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Luka Elsner, surprenant leader de la Pro League: « Mettre sa patte sur une équipe, ça prend deux ans »

Arrivé au sein d’une saison chaotique, leader sans doute éphémère après deux journées de championnat, Luka Elsner a enfin le sourire à Courtrai. Sans doute parce qu’il commence à récolter les premiers fruits de longs mois de travail. Rencontre avec un coach pas comme les autres.

Personne à Courtrai ne vous dira qu’on rêve de titre, malgré ce leadership inattendu après deux journées de championnat. Ici, on prend juste avec plaisir un screenshot du classement actuel, qui met du baume au coeur après une saison difficile. Les débuts de Luka Elsner n’avaient rien de la lune de miel, mais le Franco-Slovène a profité de l’intersaison pour poser sa griffe sur son équipe. Elsner ne connaissait rien de Courtrai avant son arrivée, mais dès son premier jour, il a impressionné tout le monde au stade des Éperons d’or en se montrant capable d’expliquer l’origine du surnom de l’équipe ( les Kerels, ndlr) ou celle du nom du stade. Des questions auxquelles il sera bientôt capable de répondre en néerlandais, grâce aux cours intensifs qu’il a commencé à suivre voici quelques mois.

Si on peut offrir du beau football aux gens, c’est le top, mais la première chose que je veux voir, c’est la mentalité. »

Luka Elsner

Où en êtes-vous avec votre apprentissage du néerlandais?

LUKA ELSNER: Heel goed. Ik kan al een kort, snel interview in het Nederlands geven maar… si je dois aller dans les détails, pour expliquer des choses plus complexes, je le fais encore en français pour le moment. C’est moi qui ai tenu à apprendre la langue. Je veux rester quelques années ici. C’est pour ça que nous avons aussi emménagé à proximité avec ma famille.

Il y a assez peu de néerlandophones dans votre groupe, apprendre la langue n’est donc pas vraiment nécessaire pour parler avec eux.

ELSNER: C’est vrai. Mais Courtrai reste un club flamand, avec une identité flamande. Je ne veux pas seulement la respecter, mais aussi la ressentir. Et puis, c’est aussi un signal envers les joueurs, une preuve que je m’engage totalement, parce que c’est aussi ce que j’exige d’eux. Si un joueur étranger arrive ici et qu’on lui demande de suivre des cours de langue, mais que moi je ne le fais pas, ça ne marche pas. Un entraîneur qui arrive en Allemagne, il parle allemand après trois mois. Pareil en Italie. Je trouve ça éloquent.

Combien de langues parlez-vous?

ELSNER : Six, bientôt sept avec le néerlandais. C’est aussi un investissement pour mon propre développement. Si j’entraîne en Belgique dans la durée, ou si je vais peut-être un jour aux Pays-Bas, c’est intéressant. Sans compter l’enrichissement personnel.

« À Courtrai, on doit tout donner à chaque instant »

En Belgique, Courtrai est un club régional, sans la renommée des grands clubs. Beaucoup de joueurs qui arrivent ici n’ont jamais entendu parler du KVK avant leurs premiers contacts… Qu’est-ce qui vous a attiré ici?

ELSNER : Mon premier souvenir remonte aux play-offs 2, quand j’étais entraîneur de l’Union. J’avais trouvé l’ambiance dans le stade fantastique et le projet mené par Matthias Leterme et Rik Foulon m’a plu. Ce n’est pas parce que j’ai été coach en Ligue 1 que je ne veux plus coacher que des équipes du top. J’aime les défis et j’en ai rencontré un ici: celui d’obtenir de bons résultats avec un budget limité. Je vois aussi plus loin que le football. J’ai déjà visité la ville, été manger avec quelques supporters. Ils avaient pris du temps, après leur journée de travail, pour repeindre les murs des couloirs et des vestiaires. J’ai voulu les remercier avec ce petit repas et j’en ai profité pour les sonder. Je veux connaître leur ressenti, savoir ce que les gens au stade attendent. Chaque club a son âme et il faut y être attentif. Je ne suis pas juste là pour faire mon job, puis retourner dans mon monde à chaque fois que je retourne à la maison.

Qu’est-ce qu’on attend de vous ici?

