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Teologie

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Ses chiffres donnent la chair de poule. De quoi faire frissonner un championnat qui n’a pas l’habitude de voir un attaquant planter une montagne de buts. Lukasz Teodorczyk est devenu une curiosité scientifique. Alors, on l’étudie au microscope.

Le problème des phénomènes paranormaux, c’est que les témoins sont souvent trop seuls pour être crus. Ce 16 février 2014, ils sont pourtant plus de 20.000 à Poznan, dans les tribunes de l’INEA Stadion, quand Lukasz Teodorczyk remet son équipe aux commandes à vingt minutes du terme. L’attaquant polonais vient de tromper Marijan Kelemen d’un tir puissant, décoché depuis l’extérieur du rectangle. Un OVNI dans la carrière de Teo, dont les 76 autres buts en tant que footballeur professionnel ont été marqués dans les seize mètres.

Deux ans et demi plus tard, en Belgique, Anderlecht cherche un prédateur pour le placer dans le rectangle adverse. Les Mauves ont pris l’habitude, depuis l’arrivée d’Aleksandar Mitrovic, d’installer un attaquant au physique et à l’instinct d’animal à la pointe de leur dispositif. Parti sur une saison à 28 buts, dont 12 inscrits de la tête, le Serbe avait été remplacé par Stefano Okaka.

Rarement efficace dans la Botte, surtout dans le registre aérien puisqu’il n’avait marqué que cinq buts de la tête sur l’ensemble de sa carrière, l’Italien se métamorphose au contact du dispositif anderlechtois. Dix-sept buts, dont sept de la tête. Soit 43 % de son total. Lui, qui marquait surtout dans des fins de rencontre en jouant les bulldozers du Calcio dans la profondeur, devient presque un homme de petit rectangle. 76 % de ses buts naissent d’un centre, la plupart (10/13) trouvant leur source sur le flanc gauche bruxellois.

Le décor est planté, et le football du stade Constant Vanden Stock semble avoir été élaboré pour installer Teodorczyk dans le rôle du personnage principal. Le Polonais débarque effectivement avec un CV riche de 56 buts, constitué entre Varsovie, Poznan et Kiev. 19 d’entre eux ont été marqués de la tête (34%) et 40 viennent d’un centre (71%).

À 40 reprises, Teo n’a eu besoin que d’une touche de balle pour marquer. De la tête, du pied gauche ou du pied droit, peu importe.  » Il marque même de l’oreille « , confie Davy Roef, victime privilégiée du Polonais lors de séances d’entraînement où  » dès la première séance, il ne faisait que marquer « , précise Kara.

FORTE TÊTE

Déjà 8 buts inscrits de la tête cette saison.
Déjà 8 buts inscrits de la tête cette saison.

Le profil était trop parfait pour que la greffe ne prenne pas. En moins de quatre mois passés en mauve et blanc, Teodorczyk a déjà marqué vingt fois. Presque systématiquement en se positionnant sur son terrain de chasse favori, entre le point de penalty et le petit rectangle. Là, la bête croque avant tout les ballons aériens. Teo se nourrit dans les airs, avec déjà huit buts marqués de la tête cette saison, ce qui fait évidemment de lui la référence européenne en la matière. Son front ne pardonne pas. Les chiffres en Europa League sont presque effrayants : cinq envois de la tête, et trois buts.

L’attaquant des Mauves marque 40 % de ses buts de la tête. Un ratio qui augmente encore quand on retire ses deux penalties convertis de l’équation. Tout ça dans un championnat où la moyenne des réalisations du front flirte généralement avec les 20 % (21 % après 16 journées cette saison, 19 % sur l’ensemble de la saison dernière). En Belgique, seul Kalifa Coulibaly – 53 % de buts marqués de la tête – fait mieux parmi les buteurs réguliers de notre compétition.

Contrairement aux hommes de rectangle traditionnels, Teodorczyk s’époumone. Son pressing est anarchique, mais ses courses tellement généreuses qu’il semble gaspiller une énergie qui devrait lui manquer au moment de faire la différence dans le rectangle. Mais le Polonais est décidément différent. Parce que marquer ne semble jamais le fatiguer.  » Nous l’avons magnifiquement maintenu hors du match, et il a quand même marqué deux buts « , expliquait un Marvin Baudry amer après le doublé de Teo face à Zulte Waregem.

Et si l’attaquant du Sporting gardait surtout sa fraîcheur dans le rectangle parce qu’il n’y fait jamais un geste superflu ? Seize de ses vingt buts sous le maillot mauve ont été marqués en une touche de balle. Si on ajoute les fois où le jeu lui a offert le temps d’un coup d’oeil et d’un contrôle, il ne reste qu’une exception : son but face à Gand, né d’un festival de puissance technique sur ce flanc gauche où il aime s’aventurer pour appeler le ballon.

L’ARME À DROITE

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Finalement, la seule incertitude du mariage mauve de Teodorczyk était une question de latéralité. Le Polonais a débarqué dans un club qui penchait à gauche, alors que ses états de service indiquaient que parmi les 40 centres convertis dans son passé de buteur, 28 étaient venus du flanc droit (70%).

Teo aurait pu s’adapter à Anderlecht, mais c’est plutôt Anderlecht qui s’est adapté à Teo. Franck Acheampong illustre à merveille la métamorphose bruxelloise : auteur de sept passes décisives pour Mitrovic puis Okaka ces trois dernières années, il n’a pas encore donné le moindre assist cette saison, aucun de ses 21 centres n’ayant fini au fond des filets après 14 matches. Par contre, Teodorczyk fait décoller le compteur de passes décisives de Massimo Bruno (deux assists en deux matches) après avoir converti les ballons d’Alexandru Chipciu (3 passes décisives pour Teo) et même d’Uros Spajic.

Sur les douze centres repris victorieusement par le buteur polonais, dix sont venus de la droite. Seuls le centre d’Ivan Obradovic à Waregem – repris dans un premier temps par Chipciu, à… droite de Teodorczyk – et le corner de Nicolae Stanciu à Sclessin évitent à la règle du côté droit d’être infaillible. Car le raisonnement peut même aller plus loin que les centres : hors penalties, 16 des 18 buts de Teo ont été inscrits suite à une dernière passe venue de la droite.

Comme si son oeil droit lui permettait de penser et d’agir une fraction de seconde plus vite. Les prédateurs ont souvent un avantage naturel sur leur proie. Quelque chose de génétique. Plus que dans les centimètres ou les kilomètres/heure, c’est peut-être dans la fluidité du dialogue entre l’oeil et le pied qu’il faut chercher le don de Teodorczyk.

Par Guillaume Gautier

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