© iStock

America’s game: d’où vient la passion des Américains pour la NFL?

La NFL a été secouée par de nombreux scandales ces dernières années. Pourtant, le championnat de football américain, qui en est à sa centième saison, est toujours bien vivant. Surtout le jour du Super Bowl, qui oppose les Kansas City Chiefs aux San Francisco 49ers ce dimanche. D’où vient cette passion des Américains pour leur sport?

À l’issue de la saison 2017, l’inquiétude pointe en NFL : l’audimat a chuté de 10% alors qu’il avait déjà baissé de 8% la saison précédente. L’America’s game – le titre d’une série documentaire annuelle sur les champions du Super Bowl – ne plaît-il plus aux Américains ? Des années riches en scandales vont-elles précipiter son déclin ? Combien de mauvaises nouvelles un sport peut-il supporter ?

Flash-back. En 2014, la star Ray Rice est filmée en train d’assommer sa fiancée d’un coup de poing, avant de filer par l’ascenseur de l’hôtel. « Un traumatisme collectif pour la nation », écrit The New York Times, alors que d’autres récits de violence refont surface, évoquant des joueurs qui maltraitent leur compagne et même leurs enfants. Jusqu’à présent, la NFL avait fermé les yeux sur la violence conjugale mais cet été-là, la situation atteint un point de non-retour.

Un an plus tard sort le film biographique Seul contre tous, avec l’acteur Will Smith, un long-métrage consacré à un joueur décédé de l’encéphalopathie traumatique chronique, des dommages cérébraux consécutifs à de nombreux coups à la tête. Le film traite surtout de la manière dont la NFL a tenté d’escamoter les rapports sur d’autres footballeurs décédés de la même façon dans les années ’90 et déclenche une vive discussion sur le danger, sous-estimé, des commotions cérébrales. De plus en plus de joueurs ont depuis raccroché, avant même d’avoir atteint l’âge de trente ans, et ce afin de préserver leur santé.

Plus tard encore explose le deflate-gate de Tom Brady, la grande vedette des New England Patriots, suspendu pour quatre matches en 2015 après avoir été accusé d’avoir ordonné à des collaborateurs de dégonfler les ballons pour qu’il puisse les lancer plus facilement, une pratique interdite. Un juge de New York annule la suspension, mais la NFL se pourvoit en appel et la sanction est finalement appliquée durant la saison 2016.

Enfin, Colin Kaepernick, le quarterback des San Francisco 49ers, sonne la révolte en s’agenouillant en 2016 pendant l’hymne national. L’objectif ? Protester contre les violences policières dont sont victimes les Afro-Américains. D’autres joueurs l’imitent, provoquant un véritable tollé aux États-Unis, où le drapeau et l’hymne sont sacrés. Le président Donald Trump appelle même au boycott de la NFL et exige que les propriétaires des clubs limogent les joueurs qui s’agenouillent. Les choses n’iront pas aussi loin, mais Kaepernick n’a plus obtenu de contrat au terme de cette saison.

Si les Afro-Américains représentent les deux tiers des joueurs, trente des 32 franchises en présence sont contrôlées par des milliardaires blancs, qui n’embauchent que des entraîneurs blancs. En réalité, Kaepernick a enflammé le débat sur le racisme et incité une partie des amateurs de foot américain, en majeure partie pro-Trump, à se détourner de ce sport trop politisé.

BIG BUSINESS

« Jamais l’image de la NFL n’a été aussi mauvaise », concluent les analystes à l’issue de la saison 2017. Pourtant, ces scandales ne modifient pas beaucoup le cap de la NFL, qui fait office d’énorme bateau de croisière dans une mer où ne naviguent que des yachts. L’enquête annuelle suivante du bureau Gallup révèle que 37% des amateurs américains de sport continuent à préférer le foot US. C’est moins que les 43% enregistrés dans le courant des années 2000, mais ça reste nettement supérieur aux chiffres de la NBA (11%) et du baseball (9%), en chute constante.

Le King Football continue de régner sur le paysage télévisé. Il progresse de 4 à 5% en 2018 et en 2019 pour atteindre une moyenne de 16,5 millions de téléspectateurs par match. La moyenne des deux dernières finales de l’American et de la National Football Conference, dont les vainqueurs disputent le Super Bowl, est de 42 millions. Ce chiffre va probablement doubler lors de la prochaine édition pour dépasser les 100 millions de spectateurs, sur une population totale de 330 millions. C’est comme si, en Belgique, 3,3 millions de personnes suivaient un match des Diables rouges.

