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Danse avec les Bulls: pourquoi la série Netflix sur Michael Jordan déchaîne autant les passions?

La série documentaire très attendue The Last Dance est diffusée depuis peu sur Netflix: elle relate l’histoire des Chicago Bulls et du meilleur basketteur de tous les temps, Michael Jordan. Pourquoi déchaîne-t-elle autant les passions ? Et pourquoi les jeunes amateurs de sport, et pas uniquement de basket, doivent-ils absolument l’insérer dans leur liste d’événements à ne pas rater ?

 » I’m back « . Trois mots qui sont entrés dans l’histoire. Un fax envoyé par Michael Jordan le 18 mars 1995, il y a tout juste un quart de siècle. Une manière simple, mais brillante d’annoncer son come-back. Après s’être octroyé une pause de 18 mois dans une carrière légendaire, durant laquelle il a conquis trois titres de champion d’affilée et a bluffé le monde entier avec la Dream Team aux Jeux Olympiques de Barcelone, Jordan effectue son retour sur les parquets de NBA.

« Tout le monde est à la maison. Diffusez-la ! Maintenant ! » LeBron James, à propos de la série

Trois mots qui ont fait scintiller les yeux des amateurs de sport aux États-Unis (et bien au-delà), comme ceux d’un enfant qui a ramassé tous les oeufs de Pâques dans le jardin. Le moment était particulièrement bien choisi. Les trois autres grands sports américains se débattaient en effet dans des sables mouvants : le hockey sur glace (NHL) et le baseball (MLB) étaient perturbés par des grèves de joueurs et un lock-out, et le football américain (NFL) voyait l’une de ses plus grandes vedettes, O.J. Simpson, être accusée du meurtre de son ex-épouse. L’Amérique sportive se cherchait un héros, une super-vedette. Le retour de His Royal Airness tombait à point nommé. D’autant que Jordan n’allait pas tarder à répondre à l’attente, pourtant élevée, en remportant à nouveau trois titres d’affilée.

Aujourd’hui, 25 ans plus tard, les States connaissent une autre crise, bien plus importante encore, qui touche également le sport. La saison NBA a été suspendue depuis un mois, et la MLB comme la NHL lui ont emboîté le pas, décrétant également un lockdown. Les fans de NBA ont rapidement lancé le hashtag #ReleasetheTapes ! sur Twitter. En demandant instamment à la chaîne sportive ESPN de ne pas attendre la date du 6 juin pour commencer la diffusion de la série documentaire consacrée à Michael Jordan et aux Chicago Bulls, mais de le faire le plus rapidement possible. Pour compenser leur manque de basket en ces temps de corona. Même LeBron James, la grande vedette actuelle de la NBA, en a rajouté une couche sur les réseaux sociaux :  » Tout le monde est à la maison. Diffusez-la ! Maintenant !  »

Un appel pressant qui ne pouvait pas laisser ESPN indifférent. La chaîne a donc annoncé que The Last Dance serait diffusée six semaines plus tôt que prévu. Avec, comme slogan publicitaire :  » Même sans matches en direct, nous aidons les gens, via le sport, à échapper à la dure réalité quotidienne. Nous espérons que ce projet sera une unifying entertainment experience. Une histoire qui fascinera tout le monde, et pas uniquement les amateurs de sport.  »

Michael Jordan, ici avec son coach Phil Jackson, remporte son sixième et dernier titre NBA avec les Bulls.
Michael Jordan, ici avec son coach Phil Jackson, remporte son sixième et dernier titre NBA avec les Bulls.© BELGAIMAGE

Et, pour ce faire, quoi de mieux qu’une série documentaire qui avait fait saliver les fans de Michael Jordan à travers le monde dès son annonce, en juin 2018. Ils étaient encore plus excités lorsque la bande-annonce a été diffusée pour la première fois en décembre 2019. Un avant-goût de  » la véritable histoire, jamais racontée  » de l’une des plus grandes dynasties de l’histoire du sport.

Avec, comme fil rouge, la sixième et dernière saison couronnée d’un titre des Bulls (1997-98), que leur coach légendaire Phil Jackson avait alors baptisée The Last Dance. Une équipe de cinéastes de NBA Entertainment avait pu filmer pendant des mois les taureaux de Chicago, avec un  » unprecedented access « , jusque dans l’intimité des vestiaires. Il en a résulté des images uniques qui ont cependant atterri dans les archives de la NBA. Pourquoi ? Parce que les producteurs ne trouvaient pas un réalisateur avide de visionner et de trier les 500 heures de matériel vidéo disponibles, et surtout, parce qu’ils ne parvenaient pas à convaincre Michael Jordan de collaborer. His Royal Airness repoussait toutes les sollicitations et n’avait plus accordé de longues interviews depuis des années. La dernière, pour ESPN Magazine, remontait à 2013. Un entretien durant lequel Jordan s’était certes livré, en évoquant la manière dont il avait cherché sa voie au terme de sa carrière de basketteur.

