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Luis García: « Je n’aime pas le Barça, mais j’aime son football »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Une formation au Real Madrid, une finale de Coupe de l’UEFA, plusieurs sélections avec la Roja et des matches face aux meilleurs joueurs de la planète. Luis García parcourt son CV, celui d’un joueur qui semble trop grand pour avoir atterri chez nous.

S’il devait écrire la définition de son sport, le capitaine d’Eupen le ferait certainement avec 100 % de possession de balle. Quand Luis García parle de « jouer au football », il pense à des passes courtes, une construction patiente et beaucoup de toque. Les longs ballons, il en parle comme « l’autre jeu », comme si c’était un autre sport. Ces idées, ce sont celles d’un homme qui s’est entraîné avec Zinédine Zidane et a partagé le maillot de la sélection avec Xavi et Andrés Iniesta. Une trajectoire atypique qu’il raconte, avec le style comme inévitable fil conducteur.

Comment on se retrouve à Eupen, après des années en Espagne et un séjour au Mexique ?

LUIS GARCÍA : Grâce à l’ancien entraîneur, Tintin Marquez. Je l’avais eu comme coach à l’Espanyol, et j’avais une très bonne relation avec lui. Il m’a expliqué le projet, raconté ce qu’était Aspire et ce qu’était Eupen. Surtout, je connaissais déjà sa façon de comprendre le football, sa façon de jouer. Il aimait beaucoup avoir le ballon, jouer au football, et cela correspondait bien avec ma philosophie de jeu.

Le style de jeu, c’était vraiment un critère important ?

GARCÍA : Évidemment, je suis un joueur qui correspond à ce style. Dans « l’autre jeu », je souffre plus. J’aime avoir le ballon, que mon équipe ait la balle.

À ton arrivée, tes équipiers t’ont rapidement parlé de ton passé en Espagne ?

GARCÍA : Oui, bien sûr. Parce qu’aujourd’hui, avec internet, tout le monde connaît tout de tout le monde, non ? Nous sommes tous « fichés » par internet, on sait où les autres ont joué, ce qu’ils ont bien ou mal fait… Mais je ne regarde pas les autres de haut parce que j’ai joué une finale de Coupe de l’UEFA ou des matches avec la sélection. Je suis un gars normal, qui est ici parce qu’il veut continuer à apprendre chaque jour. Et j’apprends beaucoup de choses de ces gars.

Tu es quand même conscient d’avoir fait partie d’une équipe qui a marqué l’histoire de l’Espanyol Barcelone ?

GARCÍA : Si on regarde les résultats, c’était sans doute la meilleure période de l’histoire du club, c’est vrai. On a réussi à jouer deux campagnes européennes, à gagner une Copa del Rey, à atteindre la finale de la Coupe de l’UEFA. On a aussi eu trois joueurs de l’Espanyol sélectionnés en même temps avec l’équipe nationale, ce qui n’était jamais arrivé jusque-là.

« L’ESPANYOL, C’EST MON CLUB »

Après cette fameuse finale de la Coupe de l’UEFA, Riera et Zabaleta partent en Angleterre. Toi, tu n’as pas pensé à partir ?

GARCÍA : Raul Tamudo était sur le point de partir à Villarreal, et moi j’étais proche d’un départ pour Benfica. Mais personnellement, j’étais très heureux à l’Espanyol, je m’y sentais bien. C’est mon club. C’est parfois très difficile pour un joueur de dire quelle équipe il supporte mais pour moi, les choses sont très claires : je suis de l’Espanyol.

Qu’est-ce que ce club a de particulier ? Comment tu le définirais ?

GARCÍA : Au niveau du jeu, l’Espanyol a eu un peu de tout : des coaches de contre-attaque et des coaches de football. Mais je pense que l’idée majeure de ce club, c’est la passion des joueurs pour défendre ce maillot. Surtout parce que tu es à l’ombre du Barça, donc tu dois avoir cette passion.

Les derbies sont des moments rares, parce que ce sont les seuls moments d’égalité potentielle avec le Barça ?