Dans le Top 10, le Top 25 et le Top 100 des programmes TV les plus regardés en 2019, on trouve respectivement neuf, 23 et 78 matches de NFL. En tenant compte des matches de collège, 83 programmes du Top 100 sont des matches de football. La seule émission du Top 10 n’ayant rien à voir avec le foot est la remise des Oscars….

Dans un paysage médiatique qui voit de plus en plus d’Américains renoncer à la télévision câblée au profit de plate-formes de streaming comme Netflix, la NFL est la seule retransmission en directe à rester lucrative pour les grandes chaînes. Les entreprises ont acheté des spots publicitaires pour quatre milliards d’euros durant la dernière saison régulière, soit 14% de plus qu’en 2018. Fox Sports va gagner cinq millions d’euros pour trente secondes de publicité pendant le Super Bowl de dimanche, avec un total de 77 spots.

Les observateurs s’attendent à ce que le nouveau contrat TV, qui sera négocié au terme de la saison en cours et entrera en vigueur à partir de 2023, augmente encore de 20 à 30%. Or, le contrat actuel (2014-2022) rapporte déjà 4,5 milliards d’euros par saison, toutes formules comprises, soit avec les droits de streaming, de plus en plus lucratifs. Roger Goodell, le patron de la NFL, s’attend à une augmentation annuelle de 6% du budget total de la ligue, pour arriver à 22,5 milliards en 2027. La valeur des franchises va donc encore augmenter, alors qu’elle est déjà de 2,6 milliards en moyenne, soit six fois plus qu’il y a vingt ans. Selon le magazine Forbes, les Dallas Cowboys valent même 4,5 milliards et sont le club sportif le plus riche de l’année 2019.

Une question : pourquoi l’America’s game reste-il aussi dominant, malgré tous les scandales qui l’ont secoué ? Pourquoi ce sport est-il aussi intégré dans la culture américaine que Mickey Mouse et Elvis Presley ? Pourquoi même de nombreux intellectuels restent-ils accros à un sport qui dépasse nettement moins les frontières que la NBA ?

WARRIORS

La controverse qui a suivi la révolte de Colin Kaepernick ne relève pas du hasard. Aucun sport ne se targue d’un tel patriotisme aux States. Or, les Américains y sont extrêmement sensibles. En témoignent ces militaires en uniforme qui assistent gratuitement aux matches du Salute to Service Games, ces hommages et ces collectes au profit des vétérans de guerre, ces jets qui survolent les stades, ou encore ces immenses drapeaux américains. Tout ça fait partie du spectacle. Certaines équipes concluent même des accords avec le département de la Défense, afin d’encourager les gens à s’engager à l’armée.

En 1967, un documentaire dépeint le football américain comme « un jeu de beauté et de violence ». Un avis qui séduit l’Américain moyen dans les années ’50 et ’60. Ce sport viril doit rassurer les citoyens, alors en pleine guerre froide : leur pays possède encore de vrais warriors, de vrais guerriers.

La NFL mise en outre sur des documentaires qui montrent la dureté du sport. Les chaînes TV savent aussi qu’en repassant au ralenti des actions violentes, elles vont donner la chair de poule aux spectateurs. On ne parle à l’époque pas des conséquences potentiellement dramatiques de ces collisions sur le cerveau. Les gladiateurs adulés de la NFL doivent être abîmés. On passe sous silence le fait qu’ils laissent aussi libre cours à leur agressivité en-dehors des terrains.

Bien que cette dureté continue de faire partie inhérente du football américain, elle s’est quelque peu amoindrie. La NFL tente de mieux protéger ses joueurs des tacles trop brutaux, par des règles et des sanctions, ne serait-ce que pour limiter les blessures de ses stars et leur impact négatif sur l’audimat.

Au lieu de forcer un touch down par la seule force physique, on met désormais l’accent sur le passing. Un plus grand nombre de passes doit rendre les matches plus agréables à suivre et améliorer l’audimat, bien que ça fâche les supporters plus âgés et les puristes nostalgiques de la virilité d’antan.

