© Christophe Ketels

Mehdi Bayat, l’homme qui monte dans le football belge

Thomas Bricmont

A 37 ans, Mehdi Bayat est l’homme qui monte dans le football belge. A la fois membre d’un triumvirat qui allait décider du choix de Roberto Martínez à la tête des Diables, il est surtout boss d’un Sporting Charleroi qu’il souhaite installer dans la durée près des sommets de l’élite. Nous l’avons suivi pas à pas et au grand galop lors d’un Charleroi-Gand aux couleurs très amicales.

17h10 Charleroi-Gand débute dans moins d’une heure. Mehdi Bayat s’arrête au volant de sa Mercedes à l’entrée du parking du stade. Le temps d’une fouille des services de police (menace terroriste oblige) qui l’amène à sortir de sa voiture et d’ouvrir son coffre avant de parquer son bolide sous la tribune principale. L’homme est quelque peu à la bourre, lui qui a l’habitude d’être présent deux heures avant une rencontre à domicile. Mais en ce samedi 13 août, il revient tout juste d’un court périple dans le sud de la France où séjournaient sa femme et ses enfants. Le temps presse donc. Monté sur mocassins, Mehdi file vers le vestiaire du coach et des joueurs.

« Foot Mag est venu voir le meilleur entraîneur de Belgique », lance-t-il à l’adresse de Felice Mazzu, assis dans son bureau aux côtés du fidèle Pierre-Yves Hendrickx, qui répond avec malice. « Vous vous trompez, c’est dans le vestiaire d’à côté qu’il se trouve. » S’ensuit un petit mot d’encouragement du boss avant de se tourner vers le vestiaire des joueurs qui s’apprêtent à monter sur le terrain pour l’échauffement.

17h20, Mehdi file à vive allure et grimpe les marches du stade – et fait une halte pour saluer les collaborateurs du Sporting de l’accueil – avant de poursuivre son ascension vers les « business » où les convives sont déjà en nombre. mais le jeune patron zébré n’oublie personne ou presque. L’ancien directeur commercial des Zèbres nous prouve une nouvelle fois qu’il est un habile communicateur.

SALON PRÉSIDENTIEL

17h30, Mehdi entre dans le salon présidentiel situé au bout des business. On y retrouve notamment David Delferière, ancien vice-président de l’Union Belge, alors que les dirigeants de Gand doivent encore arriver. La tournure des débats les amène très vite sur le sujet Roberto Martínez. « Je ne comprends pas ceux qui arrivent à remettre en cause quelqu’un qui a coaché 7 ans en Premier League », balance Mehdi, lui qui fut en charge des négociations, aux côtés de Bart Verhaeghe (président de Bruges et président de la Commission technique de l’UB) et Chris Van Puyvelde (directeur technique de l’UB), pour la sortie de MarcWilmots et le choix du nouveau sélectionneur.

Autant dire qu’entre son nouveau Sporting et son nouveau rôle à la Fédé, Mehdi Bayat n’a pas eu le temps de chômer cet été. « Dès septembre, j’entame des cours de néerlandais. Quand on est en réunion, Bart (Verhaeghe) et Chris (Van Puyvelde) sont obligés de se taper du français à chaque fois. A moi de faire un effort désormais, c’est une marque de respect. »

Mogi Bayat débarque lui aussi dans le salon présidentiel. Charleroi-Gand, c’est un peu « son match » vu ses accointances avec les deux directions, lui l’agent de nombreux joueurs des deux camps à qui l’on doit les récents transferts de Jérémy Perbet et Dieumerci Ndongala de Charleroi vers Gand. Patrick Turcq, ex-directeur sportif de Courtrai et proche de Mogi Bayat, est le premier des dirigeants gantois à entrer dans la pièce. Poignée de main amicale et Turcq s’excuse déja de ne pas pouvoir être présent à l’après-match. Le directeur général gantois, Michel Louwagie arrive quelques minutes plus tard au bras de sa femme ; le président Ivan De Witte, lui, n’est pas du voyage.

