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Quand Big Rom n’était que Baby Rom: retour sur la jeunesse de Romelu Lukaku

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Avant de devenir une star internationale, en marge de sa jeunesse de fils de footballeur professionnel, Romelu Lukaku a grandi dans un environnement familial aussi nombreux que soudé. Table ronde autour d’un voyage dans le temps en compagnie d’une partie de la famille, pour raconter une époque où Big Rom n’était encore que Baby Rom. La véritable histoire de Romelu Lukaku.

Les grandes fenêtres offrent une vue imprenable sur le Stadspark, triangle de verdure niché au cœur de la métropole. Parce que si sa trajectoire footballistique l’a rapidement installé à Bruxelles, c’est bien à Anvers que Romelu Lukaku a grandi. Jamais bien loin de la maîtresse des lieux, forcément hôte du rendez-vous. Parce que comme le dit Laury Mokamba, «chez Tantine, tout le monde est à la maison». Tantine, c’est Séraphine, qui sert le café en même temps que le début de l’histoire.

SÉRAPHINE : La maman de Romelu, c’est la fille aînée de Jean, notre grand frère, qui est décédé. Très vite, j’ai été un peu sa baby-sitter et dans mon cœur, c’est rapidement devenu ma fille. Quand je me suis mariée avec l’homme qui m’a fait venir en Belgique, je voulais la faire venir avec moi. Finalement, elle est venue un peu plus tard et c’est ici qu’elle a rencontré Roger. Quand Romelu est né, c’était un peu comme mon premier petit-enfant. Je l’emmenais partout, c’était comme mon bébé. À l’époque, je vivais à Merksem, mais au final, on est toujours restés à Anvers et chez moi, il y a toujours eu de la place pour eux.

LAURY: C’était chez Tantine qu’on se rassemblait pour les fêtes. On passait énormément de temps ensemble. Chaque année, à Noël et au Nouvel An, on se retrouvait.

NELLY : Romelu adorait ça. Il était très famille, il m’appelait tout le temps. Parfois, je ne décrochais même plus le téléphone, parce que je savais qu’il était en train de jouer à la PlayStation et qu’il allait me raconter ses histoires pendant des heures (elle rit). Avec moi, il parlait surtout des filles. Quand il voulait parler de foot, c’était plutôt avec Laury qu’il parlait.

«Le foot, pour lui, c’était comme une mission»

MODE : Le football, il est né avec. Très jeune, il savait déjà tout te raconter sur tellement de clubs, tellement de joueurs. Il te donnait des dates précises, des années… Tu le regardais avec de grands yeux, en te demandant comment c’était possible qu’il t’apprenne autant de choses sur le foot.

LAURY: Plein de gens pensent qu’ils connaissent le foot, mais lui, c’était autre chose. C’était un ordinateur. Il regardait les cassettes vidéo à plusieurs reprises, il voulait tout savoir.

NELLY : Il voulait être le meilleur, donc il comparait. Il cherchait pourquoi tel ou tel joueur était le meilleur dans tel ou tel domaine, simplement parce qu’il voulait le dépasser. Le foot, pour lui, c’était comme une mission.

LAURY: Je me souviens qu’à l’époque, quand ils vivaient encore à Wintam, il jouait déjà à Anderlecht et il recevait les DVD de ses matches à la maison. Ils les regardaient avec son père. Ils analysaient tout. Son père lui faisait déjà des massages, aussi. Ils n’ont jamais rien laissé au hasard par rapport au foot.

SÉRAPHINE : Jordan pensait plutôt à faire de l’athlétisme au début, mais pas Romelu. Lui, ça a tout de suite été le foot.

MODE : Si tu voulais lui faire plaisir, tu le laissais aller jouer dehors avec son ballon. Moi, je suis resté un peu plus longtemps au Congo, donc je suis arrivé plus tard en Belgique que le reste de la famille. C’était l’hiver, il neigeait et j’arrivais tout juste d’Afrique, mais il m’obligeait à sortir avec lui pour jouer au parc. Neige ou pas, il fallait à tout prix aller jouer.

LAURY: En effet, lors des matches chez les jeunes, Roger ne se mettait jamais avec les autres parents. Il allait toujours tout seul de l’autre côté du terrain. Heureusement pour Romelu, il est né en Belgique, parce qu’avec sa taille…

NELLY : Il recevait des remarques sans arrêt. Les gens ont toujours cru qu’il mentait sur son âge.

