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La mode, ses frères, sa fin de carrière: Olivia Borlée se confie

Fin août, minée par les blessures, Olivia Borlée officialise une fin de carrière que beaucoup présageaient depuis quelque temps. Alors que ses frères continuent de faire l’actu, coup d’oeil dans le rétro avec celle qui s’épanouit désormais dans le couloir de la mode.

Olivia Borlée a remporté une médaille d’or aux JO*, une autre de bronze aux Mondiaux et a été plusieurs fois championne de Belgique sur 100 et 200 mètres. Au moment de prendre congé du monde de l’athlétisme, c’est avec beaucoup d’engouement qu’elle est revenue avec les différents médias du pays sur ces souvenirs familiers.

Derrière, l’aînée de la famille a aussi connu les blessures, les différends avec des coéquipières du relais 4×100 et quelques désillusions. Depuis les nouveaux bureaux bruxellois de sa marque 42/54** ce n’est donc pas avec le même enthousiasme que l’aînée de la famille aborde ces sujets moins glorieux, mais pourtant essentiels pour saisir l’ensemble de sa carrière.

Beaucoup l’ignorent, mais la Bruxelloise que vous êtes a vécu huit ans dans un village de la Province de Luxembourg.

OLIVIA BORLÉE : Ma mère habitait à Dochamps, dans la commune de Manhay, et j’y ai grandi de mes 10 à 18 ans. À l’époque, la situation familiale était compliquée et j’avoue que je n’ai pas gardé beaucoup d’attaches avec la région. Durant mon adolescence, ça m’a fort manqué de ne plus être en ville. J’ai fait de la danse et du théâtre. Ça m’a beaucoup aidée pour m’exprimer en public vu que je suis une personne très introvertie, surtout en pleine adolescence et alors que j’avais mis l’athlétisme de côté. Je me suis réaffiliée au club de Manhay à l’âge de 16 ans.

 » Je voulais juste être la meilleure  »

Dans une interview de l’époque, votre père avait dit voir reposer pas mal de pression sur vous par rapport aux sacrifices financiers. Vous l’avez fort ressentie ?

BORLÉE : Non. Je n’ai jamais entendu qu’il disait ça. Quand j’ai recommencé, mon père m’a demandé de le faire sérieusement sans qu’il y ait de dimension professionnelle pour autant, il voulait juste que j’aille jusqu’au bout de mon année. C’était compliqué de s’entraîner dans de bonnes conditions parce qu’il était à Bruxelles et moi à Manhay. Là-bas, l’anneau ne faisait même pas 300 mètres, la piste était très très vieille… Ça ne correspondait pas aux ambitions que j’avais. Mon père s’est démené pour assumer son rôle de coach : il venait une à deux fois par semaine dans le Sud et je le rejoignais le mercredi à Bruxelles d’où je prenais le train à l’aube le lendemain pour aller à l’école. Mais je n’ai pas vraiment ressenti de pression, j’ai vécu pas mal de belles expériences à cette époque.

42/54 ? On est encore une start-up donc je touche un peu à tout : création, design, développement, suivi de production, business, etc.  » Olivia Borlée

On peut dire par exemple que vous avez été en quelque sorte  » jeune fille au pair  » pendant un mois en Angleterre ?

BORLÉE : ( Vexée) Non, pas du tout. J’ai participé à un échange organisé par mon sponsor. Ça m’a permis de travailler mon anglais, de rencontrer d’autres coaches, de côtoyer des athlètes plus professionnels que moi à l’époque. Je vivais au sein de la famille d’un des employés de mon sponsor, mais je n’ai jamais été fille au pair.

À tout juste 17 ans, vous êtes double médaillée d’argent (100 et 200m) au Festival olympique de la jeunesse européenne de Paris. Le premier tournant de votre carrière ?

BORLÉE : Oui, certainement, c’est le début de mon parcours international. C’est la première fois qu’on entend vraiment parler de moi et qu’on me considère comme un espoir dans le monde de l’athlétisme.

Vous avez très vite dit vouloir assumer ce rôle…

BORLÉE : Pourtant j’étais surtout jeune et naïve ( rires). J’étais plus dans l’amusement, je ne pensais pas du tout à tout ça. C’était de super chouettes années justement grâce à cette naïveté et cette simple envie de courir le plus vite possible, de gagner. Je ne connaissais personne autour de moi, je voulais juste être la meilleure. C’était très intuitif. Ce sont des années qui m’ont longtemps manqué quand la pression et les attentes ont fait leur apparition.

 » L’après Kim a été difficile à gérer  »

Comment cette fameuse équipe du relais 4×100 m s’est-elle construite en dehors de la piste ?

BORLÉE : À partir de 2004, on s’est entraînée ensemble pratiquement toutes les semaines, surtout en période de compétitions. On était six mois sur l’année en stage, de Lanzarote à Tenerife en passant par l’Afrique du Sud, donc on a eu le temps de se connaître. On est devenue amies, on a développé des passions communes comme la mode avec Élodie ( Ouédraogo, Ndlr) et ça a créé d’autres liens. Le coach Rudi Diels a énormément joué là-dessus et en a profité pour installer une ambiance. Il y avait quelque chose de très relax dans ce groupe. La sélection de l’équipe se faisait en fonction des compétitions. On sentait toutes qu’on avait une place, une importance et un rôle à jouer. Il y a toujours des frustrations et des filles mécontentes, mais dans l’ensemble, on a eu peu de bagarres.

