Jürgen Klopp n’est pas tendre avec les calendriers surchargés: «Chacun pense à soi en football mais personne ne pense aux joueurs»

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Jürgen Klopp en est à sa huitième saison à Liverpool. L’évolution du football international le préoccupe et il n’hésite pas à s’en prendre au président de l’UEFA, Aleksander Ceferin.

Par Jörg Jacob

Jürgen Klopp est confortablement installé dans le foyer des joueurs de Liverpool. L’entraîneur n’accorde pas souvent d’interview, bien qu’il aime parler et s’exprime bien. C’était déjà le cas quand il était le coach relativement inconnu de Mainz 05. La deuxième chaîne allemande, la ZDF, l’avait engagé comme analyste à l’occasion du Mondial allemand 2006, au grand déplaisir de Franz Beckenbauer, la légende vivante du football allemand, dont chaque parole est sacro-sainte. Partager l’antenne avec Klopp lui paraissait indigne. Désormais, le Kaiser préfère qu’on ne lui rappelle pas ses propos.

Les phases arrêtées m’intéressent beaucoup. C’est passionnant.» Jürgen Klopp

Klopp est d’un naturel fidèle. Après sept saisons à Mayence (2001-2008), il a entraîné le Borussia Dortmund le même laps de temps et depuis l’été 2015, il coache Liverpool, qu’il a conduit à la victoire en Ligue des Champions en 2019 et au titre en 2020. Auparavant, il avait remporté deux titres avec Dortmund, en 2011 et 2012.

Jürgen Klopp est contractuellement lié à Liverpool jusqu’au 30 juin 2026. Il en est depuis longtemps un monument. Il jouit du respect de tous. Il y a quelque temps, c’est lui qui a demandé que la Premier League autorise également cinq remplacements par match et il a obtenu gain de cause. Ses collègues l’en ont-ils remercié?

JÜRGEN KLOPP: Andros Townsend (joueur d’Everton, ndlr) a dit que j’avais insisté jusqu’à ce que j’obtienne ce que je voulais. Personne ne m’a remercié et ce n’était pas nécessaire. Cette décision est juste. Elle va aider le football.

Dans quelle mesure le Mondial, qui se déroule à partir de novembre, a-t-il eu une incidence sur la préparation de la saison?

KLOPP: En rien. On a l’habitude de saisons extrêmement longues. Ça ne change pas grand-chose pour nos internationaux. Le nombre de matches qu’ils vont disputer en plus dépend de la Ligue des Champions et de la Coupe d’Angleterre. Irons-nous aussi loin que la saison passée dans ces épreuves? Les autres joueurs, peu nombreux, bénéficieront d’une trêve hivernale en novembre. Mais la saison va être infernale, c’est claire. Si un de nos joueurs dispute la finale du Mondial ou le match pour la troisième place, il devra rejouer une semaine plus tard. Le Boxing Day.

Sadio Mané et Mohamed Salah sont des héros, au Sénégal et en Égypte, mais Salah ne participera pas au Mondial.

KLOPP: Il n’y avait qu’un qualifié. Le Sénégal a actuellement la meilleure équipe d’Afrique et Mo n’a pas de problème à le reconnaître. Comme Sadio, il reste sur une saison d’enfer. Liverpool a joué 63 matches. Mes deux Africains ont joué dix matches de plus, avec la CAN et les matches de qualification pour le Mondial, sans parler des prolongations. C’est de la folie.

«On n’a plus le temps de s’entraîner»

On en arrive à la surcharge des footballeurs.

KLOPP: On n’écoute aucun de ceux qui prennent la défense des joueurs. Quand j’exprime mon opinion, on prétend que je veux plus de vacances. Et Aleksander Ceferin créé la polémique en clamant que certains devraient travailler plus dur. Je le sais, je n’ai pas besoin que Monsieur Ceferin me le dise.

Vous êtes en dispute avec le président de l’UEFA?

