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Ingrid Berghmans, médaille d’or aux JO 88: « Matthias Casse peut devenir notre Teddy Riner »

33 ans après sa médaille d’or à Séoul, Ingrid Berghmans n’a pas complètement quitté le monde du sport. Aujourd’hui propriétaire d’une salle de fitness, elle évoque la place des femmes aux Jeux Olympiques et donne son avis sur le niveau actuel du judo.

Elle possède l’un des plus beaux palmarès de l’histoire du judo mondial. Onze médailles aux championnats du monde, dont six en or, quatorze aux championnats d’Europe (sept en or) et une médaille d’or olympique, ce n’est pas rien. C’est même exceptionnel. Mais comme beaucoup de sportives professionnelles à cette époque, elle a dû jouer des coudes pour se frayer un chemin dans le sport de haut niveau.

Il est important d’évoquer la place des femmes aux Jeux Olympiques. Parce que vous avez été victime de ce manque de considération.

INGRID BERGHMANS: Mon histoire avec les Jeux Olympiques est très bizarre. J’ai remporté les premiers championnats du monde en 1980, mais le judo féminin n’était pas au programme des JO cette année-là. En 1984, nous avons failli y aller, mais finalement, ça ne s’est pas fait. Et en 1988, les organisateurs disaient que c’était un sport de démonstration. Ça a vraiment donné une mauvaise image de ce que nous faisions. Quand je suis rentrée avec l’or en Belgique après Séoul, la première question que l’on m’a posé était: « Comment est-ce que tu trouves ta médaille en chocolat? » La médaille olympique n’était vraiment pas considérée, bien que pour nous, c’était aussi complexe qu’un championnat du monde.

Quand je vois le traitement des femmes, je trouve qu’elles sont encore fortement déconsidérées. »

Ingrid Berghmans

Aux JO de Rio, il y avait 45% de femmes. C’est une belle progression non?

BERGHMANS: Bien sûr. Quand je parle avec des jeunes femmes maintenant, il est clair que j’ai fait du sport à un moment plus délicat. La première fois que je suis partie au Japon, je suis restée une semaine pendant deux heures sur le tapis et personne ne voulait s’entraîner avec moi. Jusqu’au moment où Robert Vande Walle est venu. Comme il avait l’habitude de s’entraîner dans cette université, il les a obligés à s’entraîner avec moi. Pour devenir plus forte, il fallait passer par là. Ça a été une incroyable formation.

Vous pensez qu’il y a des choses qui doivent encore évoluer?

BERGHMANS: Dans le monde entier, pas que dans le sport. Je n’ai jamais été féministe. Je suis convaincue que les femmes et les hommes sont différents, c’est la nature. Mais je suis sûre que certaines femmes peuvent faire comme les hommes, surtout quand elles sont passionnées parce que la passion te fait dépasser tes limites. Quand je vois aujourd’hui le traitement des femmes, je trouve qu’elles sont encore fortement déconsidérées. On a accès à plus d’informations qu’avant, mais ça ne change pas. Et ça, c’est grave.

On peut parler du judo belge actuel?

BERGHMANS: Matthias Casse est extraordinaire. Je savais qu’il existait, mais je suis tombée sur une compilation de ses mouvements en 2018 sur Facebook et c’est hallucinant. C’est un peu comme Evenepoel après Merckx. Ce sont des extraterrestres, c’est fabuleux. Il a une finesse splendide. D’autres sont aussi très bons, c’est une belle génération.

Vous pensez que le niveau est meilleur actuellement?

BERGHMANS: Le judo était complètement différent avant. On avait un entraîneur national et des entraîneurs dans les clubs. Maintenant, beaucoup de gens veulent être entraîneurs. C’est trop diversifié, un peu à l’image de la Belgique. Mais le niveau est bon chez ceux qui ont une bonne mentalité. C’est très important. Mon père m’a beaucoup aidée là-dedans. Teddy Riner a, à un moment, pris son meilleur ami dans son staff pour le garder les pieds sur terre. Pour être un champion, il n’y a pas que le judo. Avec les réseaux sociaux, tu es très vite connu. C’est compliqué de garder le même niveau et de rester calme.

Et au niveau technique, il y a eu du changement?

BERGHMANS: Évidemment. Avec le règlement qui a été modifié plusieurs fois, c’est devenu compliqué. Si j’avais toujours été judokate, je ne pourrais plus faire les deux mouvements que je faisais tout le temps. À Londres, en 2012, le judo était vraiment plat, avec beaucoup de goldens scores, donc ils ont changé les règles pour rendre le sport plus attrayant. Il y a d’autres raisons à ces changements. À un certain moment, les Russes faisaient beaucoup de « Sambo », un sport proche du judo avec beaucoup de ramassage de jambes. Mais comme il n’y avait pas de championnats du monde, ils venaient les faire en judo. La Fédération a dû changer les règles pour contrer ça. Pendant tout un moment, plus aucun judoka n’allait au sol.

Ingrid Berghmans, médaille d'or aux JO 88:

Et maintenant, le combat au sol est redevenu important?

BERGHMANS: Matthias Casse revient beaucoup au sol. Il fait le même enchaînement que moi d’ailleurs, c’est génial ( Elle rit). Les arbitres ne laissaient plus travailler au sol, donc à l’entraînement, les judokas n’en faisaient plus, c’est normal. Moi, c’était ma grande force. Avant, je détestais ça, mais j’ai affronté mes défauts et c’est devenu ma spécialité. On a toujours tendance à ne pas forcer sur ce qu’on ne sait pas faire, mais il faut faire le contraire. C’est la même chose dans le sport et dans la vie.

Le judo est un sport magnifique. Pourquoi ne le diffuse-t-on qu’aux Jeux Olympiques?

BERGHMANS: Je me rappelle qu’au début, on ne parlait pas de judo. Puis j’ai commencé à gagner et on faisait les tournois dans de grands halls omnisports. Les journalistes étaient juste derrière moi, ils me tapaient sur l’épaule en pleine compétition. Il y avait tout une foule qui venait pour me voir gagner. Puis, on a eu moins de médailles, les gens ont moins regardé et les télévisions gagnaient moins d’argent, donc elles ont arrêté les diffusions. Les sportifs sont payés par ça aussi. C’est un effet boule de neige. Avec Matthias Casse, qui pratique un judo merveilleux et qui a tout pour réussir, il y a des chances que le judo revienne sur le devant de la scène. En France, Teddy Riner passe beaucoup à la télévision. Matthias peut devenir notre Teddy Riner.

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