Finalement, ESPN a enfin obtenu un yes de Jordan pour la série documentaire. Et la chaîne a aussi trouvé un réalisateur, Jason Hehir. Celui-ci a travaillé pendant trois ans et a mis les bouchées doubles ces dernières semaines afin de respecter les nouveaux délais, pour produire une série de dix épisodes, d’une durée d’une heure chacun. Sa mission la plus difficile ? En faire une histoire qui comprend des éléments inédits et surprenants, et de nouvelles perspectives, des aspects qui n’ont pas encore été révélés dans les dizaines de livres et dans d’autres documentaires déjà parus sur Jordan et les Bulls. C’est comme s’il fallait raconter une nouvelle fois l’histoire des Beatles.

On ne s’étonnera donc pas que la bande-annonce, longue de trois minutes, commence par une image des centaines de bandes-vidéos stockées dans les caves de la NBA. Et que cette bande-annonce ne s’attarde pas sur les images archi-connues d’un Jordan triomphant aux côtés de ses potes, mais insiste plutôt sur la manière dont le régisseur Hehir veut montrer les super-héros. Comme un homme tout-à-fait normal, qui essaie de faire face aux coups durs, qui évacue ses frustrations et qui est confronté à des tensions dans le vestiaire. Et devant supporter la pression gigantesque liée à son statut, où la défaite est interdite. Les meilleurs documentaires sportifs montrent également la face sombre des héros.

C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles Michael Jordan a attendu aussi longtemps pour apporter sa collaboration. Il avait peur, dit-il, que les gens ne comprennent pas qu’une mentalité de tueur (pas toujours sympathique) était indispensable pour devenir un véritable vainqueur et un vrai leader. MJ n’a pas perdu sa nervosité aujourd’hui, mais il est aussi curieux à l’idée de découvrir les facettes sombres révélées dans The Last Dance et la manière dont ses explications seront interprétées. Car les rares fois où il a parlé, ses propos n’ont pas toujours été bien perçus.

Michael Jordan, le bad boy Dennis Rodman et Scottie Pippen, le bras droit de MJ, formaient la colonne vertébrale des Bulls.
Michael Jordan, le bad boy Dennis Rodman et Scottie Pippen, le bras droit de MJ, formaient la colonne vertébrale des Bulls.© BELGAIMAGE

Symphonie saccadée

La Dernière Danse des Bulls, apparemment harmonieuse, a été exécutée au rythme d’une symphonie saccadée. Dans la bande-annonce, on voit Phil Jackson claquer violemment une porte, Jordan donner un coup de pied sur un bac de bière et un reporter affirmer que Scottie Pitten, qui fut le lieutenant de Jordan pendant des années, a exigé un trade (transfert). Il estimait qu’il n’était pas reconnu à sa juste valeur. Jerry Krause, le general manager des Bulls, avait en effet l’intention de l’échanger contre le jeune Tracy McGrady en 1997, et il avait fallu que Jordan oppose son veto pour que la transaction ne s’effectue pas. En outre, comparé à MJ, Pippen était largement sous-payé. Tout comme Jordan, Pippen a également entretenu des relations houleuses avec Dennis Rodman, qui était le maître du rebond, mais ne pouvait se défaire de son image d’enfant-terrible.

C’est ainsi que, durant la dernière saison (1997-98), les Bulls se sont souvent retrouvés au bord de l’implosion. Chacun savait que cette dynastie allait de toute manière se terminer, avec ou sans sixième titre NBA. Phil Jackson avait effectivement annoncé que ce serait sa dernière campagne. Et Jordan avait déclaré qu’il ne jouerait sous la direction d’aucun autre coach. MJ restait en outre très critique, y compris à l’égard de jeunes coéquipiers comme Toni Kukoc et Luc Longley, qui n’appréciaient ce comportement que très modérément.

Pourtant, c’est cette mentalité de tueur qui a finalement conduit les Bulls vers leur dernier titre, grâce notamment à ce shoot victorieux réussi on the buzzer contre les Utah Jazz dans le sixième match des Finals de NBA. Le moment le plus Jordanesque de l’illustre carrière d’un vainqueur-né.  » Je m’en suis imprégné, de cette mentalité. Seule la victoire compte, coûte que coûte « , déclare His Royal Airness dans la bande-annonce de The Last Dance.

Verrons-nous tout ce qu’il s’est passé ? Avec des Bulls qui dansent, mais qui montrent aussi parfois les crocs ?

Un sixième titre NBA qu’il doit également au coach Phil Jackson, car malgré toutes les tensions, The Zen Master a réussi à insuffler à son équipe un sentiment de  » nous contre le reste du monde/contre Jerry Krause « . Longtemps avant que l’équipe cycliste (Deceuninck)-Quick-Step se soit appropriée l’image d’un WolfPack (meute de loups), Jackson s’était inspiré du Livre de la Jungle de Rudyard Kipling pour faire adopter par sa meute à lui le comportement des loups.

