclé La Mémoire dans la peau aux côtés de Matt Damon.

Courir peut sauver des vies. C’est la leçon que je retiendrai. Mais aussi que la ville peut être un terrain de jeu pour le coureur de fond qui devra néanmoins surmonter les obstacles urbains (passants, ambulances -ceux qui ont vu le film comprendront-, etc.) mais également le regard intrigué des gens, pour qui un coureur isolé est au mieux un intrus, au pire un provocateur qui dénonce par le geste leur lenteur, leur soumission coupable à la gravité.

Travaux pratiques

Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. Heureusement. Après avoir connu l’enfer des sentiers il y a 15 jours pour cause de tempête et de virus ORL mal intentionné (lire chronique précédente), je me suis réconcilié avec la course à pied à la faveur d’une séance XXL, la dernière du genre inscrite dans le programme.

Le soleil était pour une fois de la partie. Même si les températures laissaient encore à désirer en ce début de matinée. D’où ce dilemme, qui se présentera forcément aussi à Londres avec un départ programmé à 10h (ce qui veut dire être dans les parages au moins une heure plus tôt): faut-il se couvrir pour éviter de grelotter durant la longue attente et les premiers kilomètres ou anticiper le réchauffement du corps et de la météo deux heures plus tard et partir en tenue légère? Avec à peine 3 degrés au thermomètre dimanche, je ne me suis pas posé longtemps la question, ce sera collants, chaussettes chaudes et gants. Mais d’ici le 26 avril, le fond de l’air matinal pourrait se dégeler un peu et rendre l’équation insoluble.

D’expérience, je sais qu’il vaut mieux résister à la tentation d’empiler les couches. Mais quand on troque la couette pour un manteau de givre, ce raisonnement a du mal à se frayer un chemin jusqu’au poste de commandement. Même si après deux kilomètres, c’est pour regretter d’avoir été si frileux, car il va alors falloir supporter l’excédent de bagage (bonnet, gants, col…) et les bouffées de vapeur pendant tout le reste du voyage. Raison pour laquelle la plupart des pros débarquent en short-singlet sur la ligne de départ, même en hiver.

Chacun tente de tromper les frimas comme il peut. Si certains sont des adeptes du mouvement perpétuel (sautiller, trottiner, s’étirer… tout est bon), d’autres enfilent des sacs poubelle dont ils se délaisseront à la dernière seconde. C’est l’option que j’envisage pour le marathon si les températures nuit-jour devaient continuer à faire le grand écart. Seul le cauchemar écologique potentiel me fait encore hésiter. J’imagine le tableau: 40000 sacs en plastique abandonnés sur le bitume londonien dans le sillage de la marée humaine…

Mais revenons à nos moutons. Je n’ai pas vu passer les quatre premiers kilomètres. Il faut dire que j’avais un lièvre pour me tirer. Un petit lièvre d’1,30m: mon fils de 8 ans. Si pas un futur champion d’athlétisme ou d’une autre discipline, un bon sportif du dimanche. J’y travaille en tout cas. Après cette mise en jambe à du 5’30 » de moyenne, place aux choses sérieuses. Pour me rapprocher le plus possible de la topographie londonienne, j’ai décidé de mettre le cap sur le bois de la Cambre avec l’idée d’enchaîner les tours de « piste ». J’ai prévu de travailler l’endurance fondamentale mais de caser quand même deux fois 7 kilomètres à allure marathon pour corser un peu l’affaire.

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël© Daniel Raphaël

Les mauvais souvenirs de la semaine précédente sont vite oubliés. Le vent ne couche pas les arbres et surtout le physique répond présent. Pas de lassitude, pas de douleurs précoces. Je déplie mon compas à du 5′ au kilomètre, ce qui correspond à ma vitesse de croisière. Mon compteur affiche 12 kilomètres quand je décide d’attaquer le premier morceau de 7 bornes. J’allonge la foulée et je remets une pelle de charbon dans le foyer. Mes fidèles mollets se jouent des montées et descentes sans difficulté. Mon pouls reste sous contrôle, autour de 155. Après un peu moins de trois tours des étangs sur la route, le compte est bon. Porté par une forme d’allégresse qui agit comme un lubrifiant intime, je constate que j’ai tenu une moyenne de 4’30 », soit un peu plus rapide que le temps de passage que je me suis fixé pour Londres (4’37 » pour accrocher 3h15). C’est bon signe.