ELSNER : Qu’on reste humbles. La grinta est un mot important ici, tout comme la passion. À Courtrai, on doit tout donner à chaque instant, rendre la vie dure à tous nos adversaires. Si on peut offrir du beau football aux gens, c’est le top, mais la première chose que je veux voir, c’est la mentalité. Je l’ai dit clairement à mes joueurs: « Si vous donnez tout, les supporters seront derrière vous, même si la victoire n’est pas au bout. » Mais mettre sa patte sur une équipe ne se fait pas en six mois. Ça prend deux ans.

Luka Elsner:
Luka Elsner: « Avec les années, j’ai appris qu’il était important que les choses restent simples et faciles à comprendre. »© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Qu’est-ce qui vous rendra satisfait à la fin de cette saison?

ELSNER : L’ambition minimale est d’assurer le maintien. Au-delà de ça, je serai heureux si on dit que Courtrai est une équipe difficile à jouer, avec une saine agressivité, qui se bat pour chaque ballon et force le respect.

En résumé, une équipe qui joue comme elle l’a montré lors des deux premiers matches.

ELSNER : Oui, mais en étant encore meilleure sur le plan offensif, avec plus de précision technique et une meilleure approche sur certaines phases à la perte du ballon. La base est là, c’était suffisant pour gagner, mais pas encore assez bon pour autant.

« Notre objectif, ce sera toujours d’être là où on ne nous attend pas »

Quelle a été votre première impression en arrivant ici et comment a-t-elle évolué?

ELSNER : En arrivant, je devais à la fois apprendre quelle base était présente en vue de la saison suivante et prendre les points nécessaires pour assurer le maintien. L’équipe ne jouait pas bien, il y avait beaucoup de blessés… Après la saison, on a continué à s’entraîner pendant plusieurs semaines. Pas seulement pour occuper les joueurs, mais pour installer une base physique en vue de cette saison tout en expliquant nos principes: Quand va-t-on presser haut? Quand est-ce qu’on se replie? Aujourd’hui, je sens que nous sommes tous, le staff et les joueurs, sur la même longueur d’ondes au niveau de l’idée de jeu. Nous avons une équipe qui peut s’adapter à l’adversaire, mais qui est aussi capable de changer de visage en cours de match. Notre objectif, ce sera toujours d’être là où on ne nous attend pas.

La solidarité et le travail sont les deux piliers sur lesquels nous devons nous baser pour tirer le maximum de notre potentiel. »

Luka Elsner

Où en êtes-vous aujourd’hui dans cette évolution?

ELSNER : Ces dernières semaines, nous avons surtout travaillé l’aspect collectif. Nous avons désormais un groupe cohérent, avec des joueurs investis et affamés. La solidarité et le travail sont les deux piliers sur lesquels nous devons nous baser pour tirer le maximum de notre potentiel. On ne se base pas sur un ou deux joueurs, mais sur cinq ou six qui peuvent porter l’équipe. Je préfère avoir un collectif fort qu’un groupe qui dépend d’une ou deux individualités et qui est complètement perdu quand l’un de ceux-là est dans un moins bon jour.

Si on prend l’exemple de Teddy Chevalier, quelle a été votre approche pour le ramener à un tel niveau à 34 ans, alors que ça ne semblait plus fonctionner l’an dernier?

ELSNER : Ce n’est facile pour personne de s’intégrer à une équipe qui ne tourne pas, certainement pas pour un attaquant. Teddy est un garçon sensible. Ensemble, on s’est lancé dans une bataille pour corriger ce qui ne fonctionnait pas. Aujourd’hui, il est focalisé sur son travail offensif et est plus proche du but. Il se sent mieux dans son corps et dans sa peau.

Son exemple prouve qu’à n’importe quel âge, les joueurs peuvent encore changer?

ELSNER : Changer quelqu’un est difficile. Le mieux est d’essayer de lui faire faire des choses pour lesquelles il est doué, et de ne pas attendre de lui des choses qu’il ne fait pas bien, parce que ça ne créera que de la frustration. J’ai donc demandé à Teddy d’arrêter de revenir dans notre moitié de terrain pour demander le ballon dans les pieds. « Reste devant et concentre-toi sur tes sprints vers le but. » Ça l’a libéré d’un poids. À son âge, il doit apprendre à penser en « nous » plutôt qu’en « je ». On parle de l’équipe, pas de lui. Il est parvenu à tourner ce bouton et il est beaucoup moins souvent frustré.

