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Des rings à la prison, la folle trajectoire d’Ismaïl Abdoul: »Mon problème, c’est que je n’avais jamais peur »

Matthias Stockmans
Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

Ismaïl Abdoul a connu une vie tumultueuse: un temps le meilleur boxeur pro de notre pays, il était également un nom connu dans le milieu du crime. Le biopic Cool Abdoul a été présenté en avant-première la semaine dernière lors du Festival du film de Gand. Sport/Foot Magazine a demandé à Ismaïl de commenter quelques scènes marquantes du film.

Scène d’ouverture

Gand, 1998. Ismaïl et son ami Morad se voient refuser l’entrée d’une discothèque. Une jeune femme, Sylvie, prend leur défense, mais la discussion entre le videur et les deux amis dégénère en bagarre. C’est le début de la romance entre Ismaïl et Sylvie, mais aussi le début d’une vie criminelle.

Ismaïl Abdoul:En tant que boxeur professionnel, vous ne pouvez pas vivre de votre sport. La réalité, c’est que vous devez trouver de l’argent pour disputer des combats importants. J’ai découvert la vie nocturne et je me suis rendu compte que je pouvais bien gagner ma vie en tant que videur, avec l’avantage de pouvoir continuer à m’entraîner pendant la semaine. Je gagnais parfois 5.000 francs belges ( 125 euros, ndlr) par nuit. Sympa, mais pendant que je travaillais comme portier, j’ai remarqué que beaucoup de jeunes gagnaient beaucoup plus en vendant de la drogue. Travailler moins, gagner plus… J’ai été aveuglé par l’argent.

Ismaïl Abdoul:
Ismaïl Abdoul: « Tout ce show et ce cinéma, c’était un personnage que je me suis créé pour garder mes distances avec les gens. »© INGE KINNET

Un jour, j’ai été accusé d’un vol dans un casino où je travaillais comme portier, alors que, honnêtement, je n’y étais pour rien. J’ai passé quatre mois en détention préventive pour cette affaire. Par la suite, j’ai été acquitté, mais le mal était fait. En prison, je suis entré en contact avec des personnages louches. Ils m’ont tendu la main, même si, pour le monde extérieur, j’étais déjà catalogué comme un criminel. Je me suis dit que, tant qu’à faire, autant en devenir un. Je facilitais les transactions de drogue et parfois je partais avec le butin, je me sentais intouchable. Ces gars n’allaient quand même pas me dénoncer à la police? Mon problème, c’était que je n’avais jamais peur. J’étais Cool Abdoul… Rien ne pouvait m’arriver. Même lorsque j’ai reçu des balles dans le ventre ( en 1999, Abdoul s’est fait tirer dessus par un client mécontent alors qu’il travaillait comme videur, ndlr) ou lorsque j’ai été impliqué dans de violentes bagarres, je m’en fichais. Les policiers qui m’interrogeaient ne comprenaient généralement pas pourquoi j’étais toujours aussi calme. J’avais seulement peur de mon père. On le voit dans le film: quand il me gifle, je baisse les yeux. J’étais vraiment comme ça. En même temps, mon père était mon héros. Il a travaillé dur pour subvenir aux besoins de sa famille et était aimé de tous. Il avait lui-même un passé de boxeur, il s’était entraîné avec Freddy De Kerpel, il savait que c’était un métier difficile et qu’il y avait peu d’argent à gagner, alors il ne voulait pas que je devienne boxeur moi-même. Je lui ai caché la vérité pendant deux ans.

Des rings à la prison, la folle trajectoire d'Ismaïl Abdoul:
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En tant que portier, j’étais souvent pris entre deux feux. L’histoire de la discothèque Extreme est un bon exemple. Ce que vous voyez dans le film s’est réellement passé: avec mon groupe d’amis de la Porte de Bruges, je me suis rendu dans cet établissement pour y faire le coup de poing, et une semaine plus tard, je me suis proposé comme videur. Le plan a réussi. Mais le patron de cette discothèque m’a interdit de laisser entrer toute personne d’origine étrangère. Je devais choisir entre mes amis et l’argent… Et j’ai choisi l’argent. Mes amis m’ont alors tourné le dos, j’étais un gros lâche. Mais là encore, je n’ai jamais eu peur. Ils veulent la guerre? Eh bien, qu’ils viennent. Plus tard, quand j’avais fait mon chemin dans le monde de la nuit, j’ai aidé mes amis à trouver du travail. »

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Scène 2

Ismaïl devient champion de Belgique en 1998, à 22 ans à peine. Mais la vie criminelle est trop tentante. Ronny, l’entraîneur de boxe et mentor d’Ismaïl, le sermonne dans la salle d’entraînement. Il place son protégé devant un choix: soit il s’entraîne sérieusement et peut espérer viser un titre européen, soit il continue sur la voie du crime et verra sa carrière de boxeur professionnel lui filer entre les doigts.