Le match approche. Mehdi effectue un dernier tour des « business » non sans une certaine fierté car cette salle de plus de 1000m2 a reçu un joli coup de neuf. « Et vous avez vu nos nouveaux sièges de la tribune d’honneur et vips ? Peu de clubs ont ça en Belgique ! »

Sa route se poursuit et Mehdi continue de serrer les pinces. A la grosse louche, l’administrateur délégué de Charleroi doit avoir salué une bonne centaine de personnes depuis son arrivée au club 3/4 d’heure plus tôt. On dirait presque un politicien en campagne. « C’est important d’être proche des gens. Ce n’est pas parce qu’on veut faire grandir le club qu’il faut le dénaturer et lui faire perdre son côté convivial. »

17h50, voilà que Daniel Van Buyten débarque lui aussi. Quelques mots échangés avec Big Dan et Mehdi file vers la pelouse pour l’entrée des joueurs. « J’étais au courant de la venue de Daniel mais il n’y a pas de raison particulière », assure-t-il. « Faut pas oublier que Daniel reste un carolo. »

TRIBUNE D’HONNEUR

En bord de terrain, on retrouve le président de Charleroi, Fabien Debecq, une personnalité bien moins médiatique. « Mehdi aime ça, il aime briller et il fait ça très bien. »

Mehdi Bayat, l'homme qui monte dans le football belge
© Christophe Ketels

Pour accueillir les joueurs, les supporters déploient un superbe tifo et font cracker les fumigènes. Le jeune Bayat regarde son public avec fierté. « Tout est sous contrôle », assure-t-il. « On avait été prévenu bien à l’avance de leur volonté de mettre sur pied ce tifo. En accord avec la ville et les services de pompiers qui supervisent le tout, on a donné notre autorisation. C’est une manière de responsabiliser nos supporters avec qui nous souhaitons être en contact étroit. De leur côté, ils nous ont assuré de ne plus utiliser de fumigènes en déplacement. »

18h, le match débute. Mehdi Bayat et Fabien Debecq s’installent côte à côte dans leurs tout nouveaux sièges zébrés (« J’espère que pour le prix que ça coûte, ça a de la gueule ! », sourit-il). Mogi Bayat est, lui, posté deux rangs plus haut avec sa fille et son fils.

Les deux boss du Sporting vivent le match à fond et s’enflamment à chaque occasion ou sur chaque perte de balle : « Damien (Marcq, ndlr), c’est quoi cette passe que tu lui donnes ! » « Clem, putain ( ! ) joue la plus vite ». « Ce serait fou de ne pas être passionné, même quand t’es à la tête d’un club », lance Mehdi qui nous parle même tactique et des difficultés de jouer sur les côtés en première mi-temps.

A la pause, les membres de la tribune d’honneur se confinent dans la petite salle « Carlo Melis »(fondateur de Carlo et fils). Patrick Turcq évoque l’ascension du dirigeant carolo : « C’est le plus beau hein (il rit). Je le connais moins bien que Mogi mais je l’apprécie comme homme. Et aussi, je note qu’il apporte un vent de fraîcheur à tout le football belge. C’est quelqu’un qui a des idées et qui les exécute », pointe le dirigeant gantois.

En seconde période, le match s’anime. Gand ouvre le score mais Charleroi reste dangereux et est récompensé grâce à une belle reprise de la tête de David Pollet. « Je suis content pour lui, il le mérite tellement », envoie Bayat avant d’enchaîner sur la belle prestation de Mamadou Fall (revenu d’un prêt de 3 ans au White Star Bruxelles). « Il n’a que trois matches en D1 et Felice le bride encore, ce qui est normal. Mais vous allez voir, il sera encore plus fort que Ndongala. »

Cette rencontre entre clubs « amis » se termine sur un partage. Logique. Tout le monde est content ou presque. Dans le salon présidentiel, les directions des deux clubs s’attablent et discutent le coup autour d’un plat. Une heure plus tard, les visiteurs quittent le Stade du Pays de Charleroi.

Mehdi se pose et nous parle alors de ses nouvelles fonctions et évoque son ascension (voir cadre). Pendant une demi-heure, l’esprit serein. Avant de repartir pour un tour. Et saluer tous ceux qui « font partie de la famille zébrée. »

« ÇA S’APPREND SUR LE TERRAIN, PAS À L’ÉCOLE »

Vous n’avez apparemment pas perdu vos habitudes de directeur commercial.

Mehdi Bayat, l'homme qui monte dans le football belge
© Christophe Ketels

MEHDI BAYAT : Je suis un homme de terrain. Pour moi, la communication est très importante.

Quel bilan faites-vous après plus de quatre années à la tête de Charleroi ?