Il a aussi confié qu’il travaillait beaucoup plus dur qu’il y a deux ans. Pourtant, un joueur plus âgé a plutôt tendance à lever le pied…

ELSNER : Plus tu prends de l’âge, plus tu dois travailler pour rester en forme. Certains pensent qu’avec l’âge, il faut se ménager plus de plages de repos, moi je crois l’inverse. Un corps qui vieillit perd de la qualité. Si vous voulez rester à un haut niveau après vos trente ans, il faut donc travailler avec plus d’intensité.

Connaître l’homme derrière le joueur, est-ce important pour vous?

ELSNER : Absolument. Parce qu’ils se sentiront mieux dans leur peau s’ils remarquent que je m’intéresse à qui ils sont, et pas seulement à ce qu’ils sont. Mais aussi parce que ça m’intéresse vraiment. Un joueur qui est heureux en dehors du terrain aura plus de facilités à être performant sur le terrain.

« Sur le plan de l’intensité, le championnat belge est le quatrième le plus exigeant au monde »

Êtes-vous surpris par le niveau de la D1 belge?

ELSNER : Non, je savais qu’il s’agissait d’une compétition juste en-dessous des cinq grands championnats en termes de niveau. Ce n’est pas pour rien que la plupart des joueurs qui partent d’ici vers une grande compétition y réussissent. C’est un championnat attrayant, avec une énorme intensité physique et beaucoup de vitesse. Une étude a montré que sur le plan de l’intensité, le championnat belge était le quatrième le plus exigeant au monde. La convergence de nombreuses influences diverses est une énorme richesse pour le football belge, mais ça ne rend pas le travail facile. Il n’y a pas de style de jeu dominant ici, donc on joue rarement trois matches de suite contre des équipes qui jouent de la même manière. À cause de ça, on ne doit pas seulement préparer le match suivant, mais aussi déjà penser à ceux d’après.

Luka Elsner à propos de Teddy Chevalier:
Luka Elsner à propos de Teddy Chevalier: « On parle de l’équipe, pas de lui. Il est parvenu à tourner ce bouton et il est beaucoup moins souvent frustré. »© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Que manque-t-il encore au championnat?

ELSNER : Les clubs belges seraient plus performants sur la scène européenne avec un peu plus de stabilité. Par exemple, Anderlecht doit maintenant se reconstruire sans Nmecha et Sambi Lokonga. Seul Bruges parvient à conserver ses cadres. Les bons joueurs de ce championnat partent très jeunes.

Est-ce difficile de travailler dans un club où le premier mot d’ordre est l’équilibre financier?

ELSNER : Combien de temps Kossounou est-il resté à Bruges? Certains clubs peuvent préparer l’avenir plus sereinement. À Courtrai, on travaille plus dans l’urgence. On ne peut pas planifier la vente d’un talent comme Gueye dans six mois parce que si quelqu’un arrive demain avec une grosse enveloppe, il est vendu après-demain et c’est à moi, en tant que coach, de trouver une solution.

N’est-ce pas difficile de travailler avec des joueurs qui ne connaissaient pas le nom du club avant d’y signer, et qui pensent dès le premier jour de leur arrivée au prochain club dans lequel ils joueront?

ELSNER : Tu peux évidemment avoir des ambitions personnelles, mais tu dois aussi réaliser que pour les accomplir, tu as besoin d’une équipe autour de toi. Le joueur qui comprend qu’il a besoin des autres pour réaliser ses objectifs, il réussira. Celui qui ne pense qu’à son intérêt personnel n’y parviendra pas. C’est pour ça que le team building et la cohésion sont si importants, même si tu es déjà convaincu que dans six mois, tu ne seras plus là. C’est pour ça que je veux que les joueurs s’intègrent complètement ici, y compris dans la vie sociale autour du club.

Les clubs belges seraient plus performants sur la scène européenne avec un peu plus de stabilité. »

Luka Elsner

Et ça fonctionne?

