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Comment Tiger Woods est-il devenu une immense star de la planète golf?

Comment un sportif devient-il le meilleur de sa discipline ? Dans cette série d’été, nous avons recherché les causes et les raisons de la montée vers le panthéon. Dans ce deuxième épisode, nous nous sommes intéressés à Tiger Woods, devenu le meilleur golfeur de tous les temps.

« N’est-il pas trop bon, au point qu’il porte préjudice à son sport ? » Cette question, plus d’un journaliste spécialisé en golf se l’est posée à la fin des années 90, tant les prestations de Tiger Woods étaient exceptionnelles. Eldrick Tont Woods, de son vrai nom : il doit son surnom de Tiger à un soldat vietnamien avec qui son père s’était lié d’amitié pendant l’une de ses deux missions au Vietnam. Il n’y a pas d’âge pour être bon. Dans le cas de Woods, l’excellence n’a pas attendu le nombre des années. Devenu professionnel en 1996, il a remporté les Masters un an plus tard. Avant même ses 30 ans, il avait déjà inscrit dix tournois majeurs à son palmarès. De quoi répondre amplement aux attentes des parents, des sponsors et de tout un pays. Woods est un enfant prodige. Il a débuté le golf à deux ans et avait déjà un club entre les mains à dix mois. Des blessures et des contretemps divers l’empêcheront de participer à l’US Open qui se tiendra du 12 au 18 juin. Tous les amateurs de golf le regrettent.

Les statistiques de Woods sont affolantes. Il a battu tous les records, les uns après les autres. À l’exception d’un seul : Jack Nicklaus a remporté 18 majors et Woods « seulement » 14. Mais Woods est et reste l’incontestable numéro 1 de tous les temps. Même si, aujourd’hui, il ne réussit plus rien de bon et si sa carrière semble derrière lui. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter la liste de ses records (voir encadré).

Mails il y a plus. Si l’on excepte le nombre de tournois majeurs remportés, Woods domine The Golden Bear dans tous les autres domaines. Il a remporté plus de tournois PGA que Nicklaus, a été plus souvent élu Golfeur de l’Année, a accumulé beaucoup plus de scoring titles et a eu beaucoup plus d’impact sur son sport. Nicklaus n’a dû affronter qu’une poignée de golfeurs de grand talent, alors que la concurrence était bien plus grande à l’époque de Woods avec Phil Mickelson, Severiano Ballesteros, Vijay Singh et Ernie Els. D’ailleurs, les principaux adversaires de Nicklaus (Arnold Palmer, Tom Watson et Lee Trevino) ont tous déclaré que Woods était meilleur que lui. Pourtant, c’est peut-être grâce à Nicklaus que Woods est devenu le meilleur golfeur de tous les temps. Jeune, il n’a eu de cesse de s’attaquer à la chasse aux records.

Merci, Papa

« Lorsque j’ai vu que Tiger présentait de grandes dispositions pour le golf, je lui ai fixé comme objectif de battre les records de Nicklaus », a révélé Earl Woods, qui a été un bon joueur de base-ball. Tiger est l’un des nombreux enfants prodiges qu’ait connu le golf, mais l’un des rares à avoir confirmé les promesses qu’il a laissé entrevoir et à avoir atteint le tout haut niveau. Si les parents de jeunes joueurs de tennis ont souvent placé leur progéniture sur un piédestal avant de voir leur fils ou leur fille renoncer par manque de motivation – les soeurs Williams et Maria Sharapova sont les exceptions qui confirment la règle – l’attitude d’Earl Woods a permis au rejeton de devenir un champion hors catégorie. « Néanmoins, je tiens à souligner que c’est Tiger lui-même qui a choisi de devenir golfeur », a précisé Earl en 2001. « Je l’ai aussi initié au base-ball et à la course à pied, mais il a opté pour les greens. »