BAYAT : Le plus important pour moi était de faire du Sporting un club viable et il l’est. C’est le club de la première ville wallonne de Belgique et j’essaie d’être un ambassadeur pour cette ville. Le projet que j’ai mis en place à Charleroi, je l’avais imaginé depuis des années et des années. Faut pas oublier que moi, en tant que directeur commercial, j’étais celui qui allais tous les jours trouver des partenaires et des sponsors dans la rue. Tout ce que je mets en place aujourd’hui, je l’ai appris en grandissant. Je me disais déjà : pourquoi cette personne qui est au-dessus de moi n’a pas la clairvoyance pour faire telle et telle chose. Mais ça s’apprend sur le terrain ça, ça ne s’apprend pas à l’école. Finalement, j’ai mis en place le scénario que j’avais imaginé de nombreuses fois. Quand on est descendu en D2, mon oncle avait viré tout le monde, même Pierre-Yves (Hendrickx). J’étais tout seul dans le club tout en ayant dans un coin de ma tête le projet de reprise. Croyez-moi, j’ai passé des périodes assez compliquées. C’est aussi pour ça que les personnes qui travaillent avec moi doivent prendre du plaisir. Et je pense que surtout, dans la nouvelle génération, la dimension plaisir est fondamentale pour arriver à avoir de bons résultats. Et pour ça, tu dois être présent, tu dois communiquer, tu dois mettre tes partenaires en avant. Bart Verhaeghe, par exemple, procède de la même façon, il met en avant les personnes qui l’entourent.

Etes-vous satisfait de la place du Sporting dans la hiérarchie du foot belge ?

BAYAT : Quand j’avais écrit mon plan 3-6-9 (ndlr, plan de reprise avec des objectifs sur trois ans), je me suis fait défoncer à la Tribune notamment mais quel dirigeant a osé écrire noir sur blanc son projet et le distribuer aux partenaires et aux supporters ? J’en connais pas beaucoup.

Et dans 9 ans, où Charleroi se retrouvera-t-il alors ?

BAYAT : Ça deviendra un club important en Belgique, qui sera dans les 5 plus grands budgets de D1. Mais je vais devoir remodeler mon plan car on est tellement en avance qu’il n’a presque plus de sens. Je l’ai écrit pour établir une ligne de conduite et que pour ceux qui travaillent avec moi se disent que le petit jeune, il sait où il va.

Les supporters ne s’impatientent-ils pas en voyant que vous vendez vos meilleurs joueurs à chaque mercato ?

BAYAT : Moi, je ne marche pas à la pression. Je ne vais jamais prendre une décision sous la contrainte populaire. Si tu commences à faire ça, tu n’es plus un dirigeant. Ton rôle, c’est de prendre les décisions les plus rationnelles. Et cet été, je n’étais pas capable de payer un million et verser un salaire de trois millions sur quatre ans pour Jérémy Perbet qui a 31 ans. Évidemment que j’avais l’envie mais quand tu passes devant un garage Bentley, t’as aussi l’envie d’en prendre une de chaque couleur pour tous les jours de la semaine mais c’est pas pour autant que tu vas mettre en péril tout ce que tu as construit pour l’obtenir.

Comment lutter à armes égales avec Ostende qui est dirigé par un mécène ou Genk et Gand qui possèdent un public plus important et des infrastructures plus modernes par exemple ?

BAYAT : Je travaille plus. Je dois être plus malin. Je dois être capable d’aller chercher des joueurs qui sont encore inconnus, comme ce fut le cas pour Dieumerci Ndongala, Sébastien Dewaest, ou Mamadou Fall. Pourquoi Genk n’a-t-il pas été chercher Ndongala ou Dewaest à ce moment-là au lieu de les payer très chers ? Moi je dois travailler différemment : je dois être plus malin, avoir plus de flair. Mais ça prend donc du temps.

Votre ambition vous amène aussi à apprendre le néerlandais…

BAYAT : Ce qui est important pour moi, c’est de défendre les couleurs de mon club et de sa ville et aujourd’hui de la Belgique. Je dois être reconnaissant envers ce pays où je vis extrêmement bien, où je gagne très bien ma vie. Je suis jeune, j’ai encore plein d’ambitions et je ne sais pas où elles s’arrêteront. Mais ce qui m’importe c’est que les personnes qui sont dans mon sillage profitent de cette flamme que j’ai en moi. Je ne suis pas là pour vendre Mehdi Bayat.

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