Le quatuor Gevaert-Ouedraogo-Mariën-Borlée a finalement été récompensé par l'or olympique à l'occasion du Mémorial Van Damme 2016, huit ans après les Jeux de Pékin !
Le quatuor Gevaert-Ouedraogo-Mariën-Borlée a finalement été récompensé par l’or olympique à l’occasion du Mémorial Van Damme 2016, huit ans après les Jeux de Pékin !© belgaimage

Votre ancienne coéquipière Elisabeth Davin a un jour exprimé son désarroi d’être trop peu utilisée à son goût. Comment gériez-vous ce genre d’événements dans l’équipe ?

BORLÉE : ( Soupir) C’est justement une des affaires qui n’ont pas été très bien gérées à l’époque. En 2008,  » l’après Kim  » ( Gevaert, ndlr) a été très difficile à digérer. Ça a été compliqué pour le coach, pour l’équipe… On n’a pas été soutenu par la Fédération et ça a créé des frustrations. On ne peut pas rejeter la faute sur quelqu’un. C’était une période difficile et on n’a pas su y faire face.

Vous avez eu l’occasion d’en reparler avec Elisabeth par la suite ?

BORLÉE : Non.

Cet  » après Kim  » était craint et son départ n’a effectivement pas été comblé ?

BORLÉE : Je pense qu’on s’est toutes mises énormément de pression. On n’a pas pu faire son deuil, se dire qu’une nouvelle histoire commençait. ( Longue hésitation) Pourtant, en 2009 on ne fait pas une mauvaise année, on rate une finale pour quelques centièmes. Et en 2010, on perd le témoin en finale alors qu’on était super bien parties pour peut-être faire une médaille… Tous ces événements prouvent que l’on n’avait pas encore fait le deuil de Kim. Il n’y avait pas de leader qui pouvait calmer les choses et faire en sorte que tout le monde se sente à sa place. Ça a été des années difficiles jusqu’en 2011 où tout a explosé avec cette non-sélection pour la Coupe du Monde à un centième près. Ça a commencé à casser l’équipe. Tout ça m’a certainement forgée, mais maintenant que j’ai fermé cette porte, je préfère parler de choses positives…

La mode, ses frères, sa fin de carrière: Olivia Borlée se confie
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Quel sentiment cela procure d’être la première relayeuse ? C’est facile d’assumer ce rôle de fer de lance chargé de conditionner tout le reste de la course ?

BORLÉE : Je ne le pensais pas comme ça : on formait une équipe et j’avais ce rôle-là parce que j’étais la meilleure partante – une des meilleures, parce que Kim était au-dessus – et que j’étais une très bonne vireuse. C’est là que je pouvais apporter le plus à l’équipe, puisque le 200 m était mon épreuve fétiche, mais c’était une grosse pression…

 » 2016 a été l’apothéose  »

Vous avez épaté pas mal de monde en obtenant votre billet pour les JO 2016 alors que vous sortiez de plusieurs mois de blessures. Quand situez-vous le point de départ de ce parcours du combattant ?

BORLÉE : ( Sur un ton caustique) Ce sont des années et des années de travail, une prépa ne commence pas à un moment précis. Il y a chaque saison des Championnats d’Europe et du monde avec les JO comme objectif ultime.

Sauf qu’ici, vous partiez de très loin…

BORLÉE : Peut-être que je me suis débarrassée des frustrations dues à mes problèmes au tendon d’Achille lorsque le projet 42/54 a démarré en mars 2016. Ça m’a donné énormément d’énergie, je n’étais plus dans ce cercle de l’athlétisme où je voyais beaucoup de choses négativement et qui me pompait beaucoup d’énergie. J’avais besoin d’aller chercher ce positivisme ailleurs et c’est grâce à cette diversité que j’ai réussi à me relever. Sportivement, quand j’ai loupé la qualification pour les Mondiaux, je me suis dit que 2016 serait probablement ma dernière année si je ne réussissais pas à aller aux JO. Je me suis retrouvée face au mur.

La mode, ses frères, sa fin de carrière: Olivia Borlée se confie
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Au-delà des récompenses, c’est aussi ce genre de performances qui façonne une carrière.

BORLÉE : Tout à fait : 2016 est un peu l’apothéose avec le lancement de notre première collection 42/54, ma qualification pour les JO, ma désignation comme porte-drapeau de l’équipe belge et la transformation de notre médaille d’argent en or. Je ne pouvais pas rêver d’une meilleure année. C’est marrant comme le positif entraîne le positif.

Vous vous souvenez de ce que vous faisiez lorsqu’on vous annonce officiellement que la médaille d’argent des JO 2008 devient or ?