GARCÍA : Oui, bien sûr ! Être un supporter de l’Espanyol à Barcelone est vraiment compliqué, parce que le Barça est un monstre qui a énormément d’argent, gagne beaucoup de titres et remporte presque tous ses matches. Donc, celui qui devient supporter de l’Espanyol est vraiment un fanatique. C’est une chose que tu ne peux pas changer. Le quotidien est parfois difficile pour eux. Mais dans les derbies, tout s’équilibre un peu…

D’ailleurs, tu as gagné contre le grand Barça de Guardiola en 2009. Et au Camp Nou !

GARCÍA : Oui oui ! Pourtant, on allait très mal, on était derniers du championnat et personne ne pensait que nous pourrions gagner, les gens imaginaient déjà qu’on allait prendre un 5-0. Mais ce qui est beau dans le football, c’est que ces choses-là arrivent. Nous avons réussi à gagner 1-2 sur le terrain du Barça, après 27 années sans victoire sur leur terrain pour l’Espanyol.

« LES STARS DU REAL RENDENT TOUT PLUS SIMPLE »

C’était comment, de jouer contre ce Barça ?

GARCÍA : C’était impressionnant. Ils avaient un niveau, des automatismes qu’il sera difficile de revoir un jour, indépendamment des individualités qu’ils avaient. C’était extraordinaire. Un club qui gagne autant de titres en si peu de temps, c’est une chose impressionnante pour le football. Et pour les gens qui aiment le football, voir jouer ce Barça était magnifique.

Même pour un joueur de l’Espanyol ?

GARCÍA : Le football en général est une chose, et le club en est une autre. Evidemment, si tu enlèves l’écusson et que tu regardes seulement le jeu, c’est une merveille. Le fait de ne pas aimer le Barça, c’est autre chose. Moi, en tant que supporter de l’Espanyol, je n’aime pas le Barça parce que c’est incompatible. Mais si tu oublies le maillot et que tu te contentes d’analyser son football, c’est magnifique. Et voir un tel football, c’est ce que j’aime.

Tu as terminé ta formation au Real. C’est le club le plus difficile du monde pour un joueur du centre de formation ?

GARCÍA : Oui. Parce que les meilleurs jeunes de toute l’Espagne vont à Madrid. Parce qu’ils font toujours signer les meilleurs joueurs du moment. Et surtout parce qu’ils ont toujours besoin de résultats immédiats. Celui qui sort de la cantera est directement en concurrence avec un crack, et ils n’ont peut-être pas la patience pour donner des minutes de jeu à leurs jeunes.

Tu as quand même eu l’occasion de jouer un match sous le maillot du Real, et de t’entraîner avec des joueurs incroyables.

GARCÍA : S’entraîner avec Figo, Raul, Ronaldo, Roberto Carlos, Fernando Hierro… Avec Zidane ! C’est de ça que rêve un joueur de football quand il est tout petit, pouvoir profiter d’un moment durant lequel tu joues avec ces joueurs. Et la vérité, c’est qu’ils rendent les choses beaucoup plus simples parce que si tu leur envoies un ballon horrible, ils en font quelque chose de bien. Ce sont des élus, comme il y en a très peu. C’étaient les meilleurs du monde.

« QUAND TU N’AS PAS D’ARGENT, TU AS BESOIN DE GÉNÉRER DES IDÉES »

Après Madrid, tu as connu l’autre facette du football espagnol. Surtout au début des années 2010, quand la Liga se joue à deux équipes et que les dix-huit autres se partagent les restes…

GARCÍA : C’était vraiment une « Liga de dos » (un championnat à deux, ndlr). Parce que les droits télévisés étaient répartis de façon totalement disproportionnée. Je pense évidemment que Madrid et le Barça doivent recevoir plus d’argent que les autres, mais pas avec une si grande différence. En plus, c’était une période de crise en Espagne, et les gens avaient du mal à mettre de l’argent dans le football. À partir de là, le championnat était mort pour des équipes comme Valence, qui ne pouvaient plus lutter pour la Liga.

Quel impact cette période a-t-elle eu sur le niveau de la Liga ?

GARCÍA : Je pense que le niveau a baissé. Beaucoup de bons joueurs sont partis vers des championnats étrangers. Parce que si tu ne jouais pas au Real ou au Barça, les autres ne pouvaient pas te payer de tels salaires. On était arrivé à une situation où ces deux équipes allaient à Osasuna ou au Depor et gagnaient 0-5 ou 0-6. C’était presque devenu comme le championnat écossais, ça n’avait pas beaucoup de sens.

Mais ces moments ont aussi permis aux autres clubs de développer autre chose, d’autres idées.

GARCÍA : Quand tu n’as pas d’argent, tu as besoin de générer des idées. Certains entraîneurs en Espagne ont très bien fait les choses. Simeone évidemment, mais aussi quelqu’un comme Paco Jemez. Voir son Rayo Vallecano, ça donnait envie. L’équipe jouait comme il voulait jouer au football, comme s’ils étaient une grande équipe. C’est très beau de voir ce type d’entraîneur, il a tout mon respect parce que son travail me plaît beaucoup.

Tu as aussi connu des entraîneurs de toque, comme Valverde à l’Espanyol ou Benito Floro à Majorque…

GARCÍA : Benito, surtout. Il aimait beaucoup avoir la balle, il se fâchait quand son équipe ne l’avait pas. D’ailleurs, on passait nos journées à travailler avec le ballon.

« LA ROJA JOUAIT COMME XAVI ET INIESTA LE VOULAIENT »

C’est ce genre de coach qui a influencé ton jeu, tes préférences en matière de football ?

GARCÍA : Bien sûr. En football, on peut atteindre ses objectifs de nombreuses façons différentes. Le long ballon ou le jeu de possession sont deux façons de jouer respectables mais de mon point de vue, avoir le ballon et parvenir à déséquilibrer l’équipe adverse pour lui faire mal avec un jeu de passes est le football idéal.

Tu étais d’ailleurs présent sur le banc de la sélection le jour du but de Sergio Ramos contre le Danemark, qu’on présente souvent comme le symbole du « nouveau football espagnol. »

GARCÍA : On a senti ce changement dès que Luis Aragones a décidé d’opter définitivement pour ce football. Luis a installé cette aura positive autour du football espagnol, et que ce but contre le Danemark identifie parfaitement le jeu qu’il voulait.

C’était quelque chose de rare, une sélection qui joue avec de tels automatismes qu’on aurait dit un club.

GARCÍA : C’était le cas ! Parce que la sélection jouait au rythme que marquaient Xavi ou Iniesta. Cette façon de jouer au football, ils la transmettaient à tous ceux qui jouaient autour d’eux. C’est ce qui a fait que la sélection jouait comme ils le voulaient.

Tu aurais dû gagner l’EURO 2008 avec eux. Ton absence de la sélection a été une immense surprise.

GARCÍA : C’est étrange, parce que j’avais été repris durant toute la campagne qualificative. C’est vrai que l’Espanyol n’était pas spécialement bien pendant la deuxième partie de la saison, mais personnellement j’avais mis plus de buts que lors du premier tour. Tout indiquait que je serais dans la liste. Ça a été un coup… (il réfléchit) le coup le plus dur de ma carrière, je pense. Être mis hors de cette équipe, de ce groupe, alors qu’on voyait qu’il pouvait faire quelque chose de grand…

Tu es « doublé » par Güiza, qui fait une saison incroyable, mais le quatrième attaquant d’Aragones, c’est Sergio Garcia…

GARCÍA : Sergio Garcia, cette année-là, met quatre ou cinq buts si je me souviens bien, et descend en deuxième division. Moi, pendant ce temps-là, je mets treize buts. C’est difficile à dire… De mon point de vue, ma saison a été meilleure, j’avais passé toutes les qualifications dans le groupe, et au final je ne suis pas repris. C’est difficile d’en dire quelque chose aujourd’hui. C’était quelque chose d’étrange. D’étrange et de rare.

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