PIERRE : Je me souviens qu’il avait joué un tournoi à Boom avec Anderlecht. Tous les parents l’insultaient, disaient qu’il avait falsifié son âge, qu’il devait aller jouer avec des gamins de son âge. Moi, ça me rendait fou. Je répondais qu’il était né ici. Son papa avait fini par me dire: «Viens Tonton Pierre, laisse-les parler.» Il avait déjà bien compris que ça ne servait à rien de débattre avec ces gens-là.

NELLY : Romelu était déjà très grand, mais dans son cœur c’était encore un enfant.

SÉRAPHINE : Et qu’est-ce qu’il était peureux! Quand ils arrivaient quelque part, il laissait toujours Jordan passer devant lui. Il avait peur du noir…

NELLY : Il avait peur de tout (rires).

MODE : Par contre, quand on était dans un jeu, il fallait qu’il gagne.

LAURY: On est tous des gagnants mais Romelu, c’était quelque chose. Surtout à la PlayStation. Je me souviens qu’à son arrivée à Chelsea, il habitait au bord de la Tamise et de l’autre côté du fleuve, il y avait la maison de Mousa Dembélé. Souvent, on se retrouvait pour jouer à FIFA. Romelu était doué, et il aimait bien le dire. Il n’arrêtait pas de répéter qu’il nous battait tous. Donc, on lui a lancé un défi. Chez Mousa, il a dit que s’il perdait un match, il rentrerait jusque chez lui à pieds nus. Il nous battait les uns après les autres, puis il a fini par prendre trois buts contre un de mes amis. Chez nous, trois buts encaissés, c’est perdu. Romelu n’en croyait pas ses yeux. Nous, on était fous. On a commencé à courir dans tous les sens. Romelu était au sol, à genoux, la tête dans les bras. Il n’y croyait pas. Tout le monde était trop heureux, il y avait quelques amis qui glissaient sur les genoux, à la Mbappé, d’autres qui sautaient de joie, qui criaient, qui lui marchaient sur le dos… Une scène inoubliable!

Romelu avec le fils de Nelly lors de sa période à Everton.
Romelu avec le fils de Nelly lors de sa période à Everton.

NELLY : Et il est rentré à pieds nus?

LAURY: Non, il ne l’a pas fait évidemment (tout le monde éclate de rire).

SÉRAPHINE : Romelu avait l’esprit de gagnant, mais il pouvait accepter de perdre. Il savait rester calme dans la défaite en tout cas. Il prenait sur lui.

«En équipe nationale, ce n’était pas toujours facile pour lui»

NELLY : Dans le foot, il avait parfois l’air d’être très solitaire.

LAURY: En équipe nationale, à l’époque où c’était Benteke qui jouait, ce n’était pas toujours facile pour lui. Là, on s’appelait souvent, ça l’aidait à évacuer certaines choses. Parce qu’en équipe nationale, tu es en groupe, mais quand tu te retrouves dans ta chambre, la solitude te joue des tours.

NELLY : Ce n’était pas son genre d’aller parler avec ses coéquipiers quand ça n’allait pas bien. Il était plutôt du style à se renfermer dans sa chambre et à appeler la famille pour partager ses émotions.

PIERRE : Forcément, il y a eu des moments où ça allait un peu moins bien pour lui. Quand il ne jouait pas à Chelsea, il appelait souvent ses parents. Surtout sa maman.

LAURY: Sa maman, c’est son repère depuis toujours.

PIERRE : Dans ces moments-là, elle lui disait toujours: «Tu dois bien t’entraîner hein, il faut montrer à l’entraîneur ce que tu vaux!»

NELLY : Par contre, je pense qu’il n’a jamais douté de sa réussite. Il faut dire que tout a toujours été vraiment très vite.

MODE : Sa réussite, on la voyait venir. À Wintam, il faisait déjà des exploits terribles. À Boom, n’en parlons même pas. Alors, quand il est arrivé à Anderlecht, on savait que ce n’était qu’une question de temps. Partout où il était passé, c’était toujours le plus fort.

