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Portrait tactique: Philippe Montanier, bâtisseur de forteresses

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Description détaillée du football du nouvel entraîneur d’un Standard qui semble vouloir regarder vers l’arrière.

C’est comme si Liège s’était finalement fait une raison. Amoureuses d’un football incandescent et vertical, les tribunes de Sclessin jugent souvent d’un oeil négatif les entraîneurs prudents. L’ivresse des joies passées aurait-elle relégué la réalité au second plan? Un passage par les livres d’histoire du siècle présent rappelle pourtant qu’en 2008 et en 2009, le Standard a été sacré avec la meilleure défense du championnat, alors que la meilleure attaque de l’élite n’était jamais rouche. 19 buts encaissés sous Michel Preud’homme, 26 sous Laszlo Bölöni, et plus tard encore, 17 sous Guy Luzon au bout d’une phase classique dominée sans partage en 2013-2014. Les meilleures pages de l’histoire récente des Liégeois racontent des récits de forteresse.

À part le Barça, personne n’a de projet de jeu.

Parfois, le jeune Philippe Montanier a eu les mots d’un chevalier hardi. Des odes au ballon et au jeu à la catalane, qu’il aimait partager avec son vestiaire quand son Valenciennes était surnommé « le Barça du nord » par une presse indéniablement excessive. Une fois à la tête de Rennes, cinq ans après ses aventures nordiques, le coach a remis les choses au point dans les pages de France Football: « Parler de projet de jeu, je trouve ça pompeux. À part le Barça, personne n’a de projet de jeu. On essaie de donner des lignes directrices aux joueurs, c’est tout. »

Les vrais compliments, Montanier les puise chez ceux qui disent que ses équipes sont capables de tout faire. Même si, les années passant, les noyaux pilotés par le Normand ont surtout montré qu’ils savaient bien défendre.

33% DE CLEAN-SHEETS

Au bout des 415 matches de championnat dirigés par Montanier depuis l’été 2007, de la Ligue 1 à la Ligue 2 en passant par l’élite espagnole et l’antichambre anglaise, ses hommes ont rendu 137 clean-sheets. Un match sur trois bouclé sans encaisser. Des chiffres qui ont grandi avec l’âge, puisque les 64 matches de sa dernière pige lensoise ont été conclus avec le zéro derrière à 32 reprises. Du 50%.

66% des matches de championnat dirigés par Philippe Montanier depuis 2007 se sont conclus avec moins de deux buts encaissés par son équipe
66% des matches de championnat dirigés par Philippe Montanier depuis 2007 se sont conclus avec moins de deux buts encaissés par son équipe© SFM

Le profil séduit forcément un Standard qui sait que sa puissance de feu offensive sera difficilement plus étendue la saison prochaine. Plus marquer devient difficile, plus la qualité défensive devient importante. Ces deux dernières saisons, le Lens de Montanier a concédé moins d’un expected goal par match en moyenne. 0,83 la première année, 0,98 la seconde. L’adversaire se heurte souvent à une organisation bien rôdée, et ses opportunités sont rares. Entre 2 et 3 tirs cadrés par match. Cette saison, les Sang et Or n’ont encaissé qu’à sept reprises sur une attaque placée de l’adversaire. En Ligue 2, personne ne fait mieux.

Défensif veut-il dire soporifique? Les chiffres lensois disent le contraire. Deux saisons durant, les pensionnaires de Bollaert ont été les leaders de Ligue 2 en termes de PPDA et de challenge intensity, deux mesures précieuses calculer pour l’intensité défensive.

Les chiffres défensifs du Lens de Montanier rappellent ceux du Charleroi de Belhocine.

La première (PPDA) calcule le nombre moyen de passes laissées à l’adversaire lors de ses possessions. Plus elle est faible, mieux c’est. Et avec ses 8,09, Lens domine les débats. En Belgique, championnat où le PPDA moyen est pourtant moins élevé (et donc meilleur), seul l’intouchable leader brugeois fait mieux. Même chose pour le challenge intensity, qui mesure le nombre de duels, tacles et interceptions par minute de possession adverse. Seuls les Blauw en Zwart font mieux que le 6,8 lensois, qui précède même de peu le très intense Charleroi de Karim Belhocine, au style défensif plutôt semblable, dans lequel les duels sont nombreux.

