Olivier El Khoury

Quand vient le week-end, au parc Duden

Olivier El Khoury Ecrivain, supporter et fidèle milieu de terrain en P4.

Un pote à moi prend son abonnement à Anderlecht juste pour peaufiner son image de supporter. Il n’y met jamais les pieds, mais ça lui permet de me coller l’étiquette de faux supporter, moi qui n’aime pas le stade en général. Pour cette espèce de con, ne pas aller au stade constitue un manquement fondamental au kit du supporter. Je connais des furieux qui vont au stade, des furieux qui n’y vont pas. Je connais aussi des mecs qui vont au stade et qui ne sauraient pas citer leur propre onze de base.

Le seul résultat du jour était une victoire: celle d’être l’Union.

La foule et moi, ça fait deux. Franchement, c’est juste ça. Je trouve ça fatigant, tous ces rites à assimiler, à intérioriser. Je trouve ça magnifique de l’extérieur, mais bien peu pour moi. Pris dans le tourbillon, je deviens navrant et abruti, et passé un certain âge, j’ai appris à éviter les situations où je me renvoie cette image.

Dimanche passé, c’était l’anniversaire de ma copine. La veille encore, je n’avais pas de cadeau à lui offrir. Mon frère m’a dit qu’il avait deux places pour le match de l’Union et sans réfléchir, j’ai dit « Je prends ». Flo n’aime pas le foot, ils annonçaient de la drache, on allait devoir se lever tôt. Mais à ma grande surprise, elle a trouvé l’idée géniale. Son sourire a formé un U sur son visage. Un U comme Union.

On s’est traînés sous la flotte, on a bu des coups sur un estomac à jeun. Il s’est mis à pleuvoir, mais ça n’a pas altéré le goût de la bière ni l’humeur des supporters qui retrouvaient la D1 après un demi-siècle. Il faisait frais, mais il faisait chaud dans les coeurs, dans ces petites rues autour du stade encaqué au milieu des immeubles, des commerces et des cafés, comme si tout ça soutenait les murs de l’enceinte et inversement.

Le sourire de Flo s’est étendu quand je lui ai passé une écharpe jaune et bleue autour du cou. Il ne s’est pas relâché quand la pluie est devenue drache. Elle regardait les jeunes bruxellois donner du poing, elle écoutait les brusseleers et les brusselaars jurer en patois. J’étais jaloux des chutes de lumière dans ses rétines, je lui ai rappelé que c’est de moi qu’elle était amoureuse, elle a ri en me laissant comprendre qu’elle ne m’aimerait pas moins en aimant l’Union juste un peu, juste une après-midi.

Dans la tribune, nos voisins ont charrié en choeur « Mignolet, tu nous emmerdes! », « Tu nous fais chier, Mignolet ». Et quand un mec a surenchéri en criant « Mignolet, enculé! », les gars se sont retournés vers lui en disant « Hé molo, fieu ». Alors je me suis dit que moi aussi, je pourrais m’en amouracher, de ce club.

Vers la fin du match, Flo connaissait des morceaux de chant, elle s’est mise à les fredonner comme si c’étaient des poèmes, un peu gênée, se disant qu’elle n’y avait sans doute pas encore droit. Bruges a réussi à marquer, mais pas à couper les jambes des supporters ni leurs cordes vocales. Ni, après le match, à entamer leur faculté à lever le coude. On a croisé quelques copains à nous, sortis des tribunes, tout sourire, car le seul résultat du jour était une victoire: celle d’être l’Union. C’est ce que Polak a essayé de me formuler, en me donnant des tapes dans le dos qui m’empêchaient de viser l’urinoir. Il m’a balancé une chiée de formulations maladroites, style « Je suis l’Union » ou « L’Union, c’est moi ». Il était simplement fier d’être Saint-Gillois.

Le ciel s’est éclairci, la bière coulait à flots, les trottoirs se sont époumonés, les flics se sont presque joints à la fête. Un joueur de l’Union est sorti de l’enceinte à pied, parmi la foule, avec son repas du soir dans un doggybag en alu. Pareil pour Vincent Mannaert, mi-serein mi-stupéfait de pouvoir se promener au calme dans une foule de supporters adverses. Flo et moi, on s’est éloignés, on a laissé les chants devenir des échos, Flo m’a pris la main et m’a demandé « Alors, on revient quand? »

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