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Mercato : les dessous des transferts

Thomas Bricmont

Indispensable pour les clubs en difficulté, le marché hivernal est pourtant souvent le lot de mauvaises affaires. Retour sur les coups du mercato, ses nombreux pièges et ses nouveaux acteurs.

« Je suis honnête, si je vais en Chine, c’est fini pour moi l’équipe nationale. La première chose que je fais, c’est appeler le sélectionneur pour lui dire que j’arrête.  » C’était il y a un peu plus d’un an. Installé dans les canapés XXL de sa villa de la banlieue de Manchester, Marouane Fellaini faisait le point sur dix saisons de Premier League et évoquait un avenir qui semblait tracé. Mais avant de tirer un trait avec le haut niveau, il lui restait un objectif : la Coupe du monde. C’est d’ailleurs durant la campagne de Russie que Fella avait annoncé avoir prolongé son contrat chez les Red Devils.

Devenu agent, Herman Van Holsbeeck avait glissé le nom Halilovic à Emilio Ferrera.

Un choix qui pouvait sembler surprenant car l’homme commençait à être lassé par son quotidien mancunien alors que l’intérêt chinois devenait de plus en plus concret. Une offre de 33 millions d’euros (hors salaire) à se partager entre le joueur et les agents était même arrivée sur la table. Le licenciement de son mentor, José Mourinho, remplacé par Ole-Gunnar Solskjaer, allait changer la donne et accélérer les choses.

Jeudi matin, en compagnie de son agent Karim Mejjati ( voir cadre footgate, ndlr) et de son frère, Mansour, Marouane Fellaini s’est envolé à la découverte de la Chinese Super League où il s’est engagé avec le club de Shandong Luneng pour une durée de trois ans, avec à la clef un juteux contrat (près de 15 millions d’euros par saison) qui fait de lui le joueur belge le mieux payé de l’histoire.

Grand voyageur devant l'Eternel, Michy Batshuayi a abouti à Crystal Palace.
Grand voyageur devant l’Eternel, Michy Batshuayi a abouti à Crystal Palace.© BELGAIMAGE

Fellaini-Dembélé : une page qui se tourne

Si l’annonce n’est pas officiellement tombée, Fellaini devrait confirmer prochainement la fin de son aventure en équipe nationale. Tout comme Mousa Dembélé, dont la trajectoire est similaire, puisque deux semaines plus tôt, le désormais ex-milieu de terrain de Tottenham s’est lié pour trois saisons avec le club chinois de Guangzhou R&F. L’Anversois avait pourtant l’opportunité de poursuivre l’aventure dans un grand club européen puisqu’en fin de saison dernière, l’Inter Milan lui a longtemps fait les yeux doux.

Mais Dembélé, éreinté par la Premier League, avait depuis un petit temps confié à ses conseillers son désir de rejoindre la Chine. Yannick Carrasco aurait, lui, aimé faire le chemin inverse. Son agent, Christophe Henrotay, a fait des pieds et des mains pour le ramener sur le Vieux Continent où Arsenal et le Milan AC semblaient prêts à l’accueillir si l’on en croit les témoignages de son entourage.

Après avoir paraphé un contrat progressif qui lui garantit neuf millions annuels lors des trois dernières saisons de son bail de six ans au Dalian Yifang, Carrasco a loupé une nouvelle opportunité de rejoindre l’élite du foot international après avoir été proche d’un transfert au Bayern Munich l’hiver dernier.

De son côté, Youri Tielemans a clôturé (pour au minimum quelques mois) son aventure infructueuse à Monaco, en signant en prêt pour Leicester. Le retour aux affaires de Leonardo Jardim – qui ne s’était pas privé l’an dernier de critiquer la qualité de l’ancien Anderlechtois qu’il juge surcoté – l’obligeait à trouver un autre port d’attache.

Michy Batshuayi était dans une position assez similaire puisque sa relation avec le coach de Valence, Marcelino, était devenue intenable. Crystal Palace qui, au même titre que West Ham, souhaitait déjà l’attirer lors de sa dernière saison à Marseille (2015-2016), est revenu une énième fois à la charge et a officialisé le prêt de Batsman dans les dernières minutes de la période des transferts.