STRATÉGIE

L’aspect stratégique du football est aussi important que son côté guerrier. Walter Camp, considéré comme le père du jeu, voulait d’ailleurs que les joueurs utilisent leur corps et leur cerveau. Le sens de l’organisation et du management sont inextricables dans la culture américaine, qui voue un véritable culte à la liberté individuelle. Le football américain en est le parfait reflet, puisque la tactique et l’esprit d’équipe sont cruciaux. Ça n’empêche pas les Américains de déifier les stars individuelles, les quarterbacks, ainsi que des entraîneurs comme Vince Lombardi (des Green Bay Packers dans les années ’60) et Bill Belichick (des New England Patriots au XXIe siècle). Ils sont devenus des motivateurs et des maîtres ès stratégie quasi mythiques.

La presse effectue des analyses tactiques détaillées dont raffolent les supporters. L’Américain moyen connaît même mieux la tactique défensive de Kansas City que son propre système politique. Ça explique l’énorme succès du Fantasy Football, le jeu virtuel qui permet à un fan de composer son équipe, comme s’il en était le manager. Au fil de la dernière décennie, ce jeu est devenu un business qui se chiffre en milliards, avec plus de quarante millions de joueurs.

Les amateurs de paris sont également gâtés, surtout depuis que de plus en plus d’états assouplissent les règles en vigueur et que les fans peuvent légalement parier sur les aspects les plus bizarres, de la couleur de la boisson énergétique Gatorade bue par les joueurs jusqu’à l’identité de la personne que le MVP remerciera en premier durant son speech.

UNE COMPÉTITION ÉQUILIBRÉE

Les Kansas City Chiefs disputent dimanche leur premier Super Bowl depuis 1970. Les San Francisco 49ers restaient quant à eux sur deux saisons misérables, mais se sont qualifiés pour la finale. Ça en dit long sur l’équilibre de la compétition. Depuis 2000 et en comptant l’édition de ce week-end, vingt équipes différentes ont participé au Super Sunday, malgré les six titres en neuf participations de New England. Tom Brady, la super star, a été éliminé assez rapidement dans les play-offs, avec ses Patriots, cette année.

Patrick Mahomes (24 ans) a pris la place de Brady en 2018 et il sera probablement réélu MVP ce samedi, la veille du Super Bowl. C’est l’illustration parfaite du système : le plafond salarial et les drafts, qui permettent aux équipes les moins bien classées de choisir en premier les joueurs de collège, permettent à une franchise de rejoindre très vite le sommet. Mahomes a été drafté par Kansas City en 2017, en dixième position, et il joue toujours pour un contrat de débutant de seulement quatre millions. Cette saison, les Chiefs n’ont dépensé que 150 millions en salaires, le chiffre le plus bas de NFL. Ils n’en disputent pas moins le Super Bowl.

La saison de NFL s’étend de septembre à début février, avec seize matches de championnat régulier et un maximum de quatre matches de play-offs, en comptant le Super Bowl. Le petit nombre de matches accroît leur intérêt, d’autant qu’ils se déroulent à des moments fixes, le dimanche depuis les années ’60, et le lundi depuis les années ’70. Depuis quelques années, on y a adjoint le Thursday Night Football. Ce sont devenus des rendez-vous incontournables durant les loisirs des Américains, moments retransmis en prime time. Au fil des décennies, la NFL s’est donc constituée une immense base de supporters. Qu’aucun scandale ne peut ébranler. http://rmgcciwa31.rmg.be:8080/newsgate/images/SmallCode.png

Des stades quasi combles

En 2019, un billet coûtait en moyenne nonante euros par match de championnat régulier, soit près de vingt euros de plus qu’en 2010. Pour assister au Super Bowl de dimanche à Miami, il faudra débourser 4.500 euros. Pourtant, le Hard Rock Stadium sera comble. De même, la plupart des matches du championnat régulier atteignent un taux d’occupation supérieur à 90%. En 2019, la NFL a attiré 66.151 spectateurs par match, pour une capacité moyenne de près de 70.000. C’est le chiffre le plus bas de la dernière décennie. 2016 a connu un pic de 69.487. Ce recul s’explique partiellement par le déménagement en 2017 des Chargers de San Diego à Los Angeles, où ils n’attirent que 25.393 personnes par rencontre.

Si les stades sont combles malgré le prix des billets, c’est notamment grâce au spectacle de plusieurs heures qui se déroule avant, pendant et après les matches. La NFL mise à fond sur l’ambiance. Elle délègue même des secret shoppers à chaque match. Ils se mêlent anonymement aux supporters et font part de toutes les carences relevées : une file d’attente trop longue, un coca tiède, des toilettes sales… Tout est mis en oeuvre pour en donner pour leur argent aux spectateurs.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire