© NICK DECOMBEL

Les secrets du succès d’Ostende révélés par son CEO Gauthier Ganaye

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Passé de peu à côté de l’exploit dans un sprint final mal négocié, Ostende reste la révélation d’une saison mouvementée. L’homme fort des Côtiers, Gauthier Ganaye, explique la recette méticuleuse d’un succès inattendu.

Au bout des 34 journées, la cinquième place a presque un goût amer. Quelques mois plus tôt, l’histoire prenait pourtant un départ bien plus modeste. « Je me rappelle qu’en début de saison, j’avais dit que ce serait une saison réussie si on se sauvait assez vite et que tout le monde disait qu’on jouait un style de jeu bien affirmé », rembobine Gauthier Ganaye.

En l’espace d’une saison, le CEO français des Côtiers est devenu l’un de ceux dont on cite le nom avec intérêt dans plusieurs bureaux présidentiels du pays, mais aussi le patron du club de Nancy, de l’autre côté de la frontière. On dit même qu’au sein de l’un des bastions les plus réputés du pays, ses méthodes servent de source d’inspiration pour les mercatos à venir. Des jeunes talents sortis de nulle part, un coach propulsé au sein de l’élite belge sans jamais avoir entraîné une équipe adulte et un mode de fonctionnement clairement orienté autour d’un style de jeu clair: autant d’ingrédients pour constituer un plat savoureux et surprenant, au sein d’un football noir-jaune-rouge qui aime encore souvent répéter ses recettes de grand-mère.

Gauthier Ganaye:
Gauthier Ganaye: « On a mis en place un style qui peut nous permettre, sur un match, de battre n’importe qui. »© NICK DECOMBEL

Quand on parle d’Ostende aujourd’hui, on parle des datas. Toujours avec un biais surprenant: parce que tu affirmes que c’est la base du recrutement, les gens ont l’impression que tu ne regardes rien d’autre.

GAUTHIER GANAYE: C’est clair que c’est très vite devenu le topic numéro un, quand on m’interroge sur le projet. Je réponds toujours que je veux juste avoir le plus d’informations possibles et que les datas sont une source d’informations comme les autres. Si tu me disais que je pouvais savoir à quelle heure un joueur se lève le matin, ce qu’il fait à chaque heure de la journée, je voudrais le savoir aussi. Pourtant, ce n’est pas de la data.

Les gens ont l’impression que quand on travaille avec les datas, on appuie sur un bouton et si on voit que c’est vert, on prend le joueur et tant pis si c’est un connard. Ce n’est pas parce qu’on fait ça qu’on ne s’intéresse pas à la personnalité, qu’on ne regarde pas les matches en vidéo ou en live… C’est juste une information supplémentaire. Personne n’a jamais dit que ça remplaçait le fait de voir les matches.

« Pourquoi refuser une source d’informations supplémentaire? »

C’est un combat inventé, au final. Ceux qui utilisent les datas et regardent les matches sont toujours en avance sur ceux qui ne font que regarder?

GANAYE: Bien sûr. Pourquoi refuser une source d’informations supplémentaire? Pas alternative: supplémentaire. Je ne comprends pas.

Dans le foot actuel, tout le monde dit qu’il recrute avec les datas. De ton expérience, est-ce que tout le monde le fait vraiment?

GANAYE: Utiliser la data, ça veut tout dire et rien dire. Si tu recrutes un joueur parce qu’il a mis huit buts et dix passes décisives, tu peux dire que tu as utilisé des datas. La différence, chez nous, c’est que c’est le point de départ d’un triptyque: les chiffres, le style de jeu déterminé et des grands principes comme l’absence d’indemnité de transferts pour des joueurs de plus de 25 ou 26 ans. C’est tout cet ensemble qui fait qu’on travaille avec un modèle économique qui a du sens.

Vu la situation du club l’été dernier, avec seulement huit joueurs sous contrat, c’était une belle opportunité de pouvoir façonner un noyau tout neuf autour de ces principes?

GANAYE: Quand on est arrivé ici, tout le monde était inquiet au niveau de la situation contractuelle. On ne nous parlait que de ça. Moi, plutôt que d’y voir un risque, j’y ai vu une opportunité. En quelques décisions, on a pu construire un truc qui nous ressemble dès le départ. Si on avait eu besoin de dégraisser d’un côté et de recruter de l’autre, ça aurait été un exercice beaucoup plus compliqué.

« Avec Blessin, ça a cliqué tout de suite »

Le premier chantier, et peut-être le plus marquant, ça a été l’arrivée du coach.

GANAYE: Tout le monde le voit comme la surprise de la saison et je pense que c’est le cas, mais si j’ai été le recruter, c’est forcément que j’y croyais ( Il rit). Entre nous, ça a cliqué tout de suite et ça a été l’accélérateur parce que le fait que nos deux personnalités matchent assez bien, on ne pouvait pas le quantifier à l’avance. Ce n’était même pas une rencontre physique, parce que j’habitais encore à Nice à l’époque et on était confiné. Mais on a passé une heure trente à se parler par Zoom et au bout de quinze minutes, j’avais l’impression qu’on se connaissait depuis une éternité. Après, je pense aussi que s’il a réussi, c’est parce que c’est un coach avec des compétences données, dans un environnement fait pour qu’il performe.

Les secrets du succès d'Ostende révélés par son CEO Gauthier Ganaye

Beaucoup de jeunes joueurs, par exemple, qui l’ont aidé à implanter ses idées.

GANAYE: Ils sont plus modelables, c’est sûr. Après, ce qui aide, c’est surtout le succès. Si tu n’en as pas, tu peux raconter les plus belles philosophies du monde, personne ne va te suivre.

La philosophie, elle est quand même importante dans le projet. Si vous avez opté pour le gegenpressing, c’est parce que c’est le style de football qui permet le plus facilement d’être performant sans avoir les meilleurs joueurs?

GANAYE: Si je compare notre masse salariale à celle des quatre équipes qui ont fini devant nous, il faut faire fois dix. Et le talent individuel de leurs joueurs… Le match d’Anderlecht contre l’Antwerp, je me suis régalé, c’était monstrueux. Ce qui coûte cher dans le football, c’est ce talent intrinsèque. De notre côté, on a mis en place un style qui peut nous permettre, sur un match, de battre n’importe qui.

Si le fait de n’avoir que huit joueurs avait des avantages, il a quand même fallu convaincre des Hjulsager ou Sakala de rester au club avec un noyau quasi vide et un coach inconnu. Ça n’a pas dû être simple…

GANAYE: Andrew, je pense que tactiquement il comprend bien, donc il a capté en quelques séances d’entraînement que c’était quelque chose qui allait le mettre en valeur. Fashion, ce n’est pas un secret, s’il en avait eu la possibilité, il aurait souhaité partir. Je pense qu’il est resté plus par défaut, mais il s’est rendu compte ensuite qu’un style pareil avec sa vitesse en profondeur, ça le met en évidence.

Et puis, il y a eu les transferts. Notamment celui de Maxime D’Arpino. C’est le coup qui incarne le mieux la politique de recrutement?

GANAYE: Il faut connaître le foot pour apprécier Maxime D’Arpino. Je pense qu’il n’y en a pas beaucoup qui l’apprécient à sa juste valeur. Quand on convoite un joueur comme ça, on veut qu’il se dise qu’on est le club parfait pour lui. Donc, on passe énormément de temps sur la manière de lui vendre le projet: on lui montre une présentation de notre style de jeu, puis une autre qui lui explique pourquoi il sera parfait dans ce système. Ça peut être avec de la data, du scouting vidéo… Pour Max, il y avait un élément qui a rendu ça frappant quand je le lui ai expliqué.

Qu’est-ce que c’était?

GANAYE: Dans les quatre ou cinq secondes qui suivent le déclenchement de son pressing, son équipe récupère la balle à autant de pourcents. Ça ne veut pas dire que c’est lui qui la récupère, mais que son équipe le suit. C’était un élément intéressant, mais chez lui il y en a plein. C’est un joueur extraordinaire. Après, on dit que notre recrutement a été bon, mais ce qui l’a été aussi, c’est la transformation de joueurs qui étaient déjà ici. Tous n’ont plus rien à voir avec les joueurs qu’ils étaient la saison dernière.

« Pour qu’on ait un succès économique, il faut qu’on ait un succès sportif »

Avec cette saison, presque tout le monde a pris de la valeur marchande. Pourtant, Ostende n’a vendu personne cette hiver, alors qu’il y a eu des offres intéressantes, notamment cinq millions d’euros pour Arthur Theate. C’est la preuve que Pacific Group n’est pas là que pour le profit économique?

GANAYE: Notre projet est centré sur le terrain. Le sportif est la locomotive de tout le reste. Pour qu’on ait un succès économique, il faut qu’on ait un succès sportif. On a eu des offres pour plusieurs joueurs cet hiver qu’on a refusées. On estimait que ça ne coïncidait pas avec ce qu’on voulait réaliser cette saison. L’avantage, c’est qu’on n’est pas dans une situation où on a besoin de vendre absolument. Quand on vendra un joueur, ce sera parce que c’est dans nos intérêts, donc quand j’estimerai qu’il aura atteint sa valeur de marché.

Si Theate est resté cet hiver, c’est parce que c’était un moment difficile pour le remplacer?

GANAYE: Non. On travaille en permanence sur tous les postes. L’idée, c’est d’être prêt sur toutes les positions à tout moment, parce que parfois une offre inattendue et impossible à refuser peut tomber et on ne peut pas se dire en tant que club qu’on doit la refuser parce que c’est impossible de le remplacer. Si on n’a pas vendu Arthur en janvier, c’est tout simplement parce que l’offre ne correspondait pas à sa valeur.

Au Standard, certains estiment avoir fait une bonne affaire en le laissant à Ostende, parce qu’il n’aurait pas eu sa place dans leur onze. C’est une analyse excessive ou la preuve que le style de jeu d’Ostende offre des perspectives à des profils spécifiques?

GANAYE: Après, le Standard c’est une équipe qui presse beaucoup aussi. Avec Mbaye Leye, c’est agréable à regarder. Moi, je suis sûr qu’Arthur joue au Standard. Le truc, c’est qu’il faut oser le mettre sur le terrain. Certains des joueurs qu’on a recruté cet été, ils étaient regardés par des clubs belges, meilleurs sur papier. Il faut oser aller les chercher.

Il n’est pas arrivé par la filière « classique », vu qu’il est passé par un test et que très peu de datas étaient disponibles sur lui.

GANAYE: Un joueur qu’on te laisse en test deux semaines, c’est une bénédiction pour récolter des infos sur lui. On a pu analyser ses entraînements pour savoir ce qu’il valait sur le terrain et se rendre compte de son attitude dans le vestiaire, de son état d’esprit et de son professionnalisme. C’est la meilleure des analyses. C’était impossible pour nous d’en savoir plus sur lui que de cette manière.

Au final, le fil conducteur est identique: il restera toujours une part de hasard dans le football, mais l’objectif est de la rendre la moins importante possible.

GANAYE: On fera toujours des erreurs, parce que c’est de l’humain, donc il y a toujours une part d’incertitude. Notre métier, c’est de diminuer la marge. Quand on fait dix recrutements, il faut qu’il y en ait neuf qui marchent.

« Dans quel grand club belge me laisserait-on travailler comme je l’entends? »

Les clubs menés par des investisseurs étrangers deviennent une vraie menace sportive pour les grands clubs historiques du championnat. Ça crée des tensions à la Pro League?

GAUTHIER GANAYE: La manière dont est gérée la Pro League, avec ce G5, je pense que c’est du jamais vu dans le football mondial. C’est accepter que, dans les règles, il y ait un club très fermé de grands clubs. Et le principe d’un club fermé, c’est que tu n’as pas envie que les gens y entrent. Donc c’est sûr que ça les fait chier. Je ne rentrerai pas dans des polémiques, mais on voit que notre saison, dans d’autres proportions, emmerde beaucoup de monde.

Ça intéresse aussi. Il paraît que tu as été sondé par certains grands clubs du championnat, pour voir si tu serais intéressé de les rejoindre…

GANAYE: (Il rit) C’est un milieu dans lequel tu as forcément des sollicitations. Aujourd’hui je suis bien ici, je crois dans ce projet. Dans quel grand club belge on me donnerait la possibilité de faire des choses comme je l’entends, comme je le fais ici?