NELLY : Moi, ça m’a fait bizarre quand les gens ont commencé à le reconnaître. Il était un jour venu me rejoindre en ville, et les gens se retournaient sur son passage. Il n’y a que la fois où il venait de couper ses dreads qu’il a pu venir chercher mes enfants à l’école tranquillement. Enfin, presque. Juste quand il allait partir, un enfant l’a finalement reconnu et a crié son nom. Là, ça a été la cohue (elle rit).

PIERRE : Je me rappelle d’une fois à Anderlecht, ils étaient allés au Carré après un match. On leur avait réservé un espace VIP, tout le monde était à ses pieds. Moi, j’étais chez eux à la maison avec ses parents. Il a téléphoné à sa maman et il lui a dit: «Maman, je ne comprends pas, tout le monde veut me servir ici. Ils sont tous trop gentils avec moi. C’est comme si j’étais une star.» Son papa a pris le téléphone, et en rigolant il lui a répondu: «Mais Romelu, tu es une star.» Il se demandait pourquoi les gens étaient comme ça avec lui. Il ne comprenait pas.

LAURY: Il n’avait que seize ans, qu’est-ce que tu comprends à cet âge-là? Je me souviens encore que sa mère me disait, quand j’ai eu la chance d’aller faire un test à l’Ajax à dix ans: «Plus tard, quand je te verrai à la TV, je vais pleurer.» Finalement, je n’y suis pas arrivé, mais ça a fini par être ses enfants. C’est beau, non?

NELLY : Et là, on a tous pleuré!

LAURY: Pour son premier match contre le Standard, on n’avait pas les chaînes de sport, donc on avait dû chercher des liens sur internet pour pouvoir le regarder tous ensemble.

SÉRAPHINE : Au final, mon mari a installé la parabole, pour qu’on puisse voir tous les matches.

PIERRE : On allait quand même souvent au stade. Là, quand tu étais dans les tribunes, si tu l’appelais «Lukaku», il ne se retournait pas, mais quand tu disais une fois «Romelu», il regardait directement. Il savait tout de suite que c’était la famille. Et là, il était très spontané.

SÉRAPHINE : J’étais dans les loges à Amsterdam quand il avait réussi un exploit extraordinaire contre l’Ajax. J’ai sauté sur mon mari, je criais de joie alors qu’on était parmi des gens très calmes. Mon mari s’est retourné vers eux et il leur a dit: «Ne vous en faites pas, c’est son petit-fils.» Là, tout le monde a compris (elle rit). Après le match, Romelu m’a appelé et il voulait me faire descendre près de lui. Mais depuis les loges, c’était compliqué.

MODE : Il arrivait toujours à nous surprendre. Un jour, avant un match contre Beveren, il est venu m’expliquer que la semaine précédente, contre le Standard, il avait répondu en lingala à un joueur qui l’avait insulté en lingala. Moi, j’avais les yeux grands ouverts. J’essayais de l’interrompre, mais il était lancé dans son histoire. À la fin, je l’ai embrassé et je lui ai dit: «Mais Romelu, c’est toi qui me parles en lingala? Je ne t’avais jamais entendu dire un mot en lingala!» Il m’a répondu qu’il avait appris à Anderlecht.

NELLY : Quand tu vois combien de langues il parle maintenant, c’est incroyable. Il est vraiment doué pour ça. Dès qu’il arrivait à un endroit, il s’est mis à en parler la langue. À Chelsea, il a très vite parlé anglais. Il faut dire que c’était son rêve.

«Son objectif à terme, à Chelsea, c’était de remplacer Drogba»

LAURY: Le jour de l’annonce de son transfert, on était ensemble en ville. On le savait déjà évidemment, mais c’était quand même une journée bizarre. Je me souviens qu’il m’a roulé sur le pied, d’ailleurs (il rit). Il avait eu sa première voiture, mais il ne savait pas encore conduire. Un jour, avant d’avoir son permis, je l’ai pris à l’entraînement pour aller le déposer chez lui à la maison. Il avait tenu le volant sur l’autoroute, une trentaine de secondes, tout droit. Imagine la scène, dans une petite voiture. Après, il a lâché le volant, et il est rentré chez lui en criant à tout le monde qu’il avait conduit (rires). Il était trop heureux!

La famille de Tonton Pierre rassemblée autour de Romelu.
La famille de Tonton Pierre rassemblée autour de Romelu.

PIERRE : Quand il est parti à Chelsea, tu étais un peu son confident. Le plan était que tu ailles à Londres avec lui.

