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Dedecker: « Jacques Rogge connaissait les règles du jeu, mais il est toujours resté fidèle à ses valeurs »

Disparu ce week-end, Jacques Rogge a été le numéro 1 unanimement apprécié du Comité International Olympique. Hommage.

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C’était chaque fois surprenant ! Lors de chaque conférence de presse collective donnée par Jacques Rogge aux Jeux Olympiques durant sa présidence du CIO (2004, 2008 et 2012), lors de chaque point presse accordé par cet homme qui était alors l’un des plus influents du monde, il n’avait pas besoin d’interprétation simultanée, ou pratiquement jamais. Et il était capable de répondre en cinq langues.

Ses réponses étaient toujours intelligentes. Mais dans toutes les fonctions qu’il a occupées, on ne l’a jamais surpris à sortir une phrase choc ou une formule susceptible de le mettre dans l’actualité. Il était trop malin pour tomber dans ce piège. Même un anti-establishment comme Jean-Marie Dedecker n’a jamais dit un mot négatif sur Jacques Rogge. « Il a toujours été un grand monsieur, même s’il a évidemment dû apprendre à arrondir les angles quand il a fait son chemin dans ce milieu. Quand tu deviens Pape au Vatican du Sport, tu dois composer avec toutes les têtes couronnées. Il connaissait les règles du jeu, mais il est toujours resté fidèle à ses valeurs. Il fonctionnait parfaitement dans les cénacles, mais il pouvait aussi vivre avec le peuple, avec les athlètes, les coaches, les accompagnateurs. »

Boycott

Jacques Rogge était un sportif, un vrai. Il a pratiqué la voile et adorait le rugby. Dans cette dernière discipline, il a été repris quelques fois en sélection nationale. En voile, il a été champion du monde en classe Finn et a participé à trois éditions des Jeux, de 1968 à 1976. Mais c’est surtout comme dirigeant qu’il s’est fait un nom. « Un athlète meurt deux fois », avait-il un jour lancé. « Il y a sa mort naturelle, mais aussi une autre mort, quand sa carrière se termine. Au début, on essaie de nier l’évidence, on se dit qu’on a simplement connu un mauvais jour. Mais progressivement, il y a plus de mauvaises journées que de bonnes. Il y a des sportifs qui n’arrivent pas à supporter ça parce que leur corps et leur soif de performances ont toujours été leur vie. » La voile était un sport parfait pour lui. « Je ne dépendais de personne. Je ne fuyais pas les gens, mais je n’ai pas le temps et pas envie d’avoir beaucoup d’amis. Je suis un homme qui parle peu. »

C’est grâce à Jacques Rogge que la Belgique n’a pas boycotté les Jeux en 1980.

Son premier mérite, après sa retraite sportive, a été d’éviter le boycott par la Belgique des Jeux de Moscou en 1980. Les Américains mettaient la pression sur leurs alliés pour ne pas se rendre en URSS parce que ce pays avait envahi l’Afghanistan. Mais Rogge, alors chef de notre délégation, a signalé que si la Belgique renonçait à ces JO, nos athlètes iraient à Moscou sous drapeau neutre. Il était alors soutenu par Raoul Mollet, le président du COIB. La présence parmi nos athlètes de champions comme Robert Vandewalle renforçait Jacques Rogge dans sa conviction que nous devions participer.

Jacques Rogge admirait les grands champions. Comme chef de délégation, il ne visait pas le plus grand nombre d’athlètes, il cherchait plutôt à avoir les meilleures sélections. Pour lui, seule la qualité comptait parce que les Jeux, c’est seulement une affaire de médailles. Quand il a été élu patron du COIB en 1989, à 46 ans, il a voulu que cet organe devienne plus puissant et financièrement indépendant. « Raoul Mollet avait de bonnes idées, mais ce n’était pas un gestionnaire. » Le COIB a donc subi une cure, et il a accordé plus d’importance aux athlètes de très haut niveau. Pour Rogge, celui qui faisait des résultats devait bénéficier de moyens plus importants. Il a insufflé un nouvel élan à notre comité olympique.

Ce Gantois était un parfait diplomate. Il avait compris l’utilité de s’entourer des meilleurs collaborateurs et de transformer ses ennemis en partenaires. Quand le CIO dont il était devenu président a été rattrapé par un scandale de corruption, il a dû combattre le très puissant Américain Dick Pound. Mais plus tard, il a fait de ce même Pound un allié quand il l’a désigné patron de la nouvelle agence mondiale antidopage. « Pound est un homme compétent et intelligent », s’est justifié Rogge. « Je suis à la tête d’une équipe. Et quand on compose son équipe, on essaie quand même de recruter les meilleurs éléments, même s’ils sont dans le camp d’en face, non ? »

Dopage

À côté de la modernisation du Comité International Olympique, de la limitation du nombre de disciplines et de participants aux Jeux, la lutte contre le dopage a été une de ses priorités. Il est conscient que l’homme va toujours chercher des moyens pour dépasser ses propres limites, chez les amateurs aussi. « Le sport n’est pas parfait, c’est un miroir de la société. J’ai connu ça dans mon métier aussi. Évidemment, n’importe quel docteur a envie de situations parfaites qui lui permettent de guérir complètement ses patients. Mais il y a aussi des patients que je ne peux pas aider. Des gens meurent. Des gens sont abusés. Le sport aussi. Il y a des combats qu’on ne gagne jamais, mais est-ce qu’il faut pour cela sacrifier le sport ? »

Il n’a pas épargné son énergie dans son combat contre les pratiques illicites. En Belgique, il a instauré les contrôles inopinés. Et une fois devenu l’un des hommes les plus puissants du monde, il a continué sur sa lancée. Il a plus d’une fois râlé, et juré en petit comité, quand les comités olympiques nationaux avaient le monopole des contrôles antidopage. En installant l’agence mondiale, il a lui-même remédié au problème.

Jacques Rogge a toujours tout fait pour assister au plus grand nombre possible de compétitions sportives in situ. Même après sa désignation à la présidence du CIO en 2001, malgré son agenda de ministre. Sans jamais se plaindre. « J’ai choisi de me présenter à la présidence, je dois aussi accepter les aspects plus compliqués de la fonction. Je n’ai pour ainsi dire plus aucune vie privée. Mais je le répète, personne ne m’a obligé à briguer le poste. Peut-être que mon passé d’athlète m’aide à passer ces moments difficiles. S’entraîner dur, ça fait mal, mais on sait que c’est indispensable pour atteindre des résultats. »

Il essayait aussi, de façon informelle, de déminer les conflits. Quand il était patron du COIB, un journaliste belge bien connu est entré en conflit avec un des plus grands coaches de notre sport de haut niveau. Rogge les a rassemblés dans un restaurant, à ses frais. Ils sont ensuite devenus amis pour la vie. Interrogé sur l’héritage que Jacques Rogge laissera, Dedecker lâche : « Il a nettoyé les écuries quand il était président du COIB, mais une fois parti, il n’a plus rien fait pour le sport belge. Et donc, au lieu de poursuivre sur la lancée initiée dans les années 80, le COIB a reculé. »

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