Mogi et les jeunes Rouches

Chez nous, le mercato fut plutôt calme. Le leader de la compétition, le Racing Genk a su garder ses meilleurs éléments à bord, malgré l’intérêt prononcé de Al-Ahli pou Alejandro Pozuelo, qui aurait pu palper 3 millions d’euros par an. Chez le champion en titre, pas de chamboulement non plus, malgré l’insistance de Fulham pour Benoît Poulain dans les dernières heures du mercato.

Le défenseur français, qui arrive en fin de contrat, est passé à côté de la montre en or puisqu’on lui offrait, outre-Manche, un salaire de 2 millions d’euros annuels. Malgré l’insistance de son agent, Mogi Bayat, le duo Verhaeghe-Mannaert n’était pas prêt à la moindre concession au vu de la blessure de Matej Mitrovic (absent pour encore un mois minimum).

Si la presse a longuement évoqué le retour aux affaires de Mogi Bayat, en tant qu’intermédiaire de Nantes lors du retour de prêt de Kara Mbodj, l’aîné de la fratrie n’a pas chômé durant ce mercato, bien au contraire. L’homme semble plus déterminé que jamais à retrouver son rang, même si une discrétion relative est aujourd’hui de mise.

L’agent de Michel Preud’homme a transféré cet hiver le jeune Nicolas Raskin de Gand au Standard. Un retour au bercail pour Raskin et une transaction rapidement conclue entre deux clubs où Bayat garde des fidèles. Le jeune milieu de terrain (17 ans) est une jolie solution d’avenir car cet international U18 a indéniablement du talent et l’a déjà montré en quelques jours à l’entraînement avec la bande à MPH.

Il faudra toutefois contenir ses ardeurs puisque l’ado est déjà passé, depuis son départ de l’Académie en 2015, par Anderlecht et Gand. Bayat a également mis la main sur plusieurs jeunes talents de l’Académie dont on ne serait pas surpris qu’ils reçoivent rapidement un contrat pro. Insatiable, il a également tenté de conduire la destinée de plusieurs cadres, dont Paul-José Mpoku, pour qui le Standard a refusé une offre de 6 millions d’euros de New England Revolution (MLS). Sans succès jusqu’ici.

Luyindama-Edmilson-Halilovic

La grosse annonce du mercato du côté de Sclessin, c’est évidemment le départ de Christian Luyindama pour Galatasaray qui fut rendu officiel le 31 janvier. Krasnodar était également entré dans la danse avec une première offre à 5,5 millions, puis une seconde dans les dernières heures du mercato plus importante encore, mais c’est le club stambouliote qui s’est montré le plus généreux puisque le Gala devrait dépenser près de 10 millions d’euros pour ce prêt déguisé.

Une belle affaire financière pour le club principautaire, moins sportivement, même si son successeur, Bope Bokadi s’est montré à son avantage (surtout en seconde période), lors du Clasico de dimanche dernier. Élu meilleur joueur conglais de 2018, Luyindama ne masquait pas ses envies de départ depuis plusieurs mois. Avec un salaire annuel d’environ 500.000 euros/brut au Standard, Boss fait un fameux bon financier en avant puisqu’il devrait toucher 1,2 million d’euros/net au Gala. Le départ de Uche Agbo en prêt est moins surprenant puisque le duo MPH-Ferrera ne comptait visiblement plus sur les services du Nigérian.

Au rayon arrivées, les Rouches enregistrent la venue détonante d’Alen Halilovic, passé par le Barça, Gijon, Hambourg, Las Palmas, et le Milan AC, et longtemps considéré comme l’une des futures stars du foot européen. À 22 ans, le milieu de poche croate, très peu utilisé par le Milan, va tenter de se relancer en bord de Meuse après un début de carrière en dents de scie. Sa venue est directement liée au prêt avorté de Junior Edmilson cet hiver.

Et pourtant, la direction du Standard a longtemps cru dans le retour du Belgo-Brésilien, dont le club qatari d’Al-Duhail SC, aurait aimé se séparer cet hiver. Autant dire que les premiers mois n’ont pas été concluants. Devant l’impossibilité du retour de l’enfant de Sclessin, l’un des intermédiaires du dossier a fait marcher son réseau en appelant Gennaro Gattuso, guettant une opportunité de rechange.

La direction du Standard a fait le reste, d’autant que le joueur s’est directement montré intéressé par un passage par la Belgique après avoir pris ses informations auprès de Duje Cop. Preuve supplémentaire, s’il en est, du statut retrouvé du club liégeois qui évite par ailleurs tout risque financier puisque le prêt est évalué à moins de 600.00 euros sur un an et demi, avec une option d’achat fixée à deux millions.

Van Holsbeeck-Ramadani

Plus étonnante par contre, l’arrivée d’Herman Van Holsbeeck dans le dossier Halilovic quelques jours plus tôt.  » J’ai passé un coup de fil à Emilio (Ferrera) en lui proposant le joueur. Mais je ne suis pas celui qui a fait le deal « , explique l’ex-directeur général d’Anderlecht au téléphone. Désormais agent sur la Belgique et les Pays-Bas pour le compte de Fali Ramadani ( sorte de  » super agent  » à qui l’on doit la reprise de Mouscron avec Pini Zahavi en 2016, et qui amené Maurizio Sarri à Chelsea l’été passé et Gonzalo Higuain cet hiver), Herman Van Holsbeeck avait noué des premiers contacts avec le Macédonien d’origine albanaise lors du double passage de Chancel Mbemba et Aleksandar Mitrovic d’Anderlecht à Newcastle lors de l’été 2015.

Christian Luyindama a obtenu un transfert lucratif à Galatasaray.
Christian Luyindama a obtenu un transfert lucratif à Galatasaray.© BELGAIMAGE

Après être intervenu dans le prêt de Marko Grujic (Liverpool au Hertha Berlin en août), Van Holsbeeck, médiatiquement en retrait depuis son licenciement du RSCA, tournait également autour du jeune William Balikwisha du Standard et avait tenté de transférer le jeune talent anderlecthois, Jérémy Doku vers Liverpool. Cet hiver, on a retrouvé dans les coulisses du club principautaire tous les membres de la délégation composée de Herman Van Holsbeeck-Mogi Bayat-Emilio Ferrera et Christophe Cheniaux (agent de Luyindama et bras droit de Christophe Henrotay) qui s’étaient rendus ensemble le 23 mars dernier, à Sclessin, pour assister à la rencontre amicale entre le Japon et le Mali.

Verschueren sous pression

Du côté du rival anderlechtois, l’importance d’un mercato réussi était bien plus cruciale au vu de la situation délicate dans laquelle le club se trouve. Il reste désormais six rencontres aux Bruxellois pour éviter une désillusion historique. Les arrivées cet hiver de Kara Mbodj, Peter Zulj, et de Yannick Bolasie seront-elles suffisantes pour sortir la tête hors de l’eau ? Pour le nouveau patron sportif des Mauves, ce premier mercato fut des plus stressants d’autant que la période est peu propice aux bonnes affaires.

Que ce soit pour Zulj ou pour Bolasie, les agents se sont partagés une commission de dix pour cent.  » Michael Verschueren

Verschueren fils a pu se rendre compte aussi du manque d’attraction d’un club à la recherche de son glorieux passé. Notamment dans le cadre du transfert de Facundo Ferreyra, prêté finalement par Benfica (où il touche un salaire de 2,2 millions d’euros net) à l’Espanyol Barcelone.  » Ce n’est pas une surprise, on est ce que l’on est « , enchaîne Michael Verschueren.  » Et pourtant, notre compétition est d’un bon niveau mais sa perception est mauvaise auprès des joueurs évoluant dans de grands championnats.  »

Avant d’expliquer le mode de fonctionnement :  » Cet hiver, et même si ce ne fut pas simple, on a essayé de bosser au maximum en équipe. Chaque joueur qui nous était proposé par un agent est redirigé vers la cellule scouting, tandis que Frank Arnesen a comme atout un énorme réseau et beaucoup expérience. La méthodologie est très différente du passé où le directeur sportif décidait de tout et tout seul. Aujourd’hui, alors que notre mercato n’est pas encore clôturé puisque des marchés sont encore ouverts (États-Unis, Chine, etc), on est déjà tourné vers le prochain mercato et nos futurs renforts.  »

Yannick Bolasie fait la connaissance de Mister Michel, père de Michael Verschueren.
Yannick Bolasie fait la connaissance de Mister Michel, père de Michael Verschueren.© BELGAIMAGE