KLOPP: Pendant des années, j’ai poli des vis et accompli de nombreux autres boulots. Je sais ce que travailler veut dire. Je ne veux insulter personne, simplement rappeler que sans joueur, il n’y a pas de football et qu’un match n’est agréable que quand les meilleurs le disputent. Toutefois, ils ne peuvent pas jouer tous les trois jours, malgré tous les moyens scientifiques déployés à l’entraînement.

Ce n’est pas la première fois que je lance un avertissement. Le problème du football, c’est qu’il comporte trop de groupes de pression. En Angleterre, c’est la Premier League, la Football League et la FA, au niveau international, l’UEFA et la FIFA. Chacun ne pense qu’à soi, personne ne pense aux joueurs. Vraiment personne. On n’arrête pas d’inventer des tournois. On élargit le Mondial, l’EURO. C’est dingue. L’entraînement est la base de tout sport, mais on n’a plus le temps de s’entraîner, on joue constamment. Je ne me plains pas, j’ai suffisamment de vacances. Mais pas les joueurs et ça doit changer.

Ceferin contre la critique en déclarant que ceux qui veulent gagner beaucoup doivent également prester. Il fait allusion à vous et à Pep Guardiola.

KLOPP: De grandes fédérations sportives comme la NFL (le football américain, ndlr) et la NBA, observent une pause de plusieurs mois. Elles génèrent nettement plus d’argent que le football. Je sais qu’une interruption de quatre mois est impossible en football, notre système étant différent. Certains clubs éprouvent déjà des difficultés s’ils doivent boucler six ou sept semaines sans rentrées en été, tout en devant continuer à payer les salaires. Mainz 05 est un de ces clubs. Il faut trouver une solution raisonnable. Il ne faut certainement pas inventer de nouvelles compétitions ou prolonger les tournois. Je suis le seul à fustiger cette politique en public? Soit. Ça ne me dérange pas. Je ne peux pas être ami avec tout le monde.

«Liverpool s’appuie sur une structure claire»

Liverpool est très serein. Grâce à vous, comme certains l’affirment?

KLOPP: En aucun cas. C’est ainsi que fonctionne un club doté de la bonne structure. On ne cesse de se développer depuis des années, on évolue à un niveau élevé et on gagne énormément de points. Le fait d’avoir conservé la majorité de notre noyau nous aide évidemment à poursuivre cette progression.

Il ne semble pas y avoir de frictions entre conseillers, managers, dirigeants…

KLOPP: On s’appuie sur une structure claire. Mike Gordon, le propriétaire du club, vit aux États-Unis. Il nous dit ce qu’on peut faire et ce qui n’est pas possible et on travaille dans ce cadre. On ne fait pas de folie et on ne retient pas les joueurs qui veulent partir, comme Mané qui a rejoint le Bayern. On vit dans un monde libre et le transfert de Mané était logique: il a joué sept ans pour Liverpool et avait besoin de changer d’air.

On mise principalement sur des jeunes qu’on veut aider à percer, ce qui n’est pas évident à notre niveau. On veut conserver les meilleurs jeunes, même s’ils jouent peu. On leur permet de s’entraîner avec le noyau A, ce qui les aide à patienter.

En fin de saison, vous avez prolongé votre contrat jusqu’en 2026 mais ensuite, Liverpool a loupé le titre et perdu la finale de la Champions League. N’avez-vous pas regretté d’avoir reconduit votre bail?

KLOPP: Je trouvais important que les joueurs sachent pourquoi je restais: parce que je voulais participer au développement de l’équipe. Je n’ai pas le sentiment d’être arrivé au terme de ma mission. Sinon, jamais je n’aurais pas resigné. Je veux assister aux prochains progrès de l’équipe, voir les jeunes intégrés par les plus anciens. Nul ne sait jusqu’où on ira. Peut-être ne va-t-on rien gagner cette saison. Le problème dans ce métier, c’est qu’il faut prendre des décisions avant de savoir si elles seront efficaces. Pourtant, je suis convaincu que le FC Liverpool peut encore s’améliorer et comme je l’ai dit, je veux en être.