Michael Jordan lors des NBA Finals 1993, contre les Suns de Phoenix.
Michael Jordan lors des NBA Finals 1993, contre les Suns de Phoenix.© GETTY

La question qui se pose à propos de The Last Dance est : verrons-nous effectivement tout ce qu’il s’est réellement passé ? Avec des Bulls qui dansaient, mais qui montraient aussi parfois les crocs ? On sait qu’en 1995, Jordan avait asséné un coup de poing à son coéquipier Steve Kerr à l’entraînement, parce qu’il n’hésitait pas à répondre au trashtalking de MJ. D’autres incidents, inconnus à ce jour, seront-ils révélés ? Des incidents qui se seraient produits, non seulement durant cette dernière saison tumultueuse, mais aussi pendant les cinq campagnes précédentes couronnées d’un titre ?

Contrairement au projet initial, les dix épisodes de The Last Dance montrent effectivement toute l’ascension de la dynastie des Bulls. Comment la super-équipe imbattable des années 90 qui, dans le sillage de la Dream Team olympique, a popularisé la NBA dans le monde entier. Une reconstruction réalisée notamment sur base d’interviews avec tous les joueurs principaux, et avec une pléiade de grands noms de l’histoire de la NBA et de la société américaine : de Magic Johnson à Kobe Bryant, en passant par Justin Timberlake, Carmen Electra (l’ancienne petite amie de Dennis Rodman) et Barack Obama (originaire de Chicago et grand supporter des Bulls).

Avec, comme principal thème de conversation, l’impact qu’a produit le légendaire Michael Jordan grâce à une stratégie de marketing savamment orchestrée par Nike. Sa carrière est également passée au peigne fin : depuis ses racines en Caroline du Nord, en passant par ses premières années chez les Bulls, jusqu’à l’histoire de son  » I’m back « , il y a 25 ans. Intéressant aussi, le passage qui montre comment Jordan a vécu l’assassinat de son père James, qui l’avait conduit à mettre une une première fois fin à sa carrière. Il montre aussi comment Jordan a essayé de trouver un dérivatif dans le baseball, en participant à la Minor League de la MLB et évoque son addiction au jeu.

Le plus grand de tous les temps

En outre, cette série documentaire doit révéler encore mieux qui était vraiment Jordan. Comme être humain, comme joueur, comme  » tueur  » pas toujours sympathique. Pendant vingt ans, il a été considéré comme le plus grand de tous les temps, tous sports confondus même, selon certains. Il n’a jamais vraiment quitté la NBA – grâce à sa marque de chaussures Air Jordan et grâce au fait qu’il soit propriétaire des Charlotte Hornets – mais est-il bien le plus grand de tous les temps ? Ce titre ne reviendrait-il pas plutôt à LeBron James ?

 » En aucune manière « , répondront évidemment les plus de 35 ans. Mais les vedettes actuelles et les millions de jeunes fans de NBA d’aujourd’hui n’ont pas grandi avec Jordan. Ils ont grandi avec Kobe Bryant, Shaquille O’Neal, Vince Carter, LeBron James, Tim Duncan, et plus tard avec Kevin Durant et Stephen Curry… Pour eux, Jordan est une légende dont la carrière se résume à de brèves séquences vues sur YouTube. Ils retiennent aussi son discours impressionnant prononcé lors de la cérémonie d’adieux à Kobe Bryant.

Aujourd’hui, plus personne ne veut encore être comparé à Michael Jordan. Be Like Mike, comme l’affirmait le spot publicitaire de Gatorade en 1992, et comme Bryant a essayé de le devenir plus tard. Même les médias osent de moins en moins utiliser The New MJ lorsqu’ils osent une comparaison. Le record de victoires de ses Chicago Bulls (72 matches gagnés sur 82 durant la saison 1995-96) a d’ailleurs été battu depuis lors, par les Golden State Warriors (73).

Le basket en NBA a beaucoup changé depuis les années 90, lorsque Jordan est passé de dunkeur qui planait au-dessus de ses adversaires à un joueur expérimenté qui s’appuyait sur son tir en fade away jump (un tir à mi-distance, en sautant vers l’arrière), alors qu’aujourd’hui la NBA se régale de tirs à trois points de plus en plus lointains. Les règles, en défense, sont aussi beaucoup plus strictes, ce qui permet aux joueurs d’avoir plus de liberté en attaque que Jordan n’en a jamais eue. Selon beaucoup de ses équipiers et adversaires de l’époque, il n’inscrirait plus trente, mais quarante points en moyenne dans la NBA d’aujourd’hui.

C’est précisément à cause de cette évolution dans le jeu que The Last Dance doit montrer à la jeune génération que tous les superlatifs concernant Jordan et ses Chicago Bulls ne sont pas uniquement sortis de l’imagination de quelques nostalgiques. La série documentaire doit leur apporter, à eux mais aussi aux amateurs de basket plus âgés, une image fiable et concrète de His Royal Airness. Une légende vivante et mythique. Elle doit également démontrer qu’il est bien le plus grand de tous les temps.

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