Earl Woods (son père) : À huit ans, il battait déjà les meilleurs golfeurs du monde. C'est révélateur du talent et de la dextérité de mon fils.
Earl Woods (son père) : À huit ans, il battait déjà les meilleurs golfeurs du monde. C’est révélateur du talent et de la dextérité de mon fils.© BELGAIMAGE

Le plan Tiger to the top a donc fonctionné. En tant qu’ancien militaire, le père Woods – lui-même un golfeur de très bon niveau – avait accès au terrain de la Joint Forces Training Base à Los Alamitos, en Californie. Tout bénéfice pour Tiger, mais également pour le golf en général. Lorsque papa Earl s’est rendu compte que son fils avait du mal à suivre le régime d’entraînement auquel il était soumis, il est passé à la seconde phase du plan : l’entraînement psychologique, basé sur les techniques d’interrogation auxquelles il avait lui-même été soumis lors de sa période d’instruction à l’armée. Car, « au plus haut niveau, le golf se joue à plus de 90 % au niveau mental », estime Earl Woods. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour se rendre compte que Tiger allait atteindre ce plus haut niveau. Lorsqu’il ne dominait pas de la tête et des épaules l’un ou l’autre tournoi de jeunes, il volait la vedette au comédien Bob Hope dans un putting contest, sous les yeux de l’Amérique entière, rivée au petit écran. « Même après tout ce qu’il a déjà réussi, je trouve que son plus grand exploit reste d’avoir remporté, trois fois d’affilée, le Championnat des États-Unis pour Juniors (Woods a gagné en 1991, 1992 et 1993, ndlr) », affirme Earl Woods. « Bien sûr, sa victoire aux Masters de 1997 reste une performance exceptionnelle, mais Tiger a remporté tous les grands tournois auxquels il a participé depuis qu’il a huit ans. Ceux qui affirment que seules les victoires dans les tournois majeurs comptent chez les Seniors, n’ont rien compris au golf. Depuis qu’il a huit ans, mon fils bat les meilleurs joueurs du monde dans les tournois internationaux. C’est révélateur de son talent et de sa dextérité. »

Si Earl Woods a tout fait pour placer son fils dans les meilleures conditions, il a aussi officié en tant qu’entraîneur. « Entre quatre et dix ans, Rudy Duran l’a initié au golf. Ensuite, il est passé pendant sept ans aux mains de John Anselmo et à partir de ses 17 ans, Butch Harmon a pris le relais. Mais, pendant toutes ces années, j’ai également joué mon rôle comme coach. Mais, plus encore que faire de Tiger le meilleur golfeur du monde, je me suis efforcé à faire de lui une bonne personne. »

Bête d’entraînement

Y est-il parvenu ? Seuls ses proches peuvent apporter une réponse à la question. Mais il est sans doute arrivé à Earl de se dire qu’au lieu de faire de Tiger une bonne personne, il a fait de son fils un monstre. Une bête d’entraînement. Muni d’un bloc-notes où il avait noté les records de Jack Nicklaus, le jeune Woods n’a fait que s’entraîner, regarder du golf et effacer des tablettes tous les records de son glorieux prédécesseur. Alors qu’il n’avait que trois ans, il a bouclé les neuf trous de son parcours d’entraînement en 48 coups à peine, et quelque temps plus tard, il a remporté six Championnats du Monde chez les Juniors, dont quatre d’affilée.

Tiger a grandi sans frères et soeurs, ni amis. Son meilleur ami, c’était son sac de golf. Et son seul camarade de jeu, c’était le filet contre lequel il s’exerçait au drive, dans le garage. Malgré cela, c’était un gars sensible. On peut s’en rendre compte dans une lettre qu’il a adressée en 2015 à un fan, pestiféré parce qu’il bégayait. « Je sais ce que l’on ressent lorsqu’on n’est pas accepté. Jadis, je bégayais aussi, et je ne me suis débarrassé de ce handicap qu’après avoir suivi deux ans de logopédie et avoir parlé pendant des heures à mon chien », pouvait-on lire dans cette lettre. Le contenu de cette missive en dit long sur l’état d’esprit positif qui animait Woods. « J’ai longtemps été le plus jeune sur la scène du golf et je me suis souvent senti seul. Mais je ne me suis jamais découragé. Au contraire, cela a été une source de motivation. »