Je décélère pour la forme pendant 500 mètres avant de reprendre la cadence soutenue de 4’30 ». Et c’est reparti pour 7000 mètres. Là encore, tous les curseurs restent bloqués dans le vert. Je dois bien tirer un peu dans les côtes mais sans jamais avoir la sensation de forcer ma nature. J’ai même tout le loisir de regarder le paysage, qui ne doit pas être fort différent d’il y a un siècle: des flâneurs, des familles, des jeunes, des vieux, des scouts et beaucoup de joggeurs qui préparent j’imagine les 20 km de Bruxelles qui auront lieu fin mai. J’y serai aussi mais ce rendez-vous d’ordinaire si important n’occupe qu’un tout petit coin de ma tête cette année…

Une bonne demi-heure plus tard, je relâche la pression et je reprends mon mid-tempo. Qui me paraît bien lent tout à coup. La vitesse est une notion relative. Quand le cerveau s’est habitué à une cadence, il en fait son étalon. On a tous connu ça en voiture. Après une accélération sur quelques kilomètres, on a l’impression de ne plus avancer une fois qu’on revient à sa vitesse initiale. Il faut d’ailleurs que je regarde plusieurs fois ma montre pour me persuader que je suis bien à 4’55 » et non à 5’30 ».

Après un dernier tour au milieu de la foule de plus en plus dense, il ne me reste qu’à retourner chez moi, soit grosso modo 5 kilomètres. J’ai branché le pilotage automatique. Et si je sens bien dans la descente quelques courbatures au niveau des quadriceps, je n’ai pas de mal à tenir la note jusqu’au bout des… 35 kilomètres de ce qui restera comme le point d’orgue de ma préparation.

Je ne vais pas refaire ici le débat sur l’utilité ou non de glisser quelques cols hors catégorie sur la longue route qui mène vers le marathon. Ce que je peux dire c’est que quand tout se passe bien comme ici, savoir que je ne suis « plus qu’à » 7 petits kilomètres du but met du baume au moral.

Après ce vol long-courrier, j’en viens même à me demander si je ne pourrais pas envisager de partir plus vite le 26 avril, sur une base de 4’35 ». Mais je chasse rapidement de mon esprit cette idée soufflée par l’euphorie du moment. Car comme le dit un personnage de l’excellent roman de Tom McNab dont je reparlerai, La grande course de Flanagan, le gagnant de la course de 5000 km d’un bout à l’autre des États-Unis que raconte le livre « devra être une paire de jambes avec une tête au-dessus« . Inutile et même dangereux de s’emballer sous le coup de l’émotion. Je dois garder une marge de manoeuvre pour le moment fatidique où le corps n’en pourra plus. Si la réserve d’oxygène est déjà consommée dans les 30 premiers kilomètres, c’est foutu.

Bref, au moment de tourner la lourde page de la préparation, le bilan est globalement positif. Je suis arrivé au bout du tunnel sans bobo et avec le sentiment du devoir accompli. J’ai pu cocher toutes les séances prévues depuis début janvier, ce qui était loin d’être gagné. Certes, l’organisme a parfois été soumis à rude épreuve mais les obstacles m’ont endurci et je pense connaître à présent mon « outil de travail » sur le bout des doigts. Sans pouvoir mesurer exactement dans quelles proportions, je sens bien que j’ai amélioré mes performances, tant en vitesse pure (merci le fractionné) qu’en endurance fondamentale. Quoi qu’il arrive le 26, c’est bon à prendre. Les dés sont jetés.

Enfin presque. Il reste quand même deux semaines à tirer. Mais que je vais dévaler au petit trot. Moins de séances à haut régime, des sorties plus courtes… Je devrai réduire de 30% le volume total lors de la première semaine, et de 60% lors de la seconde. Une macédoine allégée composée de deux sorties moyennes (25 et 15 km) mais surtout de joggings light, l’un ou l’autre saupoudré de quelques accélérations pour ne pas perdre le pied. Une période plus relax mais pas moins cruciale. Il faut en quelque sorte débarrasser l’organisme des couches de fatigue accumulées au fil des semaines mais sans perdre le bénéfice de l’entraînement. Se reposer mais pas trop. Pour atteindre au bon moment le pic de forme. Ce qui passe aussi par une alimentation adaptée.

Je reviendrai sur le contenu de l’assiette dans mon dernier épisode avant le jour J. Ce sera dans 12 jours parce que la semaine prochaine, je prends quelques jours de congé à… Londres. Je vais profiter des joyaux culturels de la ville avant d’y retourner le week-end d’après pour y goûter -enfin à petite dose j’espère- la célèbre citation de Churchill: « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. » Ce qui ne m’empêchera pas d’aller déjà saluer la concurrence en parfait gentleman dans les parcs londoniens…

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