Abdoul: En revoyant cette scène, j’ai revécu ce moment intense. J’ai eu la chair de poule. Ronny a vu que j’allais dans le mauvais sens. C’est pourquoi il m’a fait ce sermon émouvant pendant l’entraînement. Tu sais, tout ce show et ce cinéma, c’est un personnage que je me suis créé pour garder mes distances avec les gens. Je n’étais moi-même qu’avec ma famille, ma femme et Ronny.

Quand j’étais ado, j’étais gros et peu sûr de moi. À la maison, ça se passait mal. L’école ne m’intéressait pas, je traînais beaucoup en rue… Mes parents voulaient m’envoyer en Mauritanie ( le pays d’origine de son père, ndlr) pour que je sois élevé par mes oncles. C’est alors qu’un ami a eu l’idée de la boxe. Il m’a emmené chez Ronny, dans la vieille salle de l’avenue Ferrer. Quand je suis entré dans la salle de boxe, je suis directement tombé sous le charme. Les posters de Mohamed Ali, de Mike Tyson, de Rocky, l’odeur, les sons… Je me suis immédiatement senti chez moi. Les premières paroles de Ronny ont été: « Aha, notre nouveau Mohamedd Ali est là ». Je ne savais pas ce qu’il se passait: cet homme ne me connaissait pas et m’a immédiatement adressé un compliment. Ses paroles positives ont directement fait mouche. J’ai commencé à m’entraîner comme un fou, j’ai perdu du poids et je me suis musclé, ce qui m’a aussi aidé à avoir une meilleure estime de moi. Au début, j’ai pris beaucoup de coups sur le ring, mais petit à petit, je suis devenu plus fort et j’ai appris. Lorsque vous avez reçu un coup de poing dans le foie, vous savez ce que ça fait et vous évitez que ça se reproduise. Et la fois suivante, vous donnez vous-même ce coup. À seize ans, j’ai participé à mon premier combat, et à 18 ans j’étais un amateur respecté: plus personne ne voulait boxer contre moi.

En 1996, il était question que j’aille aux Jeux Olympiques d’Atlanta en tant qu’amateur, mais au final, le COIB n’a pas trouvé le budget nécessaire. Ils m’ont demandé d’attendre jusqu’aux Jeux de Sydney en 2000 avant de passer professionnel, mais Ronny me l’a déconseillé. Qu’est-ce que j’aurais pu faire pendant ces quatre années? Je suis donc devenu pro à vingt ans, ce qui est très jeune dans la boxe. Mais à 22 ans j’étais déjà champion de Belgique.

Mon premier combat à l’étranger, en 2002 pour le titre européen des poids mi-lourds contre le Polonais Krzysztof Wlodarczyk, a été un moment crucial dans ma carrière. Le combat a été arrêté au douzième round parce que j’avais quitté le ring pendant un moment. Ils ont refusé de m’accorder huit secondes pour récupérer. Incompréhensible. Il était clair que je ne pouvais pas gagner là-bas. Par la suite, le gars est devenu champion du monde et a eu une grande carrière internationale. Ça aurait pu être moi, car au moment où ils ont arrêté le combat, je gagnais aux points. Cette expérience m’a plongé dans le marasme pendant un certain temps. J’ai été volé plusieurs fois dans ma carrière, tout simplement parce que la Belgique n’avait pas assez de poids dans le monde de la boxe. J’avais pourtant le niveau pour viser plus haut, je l’ai prouvé lors de mes prestations contre des champions du monde, des gars comme David Haye et Murat Gassiev, qui ne m’ont battu qu’aux points.

Des rings à la prison, la folle trajectoire d'Ismaïl Abdoul:
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Scène 3

Juste avant son important combat pour le titre européen, Ismaïl confie son téléphone à Sylvie et lui demande de le remettre à l’inspecteur qui le traque depuis des années. Sur ce, le champion de boxe décide de se rendre à la justice. Sylvie est furieuse qu’il lui impose cette responsabilité.