Le coup de poker Bolasie

La direction anderlechtoise espère ne plus connaître un mercato aussi compliqué même si l’on dit avoir tiré un trait sur les vieilles techniques du passé.  » J’ai tout vécu en un mois « , reconnaît Verschueren  » Mais je suis heureux d’avoir pu attirer ces joueurs, tout en respectant les règles que nous nous sommes fixées. Que ce soit pour Zulj ou pour Bolasie, les agents se sont partagés une commission de dix pour cent. Une barrière que nous ne voulons pas dépasser.  »

L’arrivée de Yannick Bolasie a évidemment fait grand bruit. Un transfert qui aurait pu tout aussi bien se transformer en énorme fiasco. Petit retour en arrière : mardi dernier, après le refus définitif de Facundo Ferreyra, la direction bruxelloise s’est tournée vers l’étonnante option  » Bolasie « , rendue possible grâce aux bons conseils de Romelu Lukaku, voisin et surtout ami de l’international congolais.

Après avoir loupé un premier vol durant l’après-midi du 31 janvier, la direction anderlechtoise a envoyé un jet privé au joueur qui a finalement posé un pied sur le tarmac de l’aéroport d’Abelag vers 21 h.  » Tout était rentré dans l’ordre, Bolasie devait être le gros transfert de ce nouvel Anderlecht « , raconte l’agent Gunter Thiebaut qui, avec l’aide de son partenaire anglais David Baldwin (agent notamment d’Aaron Ramsey), a permis cette transaction.

 » Mais dans les dernières minutes, on a eu un souci de TMS (Transfer Matching System-monitor de la FIFA pour les transferts). À 43 secondes du terme, on a tous été délivrés. Le stress qui régnait dans la pièce était intenable. Heureusement que le joueur était dans une autre pièce et n’a pas assisté à cela « , sourit aujourd’hui Gunter Thiebaut. La pièce est tombée du bon côté cette fois. Reste à voir désormais si la nouvelle direction mauve n’a pas attiré un simili de Marko Marin ou de Demy de Zeeuw, et a visé juste cette fois.

Alen Halilovic : un transfert de marque pour les Rouches.
Alen Halilovic : un transfert de marque pour les Rouches.© BELGAIMAGE

Adrien Trebel au côté de Mogi Bayat dans la tribune d'Anderlecht.
Adrien Trebel au côté de Mogi Bayat dans la tribune d’Anderlecht.© BELGAIMAGE

Les conséquences du footgate

Le foot belge a connu un dernier mercato hivernal assez calme. Que ce soit en bas du classement comme en haut, les mouvements et transactions furent limités. L’affaire dite du footgate, qui a touché tout le foot belge en octobre dernier et qui a vu plusieurs figures importantes du milieu se retrouver derrière les verrous, n’y est certainement pas étrangère.

Si Mogi Bayat a repris le business, son influence fut plutôt réduite même si on le retrouva dans les deals de Kara ou Morioka. Rien de comparable avec l’hiver dernier où son nom, rien que sur Anderlecht, fut associé aux dossiers Markovic, Morioka (commission de 125.000 euros), Saief (335.000 euros de commission après la levée d’option), et Hanni.

Si Mogi Bayat est dans l’interdiction de prendre contact directement avec ses associés ou d’autres agents FIFA, il a reçu l’autorisation du juge d’instruction de communiquer avec son partenaire Karim Mejjati, l’agent de Marouane Fellaini. En bas de tableau, c’est DejanVeljkovic qui avait pour habitude de faire la pluie et le beau temps, notamment à Malines, Waasland-Beveren ou Lokeren.

Aujourd’hui protégé 24 h sur 24 par quatre personnes, l’agent serbe, qui a obtenu le statut de repenti, a tout balancé durant le moins de décembre lors de 100 heures d’audition. Si le soufflet semble retombé auprès du grand public, le foot belge est dans l’attente d’une nouvelle secousse.

 » Quelque chose devrait tomber très bientôt, ça se sent « , nous a confié la semaine passée un proche du dossier. Par contre, quelle sera la nature des révélations et qui seront les nouvelles personnes touchées ? Difficile d’en savoir plus aujourd’hui.

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