Swann Borsellino

Thomas Henry, l’autre France du foot

Découvrez la chronique de Swann Borsellino.

Entre le gel des pelouses à Beveren, Ostende ou Charleroi et le gel du tableau d’affichage entre le Cercle Bruges et Anderlecht, ce week-end de Pro League n’aura pas été le plus animé de la saison. C’est le moment idoine pour vous raconter une histoire de Toto. Celle-ci n’a rien d’une blague. Elle rapporte une certaine réalité du football français. Un pays dont on chante, à juste titre, les louanges de la formation, au fur et à mesure que ses ressortissants marquent le foot européen de leur empreinte autant que de leur omniprésence. Un pays où il existerait une autoroute vers la réussite footballistique, via certains grands centres de formation comme ceux de l’Olympique Lyonnais, pourvu que l’on rentre dans un moule. Une autoroute que certains arpentent tranquillement, jamais à plus de 130 km/h (c’est la limite, chez nous), et sans oublier de s’arrêter toutes les deux heures. Une ligne droite dont certains, trop pressés ou mal entourés, ne viennent jamais à bout, attirés par la vitesse de la file de gauche. Mais la France est un pays de contradiction. Alors ceux à qui on a dit qu’ils ne rentraient pas dans le moule vieillissant du foot hexagonal prennent la Nationale 7 chère à Charles Trenet pour espérer trouver un coin de chaleur. On écrit leurs exploits comme ceux d’ Olivier Giroud, à qui on a dit qu’il n’avait pas le niveau pour la Ligue 2, ceux de Mathieu Valbuena, arrivé à Marseille en provenance du football amateur ou même ceux de N’Golo Kanté, passé de la Promotion d’Honneur à la Premier League en cinq ans. On les célèbre pour leur labeur, leur parcours original, parce ça fait bien, mais aussi parce que c’est quand même plus facile que de se remettre en question et de penser le football différemment, que ce soit dans la formation ou dans les attentes que l’on a d’un joueur professionnel.

Thomas Henry incarne l’autre France du foot. Celle qui fréquente plus les terrains pourris que les centres de formation.

La Nationale 7 ne passe pas par Fontenay-aux-Roses. C’est pourtant là que le roadtrip footballistique du Toto dont je vous parlais a commencé. Natif d’Argenteuil, dans le Val-d’Oise, Thomas Henry incarne l’autre France du foot. Celle qui joue avec ses potes en plein milieu de l’adolescence. Celle qui fréquente plus les terrains pourris que les centres de formation et sur qui le monde professionnel tombe presque par hasard. Rien de péjoratif ici, dans le terme « hasard ». C’est une vérité, lorsqu’ils n’empruntent pas la « voie royale » vers le professionnalisme, beaucoup de gamins apparaissent démunis lors de leurs premiers pas avec des clubs pros. Ils ont des complexes, mais pas les codes, des qualités, mais aucune idée de la suite. Tout simplement parce qu’ils n’y avaient jamais trop pensé. Alors souvent, c’est la déception qui prime. C’est le cas pour Thomas Henry lors de son passage au FC Nantes. Une petite année. Assez pour regarder dans le rétro et observer l’immensité du chemin accompli. Assez pour regarder devant et avoir le vertige devant celui qu’il reste à parcourir. Notamment parce qu’on se rend compte de ses manques, dans les bases et dans la manière de travailler. Cette France du foot est donc celle qui transpire. À Chambly, où Henry connaît la joie d’un exploit en Coupe de France et celle d’être baladé de poste en poste par un entraîneur avec qui le courant passe moyennement. Et à l’étranger puisqu’au bout d’un moment, c’est la seule solution, comme pour son génie de coéquipier, Xavier Mercier, qui incarne lui une autre facette du football hexagonal: celle du gamin qui a fait partie du système, mais qui n’est jamais rentré dans le moule.

L’exil belge, donc. À Tubize, puis Louvain, en D1B, puis en D1A, pour devenir, avec 19 buts en 24 matches parmi l’élite, le meilleur scoreur français de la saison en cours, à 26 ans. Le tout, aux côtés de son compatriote qui domine le tableau des donneurs de passes décisives. « De toute façon, la France ne voulait pas de nous », s’accordaient à dire les deux gaillards dans nos colonnes en fin d’année dernière. Une certaine France, c’est certain. Mais il en existe une autre. Celle qui trouve que les départs en vacances sont toujours plus beaux en prenant des chemins de traverse. Parce qu’on y fait des rencontres. Parce que quand on crève, on peut toujours s’arrêter dans un village et casser la croûte. Parce qu’au fond, ce n’est pas parce qu’on met plus de temps à aller d’un point A à un point B que le voyage est moins beau. Au contraire.

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