ELSNER : Des ambitions personnelles qui ne sont pas portées par un collectif, ça ne fonctionne pas, en tout cas. Les égoïstes perdent rapidement la confiance des autres. Un bon joueur dans une bonne atmosphère, il marquera vingt buts. Un bon attaquant dans une équipe qui ne tourne pas, ça n’ira pas plus haut que six ou sept.

« Avant, je voulais en faire trop »

Les entraîneurs se sentent souvent seuls. Vous aussi?

ELSNER : C’est pour ça que j’essaie de faire le plus de choses possibles avec mon staff: pour créer cet esprit d’équipe, rire ensemble de choses futiles. Pour un entraîneur, c’est capital d’être bien entouré, pour que le travail ne soit pas une corvée, mais aussi parce qu’au final, tu sais que tout va revenir sur toi. En tant que coach, tu es souvent le seul responsable de tout ce qu’il se passe autour de toi et je trouve que c’est souvent injuste. Ce n’est pas toujours facile à accepter, c’est l’aspect le plus difficile de ce travail, mais si tu n’apprends pas à faire avec, tu ne peux pas y arriver.

En 2021, on demande énormément de choses à un bon entraîneur: il ne doit pas seulement connaître le football, mais aussi être un bon communicant et un psychologue.

ELSNER : Je suis content d’avoir étudié les sciences du sport à Nice pendant quatre ans, pour avoir sous la main tous ces aspects du métier: psychologie, anatomie, pédagogie… Ça me permet de savoir aujourd’hui si le diététicien fait bien son travail, par exemple, et donc ça m’aide à déléguer quand je réalise que c’est le cas.

Quelle est votre principale qualité en tant que coach?

ELSNER : Faire passer facilement et clairement mon message à mes joueurs, aussi bien en termes de tactique que d’éthique de travail. Ma communication est claire. Au début de ma carrière de coach, je voulais en faire trop, je recherchais trop les petits détails. Avec les années, j’ai appris qu’il était important que les choses restent simples et faciles à comprendre. Ici, on a dix ou quinze mots-clés que chacun doit pouvoir connaître et comprendre. Si je dis pocket, box-one ou switch, tout le monde sait de quoi je parle et ce qu’il faut faire.

Qu’est-ce que vous préférez dans ce travail?

ELSNER : Être sur le terrain. Je ne me suis jamais mal senti sur un terrain de football. Même si parfois, c’est encore difficile de voir d’autres gars en train de jouer. J’aurais voulu encore rester joueur, mais ce n’était plus possible. C’est pour ça qu’à mes 31 ans, j’ai arrêté de jouer du jour au lendemain. Mais le football est toujours ma passion. Si je n’étais pas devenu coach, j’aurais continué à taper dans le ballon le week-end avec mes amis.

Retour à l’Union

Dans une dizaine de jours, Luka Elsner retournera à l’Union, là où il a atteint les demi-finales de la Coupe et manqué la montée de justesse il y a trois ans. « Nous n’avons finalement pas atteint le maximum, c’est le seul bémol d’une période fantastique. » Le Franco-Slovène ne connaissait pas l’Union et son glorieux passé avant son arrivée, mais se rappelle avoir atterri dans un club où « à tous les niveaux, et malgré un début difficile, travailler était fantastique et m’a laissé énormément de bons souvenirs. C’était une expérience comme on n’en vit pas beaucoup dans une carrière de coach. Tout a commencé avec un groupe de joueurs fait pour s’entendre. On avait des Belges qui n’avaient jamais connu l’élite, qui n’avaient pas de grandes ambitions, mais qui sont soudain devenus ambitieux parce qu’ils ont senti qu’ils pouvaient faire beaucoup de choses, grâce à l’arrivée de quelques joueurs fantastiques, comme Percy Tau. D’un coup, tu avais un groupe qui avait envie d’atteindre des objectifs collectivement. J’appelle ça la magie du football. Il y a des groupes où ça ne fonctionne pas, même si tu fais quinze jours de team building et quatre courses de karting. Pour ça, le recrutement est très important. Il faut faire en sorte d’attirer le moins possible d’égoïstes qui ne sont concentrés que sur eux-mêmes. »

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