LAURY: Oui. Finalement, j’avais ma copine à l’époque, ma maman n’était pas trop d’accord non plus, donc je n’y suis pas allé, mais on s’appelait quand même tout le temps. On n’avait pas une grande différence d’âge, donc on était très proches. On partageait beaucoup de choses, un peu comme des frères.

MODE : Son rêve de jouer pour Chelsea, c’était vraiment accentué par Didier Drogba.

NELLY : C’était son idole.

LAURY: Je pense qu’à l’époque, c’était assez clair dans sa tête qu’il n’allait pas jouer énormément tout de suite, mais il voulait apprendre en côtoyant de tels joueurs, et surtout voir son idole s’entraîner tous les jours.

PIERRE : Son objectif à terme, à Chelsea, c’était de remplacer Drogba. Je me souviens qu’un jour, Drogba l’avait appelé quand il était encore à Anderlecht, et pour lui c’était suffisant. Ce jour-là, il n’y avait plus besoin de manger ou de boire, un appel de Didier Drogba, c’était une nourriture bien suffisante.

LAURY: Un jour, il m’a même oublié à cause de Drogba. J’étais chez lui à Chelsea, il devait me rejoindre après l’entraînement, mais apparemment c’était l’anniversaire de Drogba et il avait été invité chez lui directement après la séance. Moi j’attendais, et d’un coup, il a commencé à me sembler long, cet entraînement (rires). Quand il est rentré après, il était quand même gêné.

MODE : Quand il voyait jouer Drogba, il analysait tout. Sa façon de pivoter et d’enchaîner directement avec une frappe, c’est de lui qu’il l’a apprise. Il regardait chaque mouvement en détail.

LAURY: Même s’il jouait peu à l’époque, je n’ai jamais ressenti qu’il doutait. Par contre, il n’était pas encore aussi pointilleux que ce qu’il est devenu dans sa préparation en dehors du terrain. Sur ce qu’il mangeait, par exemple. Il pouvait devenir encore plus professionnel, et il l’a fait par la suite. À l’époque, il faisait venir des amis, des gens de la famille. Je pense que pour lui, c’était quand même une période amusante. Mais finalement, il a tourné le bouton pour mettre encore plus le focus sur le football.

NELLY : C’est quelqu’un d’intelligent, et il est complètement focalisé sur son objectif. Quand il a signé pour Everton, il a emmené mon fils avec lui en jet privé, et l’a fait monter avec lui sur le terrain pour la présentation officielle. Ils avaient un lien très fort. À une époque, il s’était proposé pour appeler mon fils tous les soirs parce qu’il avait du mal à s’endormir. Il parlait avec lui, il le rassurait, et ça l’aidait à dormir. Leur relation était vraiment très chaleureuse.

LAURY: Aujourd’hui, il renvoie une certaine image, plus distante, plus dure, mais au fond, c’est un «petit cœur», Romelu. Une personne en or quand il se sent libre.

SÉRAPHINE: Je crois que c’est une façon pour lui de se protéger, parce que c’est un garçon vraiment simple.

PIERRE: Il est resté simple, mais il s’est seulement construit une carapace. Je crois que la distance qu’il a prise, c’est une façon pour lui de ne pas retrouver sa sensibilité. Parce qu’il a toujours été très soucieux de l’état de la famille. Nous sommes très soudés et carapace ou non, nous aimons beaucoup Romelu et Jordan, avec leur simplicité.

LAURY: C’est sûr. Romelu et Jordan, ce sont des gens de famille.

Romelu Lukaku

1993

Naissance à Anvers, le 13 mai

1999

Débuts au FC Rupel Boom

2003

Passage au KFC Wintam

2004

Arrivée au Lierse

2006

Arrivée à Anderlecht

2009

Débuts professionnels

2011

Transfert à Chelsea

© belga
Romelu prend la pose avec son petit frère Jordan.
Romelu prend la pose avec son petit frère Jordan.
Romelu et Jordan (à l'avant) avec leurs cousins et cousines.
Romelu et Jordan (à l’avant) avec leurs cousins et cousines.
© belga
Romelu et Jordan, encore bébés, dans les bras de leurs cousins et cousines.
Romelu et Jordan, encore bébés, dans les bras de leurs cousins et cousines.
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