Si Tiger était extrêmement motivé à l’idée d’approcher la perfection, « il avait aussi l’art d’arriver au sommet lors d’un tournoi déterminé, et même d’un jour déterminé de ce tournoi », a constaté Andy Farrell, un journaliste spécialisé en golf. « D’autres golfeurs espèrent simplement qu’à force d’entraînements, ils parviendront à atteindre un niveau honorable, pendant deux semaines, à un moment donné de la saison. Tiger, lui, réussit à atteindre son meilleur niveau la semaine où c’est nécessaire. » Le revers de la médaille, c’est que le golf a pris une telle place dans sa vie qu’il a ruiné sa vie privée. Ses relations l’ont lâché, les unes après les autres, simplement parce qu’il n’avait jamais le temps pour autre chose que le golf. Et lorsque, fait exceptionnel, il lui arrivait d’être dans un mauvais jour sur le green, il jetait ses clubs de rage, jurait comme un charretier et crachait en direction du trou qui avait repoussé sa balle. Un tel comportement n’étonne pas son père : « Depuis qu’il est tout petit, Tiger considérait tout ce qu’il faisait comme une compétition. Même lorsqu’il buvait un verre d’eau, il s’efforçait de le vider le plus vite possible. »

Domination impitoyable

La succession de victoires impressionnantes, et surtout la manière dont il les obtenait, ont donné le sentiment que Woods était invincible. « Tiger réalise des choses que je ne peux même pas imaginer », a réagi Rocco Mediate lorsque Woods l’a battu sur le fil à l’US Open de 2008 alors qu’il était blessé. « Woods était capable de nous battre sur une jambe », a ajouté Kenny Perry. « C’est décourageant de constater qu’il est toujours capable d’élever son niveau, déjà incroyable. Il nous enfonce le moral jusque dans les chaussettes. Il était sans pitié pour ses adversaires. » Longtemps, Woods n’a pas laissé une seule miette à ses concurrents. Entre 1999 et 2003, il a remporté pas moins de 32 tournois PGA. Durant cette période, aucun autre joueur n’a remporté plus de huit tournois.

Avant même ses 30 ans, Tiger Woods avait déjà inscrit dix tournois majeurs à son palmarès.
Avant même ses 30 ans, Tiger Woods avait déjà inscrit dix tournois majeurs à son palmarès.© BELGAIMAGE

Sa domination et son style de jeu ont eu un impact gigantesque sur son sport. Ses concurrents se sont rués dans les salles de musculation afin de devenir aussi athlétiques que Tiger, et les parcours ont été redessinés afin de mener la vie dure au prodige. Les Américains utilisaient l’expression : Tigerproofing the courses. Concrètement, cela signifiait : allonger les terrains de golf, afin que Tiger puisse moins facilement tirer profit de son drive impressionnant. Mais, a déclaré le père Woods en 2001 : « Il est impossible de redessiner un terrain de golf pour qu’il soit plus difficile à jouer pour Tiger. Car, s’il est plus difficile pour lui, il est aussi plus difficile pour les autres. » Limiter les qualités de Woods à la seule précision de ses coups longs est par ailleurs particulièrement réducteur. Car personne ne réussit mieux que lui un put sous pression, et peu de concurrents parviennent à mieux s’extraire d’un bunker que lui. Ajoutez-y sa précision avec un fer, et vous aurez une idée de sa polyvalence. Woods peut briller sur tous les terrains, où et quand il le souhaite.