BORLÉE : J’étais à Rio, j’ai appris ça par sms puis j’ai directement eu Élodie au téléphone. Après, nous nous sommes baladées dans le village olympique et de nombreux athlètes du team belge sont venus nous féliciter. C’est quelque chose de l’apprendre en étant soi-même aux Jeux, ça permet de se rendre compte de la dimension d’une médaille d’or.

Et derrière, le meilleur endroit pour recevoir cette médaille d’or ne peut être que…

BORLÉE : ( Elle coupe) Le Mémorial Van Damme ! C’était magique de la recevoir là. Je suis contente que justice ait été faite, on a eu la chance de revivre une deuxième fois ces émotions, d’avoir cet hommage du public de manière très intense. Le Mémorial, ce ne sont que de bons souvenirs. Une ambiance de dingue avec des spectateurs qui crient très longtemps quand on est sur la ligne de départ, c’est parfois même difficile de garder sa concentration intacte.

Vous vous souvenez d’avoir porté des gants noirs pour courir ?

BORLÉE : ( rires) Oui c’était une expérience de mon papa en 2009. Il disait que mes chronos en relais étaient bien meilleurs que ce que je faisais en individuel. Il a voulu voir si ça changeait quelque chose d’avoir un focus au niveau de mes mains. Est-ce qu’un poids minime ne pouvait pas faire accélérer les mouvements du bras ? On a fait ça un an… Je n’ai pas recommencé l’année d’après.

 » On n’a jamais voulu déballer les aspects plus intimes de notre vie  »

On entend souvent parler de « clan » lorsque l’on évoque les Borlée. C’est un terme que vous comprenez ?

BORLÉE : Ça m’est égal. Les gens peuvent nous voir comme ils le veulent. Maintenant, je comprends qu’on puisse donner cette impression : on a une relation très très forte, on est soudés et on se protège mutuellement en plaçant des barrières notamment face au monde médiatique.

Vous êtes la première de la famille à avoir eu votre père sous ses ordres. De quoi connaître quelques ratés par rapport à vos frères ?

BORLÉE : Papa a tout de suite voulu mettre en place une structure professionnelle autour de nous, mais il y a évidemment eu des erreurs. Je ne m’entraînais pas il y a plus de quinze ans comme le font mes frères aujourd’hui. On fait beaucoup plus attention à la technique, on travaille en qualité plus qu’en quantité. Je me souviens avoir porté des poids très lourds qu’on ne mettrait plus sur les épaules de jeunes ados. C’est normal : je suis l’aînée, c’est comme ça ( rires). Tant mieux si ça a pu servir à mes frères et aux autres athlètes qui ont suivi.

Est-ce que l’on peut dire que vous avez à certains moments surveillé votre communication pour ne jamais créer de vagues ?

BORLÉE : On n’a pas cherché à construire quoi que ce soit, plutôt de rester le plus naturel possible tout en respectant ce côté plus introverti que nous partageons mes frères et moi. On n’a jamais voulu déballer les aspects plus intimes de notre vie. C’était une manière de nous protéger, mais ça fait aussi partie de notre caractère. Et papa s’est érigé en rempart en encaissant beaucoup pour nous préserver.

Votre maman Edith Demartelaere, championne de Belgique sur 200 m à 16 ans à peine, a-t-elle eu une influence sur votre développement sportif ou ce rôle était uniquement dévolu à votre père ?

BORLÉE : Vu qu’elle n’a pas eu de carrière internationale, on a très vite « dépassé » son expérience. Mais maman a tout de suite compris à quel moment elle pouvait jouer un rôle auprès de nous et quand elle devait se mettre en retrait.

*En 2016, le contrôle positif de Yulia Chermonshanskaya entraîne la disqualification de l’équipe russe du relais 4×100 m aux JO 2008 et par conséquent la médaille d’or du relais belge, qui avait fini deuxième.

**Le nom de la marque de vêtements sportifs fait référence au fameux chrono réalisé aux JO 2008.

En mode reconversion

Votre ancienne partenaire Hanna Mariën s’est un temps reconvertie dans le bobsleigh. Est-ce que la découverte d’une autre discipline aurait pu vous plaire ?

OLIVIA BORLÉE : On m’a également proposé de faire partie de cette équipe de bobsleigh quelque temps après Hanna. Ça ne m’a pas traversé l’esprit : il fallait que je prenne quelques kilos et j’ai dit non ( rires).

Pouvez-vous détaillez votre rôle au sein de 42/54 ?

BORLÉE : On a commencé à deux avec Élodie. Aujourd’hui on travaille à quatre avec des stagiaires et des consultants externes. On est encore une start-up donc je touche un peu à tout : création, design, développement, suivi de production, business, etc. C’est intéressant d’apprendre et de maîtriser les différents aspects d’une société avant de penser à déléguer tout en assurant le management de l’équipe. Je retrouve pas mal de stress et d’adrénaline que j’ai vécus dans le sport.

Le clan Borlée au grand complet avec Jacky, le papa, les jumeaux Jonathan et Kevin, Dylan et Olivia.
Le clan Borlée au grand complet avec Jacky, le papa, les jumeaux Jonathan et Kevin, Dylan et Olivia.© belgaimage

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