S’ADAPTER POUR ATTAQUER

« Quand on joue une équipe largement supérieure, il faut être capable de subir et de se projeter vite vers l’avant pour contrer », explique dans les colonnes de Ouest-France en 2015 celui qui débarque alors à Rennes avec l’étiquette de coach primé par ses pairs en Espagne, au bout d’une saison à 70 buts à la tête de la Real Sociedad, avec une moyenne d’1,84 but par match qu’il n’atteindra plus jamais par la suite. Capable d’accrocher le Barça de Pep Guardiola ou le PSG de Laurent Blanc, Montanier sait jouer les caméléons. « Le foot, c’est un rapport de forces et il n’est pas toujours en ta faveur. Ce qui est plaisant, c’est de s’adapter à toutes les situations », précise le Normand à France Football.

Moyenne de buts marqués et encaissés par match de championnat par les équipes de Philippe Montanier depuis l'été 2007
Moyenne de buts marqués et encaissés par match de championnat par les équipes de Philippe Montanier depuis l’été 2007© SFM

Avec le ballon, difficile de discerner les constantes d’un costume qui semble susceptible de changer à chaque nouveau rendez-vous. De son Valenciennes, on dit qu’il sait tout faire, même si les comparaisons catalanes supportent mal des chiffres qui n’affichent jamais plus de 400 passes par match et flirtent au mieux avec les 50% de possession au bout de la saison. En Espagne, il passe d’une saison insipide à des performances hors normes dans les combinaisons offensives rapides, jamais vues ailleurs dans son parcours mais inspirées par la présence d’Antoine Griezmann et Carlos Vela dans son secteur offensif. À son Rennes sans saveur, capable de faire 440 passes par match en ne cadrant que trois tirs, succède un Nottingham incontrôlable, brillant offensivement (sixième attaque de Championship) mais désastreux derrière (avant-dernière défense).

1-1 et 0-0 sont les deux scores les plus fréquents de sa carrière de coach depuis 2007.

Quand Lens lui offre les clés d’une lutte pour le haut de tableau, la possession est surtout défensive. Si les Nordistes affichent l’une des meilleures moyennes de Ligue 2 avec le ballon, le rythme est souvent lent pour conserver le résultat (12,5 passes par minute de possession, seules deux équipes font pire), et le style direct quand il faut se porter à l’offensive (15% des passes adressées vers le dernier tiers, seulement 79,8% de passes réussies). La saison est bouclée avec quinze buts marquées sur transition rapide, soit 31% des réalisations lensoises. Le ballon marche pour défendre, et sprinte pour marquer.

RECULER POUR NE PAS CHUTER?

Cette saison, la possession s’installe mais l’efficacité finit par s’éloigner. C’est une étonnante constante dans la carrière de Montanier: ses cinq meilleurs classements en termes de buts marqués ont été suivis d’un changement de poste ou d’un licenciement. Comme si ses équipes lui ressemblaient plus quand le marquoir reste aussi calme que lui sur la touche. 29% des 415 matches de championnat scrutés depuis 2007 se sont conclus avec moins de deux buts marqués (1-0, 0-1 ou 0-0), et le score le plus fréquent de sa carrière est un match nul 1-1, survenu à 52 reprises.

63% des matches dirigés par Philippe Montanier depuis l'été 2007 en championnat se sont conclus avec moins de deux buts marqués
63% des matches dirigés par Philippe Montanier depuis l’été 2007 en championnat se sont conclus avec moins de deux buts marqués© SFM

Sclessin devra sans doute s’y faire. La saison dernière, les hommes du duo Preud’homme – Ferrera offraient aux spectateurs une moyenne de 9,68 tirs cadrés par rencontre (5,09 pour le Standard, 4,59 pour leurs adversaires). Dans le même temps, les matches des Lensois de Montanier limitaient les frappes cadrées à 6,46 (4,18 – 2,28). Avec une moyenne d’1,29 but marqué par match dans sa carrière de coach depuis 2007, le Français est loin des 1,88 de Preud’homme, qui a eu l’avantage de toujours travailler avec des noyaux de qualité pour jouer le haut du tableau. Sera-ce encore le cas à Sclessin la saison prochaine?

Moins de spectacle et moins de risques. Pour plus de points? Depuis le coup d’envoi de l’ère play-offs, figurer parmi les trois meilleures défenses du championnat offre 83% de chances de finir la phase classique dans le top 4. De quoi envisager l’opportunité de reculer sur le terrain sans le faire au classement?

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