Quand tu vas un échelon plus haut, c’est de moins en moins du football et de plus en plus de la politique pour faire passer tes idées?

GANAYE: La chance qu’on a ici, avec nos actionnaires, c’est qu’ils croient dans cette vision et ils te laissent la mettre en place. Bien entendu qu’il y a des craintes, des résistances. En début de saison, quand tu nommes un entraîneur de 49 ans qui n’a jamais entraîné plus haut qu’en U19 avec une équipe où tu n’as que huit joueurs sous contrat, tout le monde te dit que tu es fêlé et que ça va aller dans le mur. Est-ce qu’on aurait laissé quelque chose comme ça se passer dans un grand club belge? Je ne suis pas sûr.

C’est le problème du football, d’être trop attaché à ses certitudes et de ne pas s’ouvrir à de nouvelles idées?

GANAYE: C’est très difficile de se battre contre ça, sauf quand tout le monde dans le club est sur la même ligne. Chez nous, la vision stratégique est acceptée par tout le monde. On ne va jamais t’engueuler quand tu fais un changement offensif quand on mène 1-0 à dix minutes de la fin, même si on perd, parce qu’on demande un jeu tourné vers l’avant. Le plus dur, c’est que dans un club, tout le monde soit d’accord sur la vision stratégique.

Ces approches, c’est quand même une belle reconnaissance pour ton travail?

GANAYE: Ça ne veut pas spécialement dire que je suis sur la bonne voie, parce que la moitié des personnes qui me contactent le font probablement pour des mauvaises raisons, et peut-être sans savoir ce qu’est mon travail. Je pense que les gens réalisent quand même que l’évolution du football, c’est de travailler de cette manière-là. Après, entre être assis dans une board room et se dire que c’est pas mal ce qu’ils font, et, pardon pour le terme, avoir les couilles de le faire, il y a un monde. Avec Barnsley en Angleterre, tout le monde disait que ce qu’on faisait était bien, mais au final, il n’y a pas grand monde qui ose le faire.

Les secrets du succès d'Ostende révélés par son CEO Gauthier Ganaye
© NICK DECOMBEL

À la tête d’Ostende et de Nancy

Tu es devenu président de Nancy en janvier. Ostende est déjà assez avancé dans sa reconstruction pour pouvoir se passer de ta présence permanente?

GAUTHIER GANAYE: La crise sanitaire a prouvé à tout le monde que tu n’as pas besoin d’être présent à un endroit pour t’occuper d’un business de la bonne manière. Il faut juste être au bon endroit au bon moment, c’est un feeling et une organisation à mettre en place pour avoir les bonnes personnes au bon endroit. Je ne pense pas que le club en ait souffert.

Pour ton quotidien, c’est une grande évolution?

GANAYE: Pendant les six premiers mois de l’année où je ne m’occupais techniquement que d’Ostende, je travaillais aussi sur Nancy parce qu’on se préparait à la reprise. Pour moi, ça n’a pas changé grand-chose.

Ça n’a pas suscité de craintes au sein du club, par rapport à ton implication?

GANAYE: Je ne pense pas. J’ai été très transparent avec le coach, il le savait avant que le deal soit fait. Il sait qu’il peut m’appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, on fait des points quotidiennement, je suis là toutes les semaines.

Pacific Group a aussi repris Esbjerg, au Danemark. Tu y travailles aussi?

GANAYE: Pour l’instant, je ne suis pas très impliqué.

On voit que le groupe s’implante au Danemark, en Belgique, en Ligue 2… Des championnats assez prisés des recruteurs. Ce sont des endroits bien pensés pour redresser des clubs et y monter un business basé sur les jeunes joueurs, non?

GANAYE: C’est sûr qu’on n’a pas ciblé ces pays pour rien. Ce ne sont pas les seuls dans le cas, il reste pas mal d’autres endroits où il peut y avoir des choses sympas à faire, mais on ne peut pas tout faire en même temps. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura d’autres clubs. La volonté est clairement de s’étendre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire