Pierre Danvoye

« Soit on laisse tricher tout le monde, comme dans le cyclisme d’autrefois. Soit on contrôle, tout le monde »

Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

De la P4 à la D1 amateur, combien de clubs clean dans leur compta ? Le pourcentage est rikiki.

On a tous un plombier, un carreleur ou un peintre qu’on paie en black. Qui a dit :  » Pas moi  » ? Mytho, va ! Quelques bonnes bouteilles, quelques dizaines / centaines d’euros, ça arrange tout le monde. Sauf le Trésor – mais bon.

Alors, on doit arrêter de casser les pieds des footballeurs amateurs (voire certains pros) payés sous la table ? Euh, ce n’est pas si simple. Parce qu’on parle ici d’un système pourri institutionnalisé. Genre dopage d’état en Russie, culture du bakchich en Afrique du Nord ou réunions bidons d’intercommunales dans l’une ou l’autre grande ville wallonne. Et donc, évidemment, ça va beaucoup trop loin.

De la P4 à la D1 amateur, combien de clubs clean dans leur compta ? Le pourcentage est rikiki. Le souci, c’est que les rares bons élèves partent avec des longueurs de retard sur les nombreux tricheurs. On a ainsi des championnats à deux vitesses. Peuplés de footballeurs (d’un niveau parfois très moyen) assez bien payés par des clubs qui ne versent rien à l’ONSS, rien au fisc. Et ça, ça énerve Salvatore Curaba.

Cet ancien pro, devenu un entrepreneur à succès et président d’un club de D2 amateur, la RAAL, nous a accordé une interview choc. Il en a marre. Marre que des clubs trichent. Marre que les joueurs réclament toujours plus d’argent. Marre de cette concurrence déloyale entre bons élèves et tricheurs. Alors, il a commencé à parler. On l’a traité de corbeau. Il s’en tape.  » Je ne sais pas si c’est grâce à moi que les enquêtes sur l’argent noir ont démarré dans le Hainaut. Mais j’espère que j’y ai contribué. Je le revendique.  »

Hainaut ! Le mot est lâché. À côté de la concurrence déloyale entre les clubs en règle et ceux qui chipotent, il y a une autre concurrence injuste. Entre les équipes hennuyères et les autres. Parce qu’il n’y a – jusqu’à présent – que dans le Hainaut que les autorités mettent le nez dans les petits arrangements des clubs de foot. On trouve, dans cette province, une espèce de nouveau Guy Bellemans, ce juge qui s’était attaqué au problème de l’argent noir dans le foot, dans les années 80. Et avait, par accident, découvert l’affaire Standard – Waterschei.

Le Guy Bellemans 2.0 s’appelle Charles-Eric Clesse. Auditeur du travail pour le Hainaut. Il a juré de mettre de l’ordre dans son arrondissement. Dans la foulée de l’interview de Salvatore Curaba, il nous explique que ses  » confrères des autres provinces n’ont pas nécessairement les mêmes priorités.  » Traduction : ailleurs, on continue à fermer les yeux. Sur un ton ironique, il nous lâche aussi :  » J’ai été surpris d’entendre que tous les clubs flamands s’étaient mis en règle.  » C’est archi-connu : le football amateur au nord du pays est, peut-être plus encore qu’en Wallonie, gangrené par l’argent noir.

Soit on laisse tricher tout le monde, comme dans le cyclisme d’autrefois. Soit on contrôle, tout le monde.

Charles-Eric Clesse tend une perche à l’Union Belge. Il estime que, si la Justice ne fait rien, c’est à la fédé d’agir. Mais  » ils continuent à fermer les yeux, à faire les faux jetons. Ils accordent la licence à des clubs amateurs qui déclarent leurs joueurs comme bénévoles alors que c’est illégal. Ils pourraient être considérés comme complices d’une infraction et de concurrence déloyale.  » L’homme a laissé sa langue de bois au vestiaire. En radio, il a parlé récemment de  » méthodes maladroites, voire mafieuses « , de la fédération. Salvatore Curaba a plus d’une fois évoqué la problématique du black avec des gens de la fédé, il a compris que ce n’était pas une priorité là-bas.

Une machine s’est mise en marche. Dans une seule province. Ce serait malheureux qu’elle ne fasse pas des petits ailleurs. On a besoin d’une concurrence saine. Soit on laisse tricher tout le monde, comme dans le cyclisme d’autrefois, et les plus forts finiront par émerger. Soit on contrôle tout le monde. Là aussi, les meilleurs gagneront à la fin. C’est la meilleure solution. Pour que ce foot amateur redevienne un rien sérieux.

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