«On n’utilise pas toutes nos aptitudes en football»

Comprenez-vous ce qu’il se passe à Barcelone?

KLOPP: Non, je ne suis pas un expert financier. Cependant, je ne dépense pas l’argent que je n’ai pas. Ma carte de crédit a déjà été bloquée deux fois, il y a longtemps heureusement. Je ne veux plus vivre ça. J’observe Barcelone avec le regard d’un amateur de football neutre. Je n’y comprends rien. Il développe un football magnifique et j’espère qu’il va retrouver son niveau. Le seul club que je connaisse qui ait vendu son stade et d’autres droits, c’est le Borussia Dortmund. Il a fallu l’arrivée de Hans-Joachim Watzke pour sauver les meubles in extremis. Je ne sais pas si le Barça a un Watzke.

Vous travaillez avec un spécialiste des rentrées de touche et des experts en neurologie. Êtes-vous courageux ou studieux?

KLOPP: Plutôt avide d’apprendre. J’ai toujours pensé qu’on n’utilisait pas toutes nos aptitudes en football. Ni humainement ni sportivement. Quel pourcentage de notre cerveau utilisons-nous? Pas beaucoup.

Vous travaillez cet aspect avec deux compatriotes, Niklas Häusler et Patrick Häntschke. Ils disent que seuls ceux qui sont prêts à essayer des nouveautés peuvent innover.

KLOPP: De fait. Je veux collaborer avec des personnes plus intelligentes, qui me font découvrir de nouvelles méthodes. Pour le moment, on travaille les phases arrêtées. On ne sait pas encore où ça nous mènera. Tout tourne autour d’une chose: comment s’y prendre pour mieux exploiter notre potentiel? On est l’une des meilleures formations européennes sur les phases arrêtées. Je remarque que les joueurs sont ouverts à ce qu’on leur propose, mais le club doit appréhender tout ça à long terme.

Vous savez comment ça va, en football: si on perd trois fois de suite, on vire l’entraîneur et on bouleverse tout. Pour que ces innovations produisent leurs effets à long terme, un club a besoin de stabilité. Les phases arrêtées m’intéressent beaucoup. Il ne s’agit pas seulement du footballeur qui s’en occupe, mais des trajectoires de course. Qui vient d’où? Qui botte un coup de coin? C’est passionnant.

Cette attention a profité à Liverpool en finale de la FA Cup contre Chelsea, puisque vous avez gagné aux tirs au but, comme en League Cup.

KLOPP: Des joueurs qui ne bottent normalement pas de penalty l’ont fait, comme Virgil van Dijk. Chelsea ne dispense pas d’entraînement cérébral. Les Londoniens ont converti dix coups de réparation en finale de la League Cup, nous onze.

Liverpool a-t-il ainsi pris de l’avance?

KLOPP: Les statistiques des phases arrêtées sont impressionnantes. Aucun club anglais ne marque plus sur coup de coin. On a beaucoup progressé, y compris sur les rentrées de touche. Évidemment, ça n’a pas échappé aux autres équipes. Elles ont réorganisé leur défense sur ces rentrées. Il faut toujours essayer de progresser. En matière de nutrition, par exemple. On s’est aussi attelés à cet aspect. Une fois qu’on l’a compris, on essaie de le mettre en pratique. Tout ça nous aide à progresser.

Les mentalistes

Niklas Häusler et Patrick Häntschke entraînent le cerveau des joueurs, afin d’augmenter le rendement de Liverpool. Ils mettent l’accent sur les phases arrêtées. Quand ils s’exercent au tir des corners, des coups francs et des penalties, les joueurs sont reliés par des câbles afin d’identifier et de contrôler ce qu’il se passe dans leur cerveau, pour optimiser leurs mouvements. La mesure des ondes cérébrales doit aider les scientifiques, qui cherchent à placer les joueurs dans un état idéal: ni trop tendu ni trop décontracté. Il s’agit de libérer leur tête et de neutraliser tout ce qu’il se passe autour d’eux, comme les cris des supporters.

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