ABDOUL: Cette scène est fictive, car je ne me suis jamais rendu moi-même à la police. La première fois que j’ai été arrêté, c’était par le groupe Diane ( une unité spéciale de la gendarmerie belge, ndlr). En 2003, j’ai de nouveau été arrêté, avec Charlotte ( le vrai nom de sa femme, ndlr), elle était aussi accusée d’appartenance à un gang. Alors qu’elle n’était au courant de rien. Je lui ai tout caché. Elle pensait que je gagnais mon argent uniquement en tant que videur et boxeur professionnel. Charlotte m’a remis à ma place. Elle m’a traité d’hypocrite parce que je faisais toutes ces mauvaises actions. Ça m’a fait réfléchir: dans quelle voie me suis-je engagé? Depuis lors, je prie cinq fois par jour. Grâce à ma femme, je me suis rapproché de ma foi et je suis devenu une meilleure personne. Ma femme a tout supporté, elle est à mes côtés depuis 23 ans. Et en plus, elle vient d’une famille de policiers. Le fait que nous soyons toujours ensemble, après tout ce qu’il s’est passé, est tout bonnement incroyablement.

Des rings à la prison, la folle trajectoire d'Ismaïl Abdoul:
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Après ma libération ( en 2007, Abdoul a été condamné à trois ans et demi de prison, ndlr), il y a dix ans, j’ai combiné un emploi dans la construction – où je suis devenu contremaître – avec un travail de nuit occasionnel. Aujourd’hui, on appelle ça gestionnaire de réception. Cette combinaison était nécessaire pour pouvoir rembourser mes dettes envers l’État. En même temps, c’était un bon test pour moi, pour voir si j’avais vraiment changé, parce que la tentation est toujours présente: les gars que je connaissais d’autrefois continuent à me proposer de l’ argent facile. Aujourd’hui, je réponds:  » J’ai déjà essayé et j’ai dû en payer le prix pendant dix ans. » Je suis sorti de ce cercle vicieux. Dieu m’a donné une seconde chance, je ne dois pas la gaspiller. Parce que je peux dire ceci: la vie nocturne est une vie diabolique. J’ai vu des hommes d’affaires respectables nager sur des pavés parce qu’ils pensaient être dans une piscine. Personnellement, je n’ai jamais bu d’alcool ni consommé de drogue. Je voulais garder le contrôle. En fait, c’est pire: je ne peux même pas invoquer l’excuse de ne pas être moi-même parce que j’étais sous l’effet de la drogue ou de l’alcool. J’ai tout fait consciemment. En tant que boxeur, j’étais très concentré et, en dehors du ring, j’étais toujours sur mes gardes: j’avais de nombreux ennemis et la police était à mes trousses. Je devais constamment regarder derrière moi. C’était très fatiguant. Je suis heureux d’être débarrassé de ça. »

Des rings à la prison, la folle trajectoire d'Ismaïl Abdoul:
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Scène 4

Ismaïl remporte son combat pour le titre européen chez les mi-lourds contre Christophe Dettinger. Immédiatement après, il est arrêté. La scène finale du film. Dans le générique de fin, on apprend qu’il s’est retrouvé derrière les barreaux pendant plusieurs années, mais qu’il a pu effectuer son come-back, remporter un autre titre européen en 2012 et disputer un dernier combat contre Janne Forsman en 2016. Après celui-ci, il s’est mis à genoux sur le ring et a demandé sa petite amie en mariage.

ABDOUL: Pour les besoins du film, le scénario a été limité à une courte période de ma carrière. La période la plus intense, certes, mais un certain nombre de choses ont été rassemblées chronologiquement. Par exemple, mon père n’est décédé qu’en 2015 et non en 1999, comme c’est le cas dans le film, mais on a intégré ce décès au scénario, car il a eu un grand impact. Il s’est passé beaucoup de choses entre 2003, date à laquelle le film se termine, et mon dernier adieu en 2016. J’ai également passé deux ans dans la prison de Merksplas, je pourrais écrire un livre sur ce seul sujet. J’ai été libéré plus tôt pour bonne conduite, mais j’ai ensuite erré pendant un certain temps et même boxé avec un bracelet électronique à la cheville. Ça pourrait éventuellement donner lieu à de la matière pour une suite, comme dans Rocky, qui a connu plusieurs épisodes. ( Il rit)

Ismaïl Abdoul

1976

Naissance à Gand, le 22 septembre.

1998

Premier titre de champion de Belgique des poids moyens.

1999

Premier titre de champion du Benelux des poids moyens.

2003

Premier titre de champion d’Europe des poids moyens.

2007

Condamnation à trois ans et demi de prison.

2009

Sortie de prison.

Au total

Il a disputé 99 combats professionnels, dont 59 victoires (vingt par KO) et 37 défaites (une par KO).

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