©  inge kinnet

Vaches maigres et grasses vaches

Je mets trois plombes à écrire une chronique parce que mes gros doigts engourdis par le froid ne me répondent plus qu’à moitié, ici bien à l’abri de mon appartement au simple vitrage et au PEB sans doute illégal, à me demander sur quel multiple de zéro je mets le chauffage si je veux pas finir le mois à manger mes ongles de pieds. La nuit, alors que je dors avec deux pulls et que je me réchauffe à coups de prouts sous la couette en plume de rat, mon vieux réveil-radio débranché pour économiser huit centimes sur ma facture d’énergie, comme préconisé par le gouvernement – on se serre tous les coudes, hein ouais mon cul – je sursaute à une notif qui s’allume sur mon téléphone et m’annonce le dernier transfert de Chelsea à 120 millions d’euros et je me demande combien de vies à débrancher des réveils-radios pour s’offrir Enzo Fernández à ce prix-là après avoir déjà dépensé un demi-milliard d’euros depuis le début de la saison? Je me demande aussi sous combien de mètres de terre gelée se trouve enterré le fair-play financier qui consistait, si je ne m’abuse, dans une autre monde, à éviter la dépense de sommes excessives par les clubs dans un souhait de plus d’équité. Ou quelque chose de ce genre.

Je me demande sous combien de mètres de terre gelée se trouve enterré le fair-play financier.

En diminuant la luminosité de mon écran afin d’économiser deux centimes sur ma facture d’électricité, je regarde un épisode de la série «All or nothing» sur Arsenal, qui retrace la saison de reconstruction du club londonien. On y voit en maître d’œuvre un Mikel Arteta des plus humains, soutenu par une direction qui a décidé de mener un projet à long terme basé sur la confiance et la cohérence. Le mec se fait lyncher par tous les supporters après un début calamiteux, puis finit par se faire encenser alors que – spoiler alert! – son équipe finit cinquième du championnat, à deux doigts des places pour la Champions League. Regarder la série avec un an de retard est autrement plus croustillant quand on voit Arsenal mener sa meilleure vie en tête de la Premier League dans la continuité du travail accompli patiemment et ce, avec un vrai style de jeu.

En tant que supporter, ça me remet à ma place. Ça me rappelle que je ne suis qu’un pilier de comptoir comme les autres, qui trépigne comme un gosse quand il n’a pas ce qu’il veut, qui veut des résultats rapidement et qui n’a aucune idée du travail colossal abattu en coulisses. Ce qui ne me donne donc pas le droit de formuler, par exemple, que le futur sélectionneur national est un choix de merde, que la Fédé est constituée d’incapables et qu’à quoi bon annoncer en grandes pompes des grands noms quand on finit avec un passé, présent et futur perdant. Encore un. À moins que dans les hautes sphères aussi, ils galèrent avec la hausse du prix de l’énergie et qu’après avoir rêvé d’un festin, on ouvre le frigo comme tout le monde et on bouffe les restes. Peut-être un début d’explication.

D’ailleurs, en tant qu’être humain capable de sentiments et de compassion, je suis vraiment soulagé de savoir Cristiano Ronaldo enfin à l’abri financièrement. Au prix de l’essence, avec tout ce qu’il doit faire ingurgiter à ses multiples bolides, notamment, il était temps «d’arrêter les conneries» comme dirait mon père de mon emploi à temps partiel. Un peu de sérieux, quoi. Surtout qu’en Arabie Saoudite, pas de problème de chauffage. Ni de concurrence.

Entre-temps, dans mon petit club de P4, on se réjouit de ne jamais avoir réparé les spots du terrain. Dans le vestiaire, toujours pas d’eau chaude et ça arrange bien le président. Un des remèdes à la chaleur se boit froid et avec modération. Et on cause avec passion de tout ce foin dont on nous gave comme si ça nous concernait encore. En cramant dans la bibine les quelques centimes économisés.

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