Concentration légendaire

Le principal atout de Tiger Woods est cependant sa concentration légendaire. « Il avait l’art de se focaliser sur les moments les plus importants », affirme Timothy Clary, journaliste spécialisé en golf. Pendant plus d’une décennie, Tiger s’est montré sous son meilleur jour lors des grands événements. Et même, lors des instants décisifs des grands événements. L’un de ces instants décisifs est son shot au huitième trou des Masters 2010. La balle de Woods a atterri au milieu des pins, à Augusta. La solution la plus évidente ? Atteindre le green en deux coups, au moyen d’un coup de récupération. Mais qu’a fait Woods ? Il a envoyé directement sa balle sur le green grâce à un coup inimaginable à travers les arbres. Un exploit qu’il a réédité le lendemain, sur le trou n°11, avec une balle qui avait atterri près d’un arbre. Le public et les adversaires n’en ont pas cru leurs yeux. « Tiger a toujours eu cette faculté de réaliser des coups miraculeux », a expliqué l’ancien coach de Woods, Hank Haney. « Je n’ai jamais vu un gars aussi obsédé que lui. Cela ne le dérangeait pas de s’entraîner pendant une éternité pour un coup qu’il n’utiliserait que quelques fois au cours de sa carrière. »

Aujourd’hui, il n’est plus beaucoup question d’entraînement. Earl, le père de Woods, est décédé en 2006, et Tiger ne s’en est jamais vraiment remis. Ajoutez-y quatre opérations au dos, quelques problèmes privés et une perte sensible de motivation, et vous comprendrez pourquoi il ne domine plus son sport, ces dernières années. La seule raison pour laquelle Woods joue toujours au golf, c’est parce que Nicklaus lui est toujours supérieur sur un point. « Je suis sûr à 100 % que Tiger aurait déjà rangé ses clubs depuis longtemps s’il avait battu le record de Nicklaus : 18 victoires dans des tournois majeurs », affirme le meilleur ami de Woods. Tiger l’a reconnu en 2016 lors d’une interview avec Charlie Rose, présentateur d’un talk-show.

L’obstination de Woods peut sembler pathétique, mais en même temps, elle témoigne de cette motivation qui a longtemps été sa force motrice et qui est aujourd’hui ancrée en lui. « Plus que sur les résultats et sur l’impact qu’il a eu sur le golf, il faut juger Tiger sur ce qu’il a essayé d’atteindre », conclut l’ancien coach Hank Haney. « Il n’a jamais essayé de devenir le meilleur golfeur du monde, il a simplement tout fait pour tirer le meilleur de lui-même. »

PAR KRISTOF VANDERHOEVEN

Les records de Tiger

Woods avait l'art d'arriver au sommet lors d'un tournoi déterminé, et même d'un jour déterminé de ce tournoi, estime Andy Farrell, journaliste spécialisé en golf.
Woods avait l’art d’arriver au sommet lors d’un tournoi déterminé, et même d’un jour déterminé de ce tournoi, estime Andy Farrell, journaliste spécialisé en golf.© BELGAIMAGE

264 semaines à la place de numéro 1 entre août 1999 et septembre 2004. Entre juin 2005 et octobre 2010, Tiger Woods a encore fait mieux avec 281 semaines à la place de numéro 1. Une performance jamais égalée.

683 semaines passées en tête du classement, au total.

11 fois lauréat du PGA Player of the Year Award.

24 ans : c’est à cet âge qu’il a réalisé le Grand Chelem. Aucun autre golfeur n’a réussi à remporter les quatre tournois majeurs à un âge aussi précoce.

128 tournois PGA d’affilée, entre 1998 et 2005, durant lesquels il n’a pas raté le cut.

2 fois, depuis 1900, un golfeur a remporté un grand tournoi avec une avance de dix coups ou plus. Aux Masters de 1997, Woods a bouclé le parcours avec 12 coups de moins que ses adversaires, et à l’US Open de 2000, avec 15 coups de moins.

110 millions d’euros : c’est ce qu’a gagné Tiger Woods sur les terrains de golf depuis qu’il est devenu professionnel en 1996. Phil Mickelson est deuxième avec 82 millions d’euros.

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