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Les leçons tactiques de Philippe Clement

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

En trois saisons, l’Anversois a remporté deux titres de champion, s’est qualifié pour deux finales de Coupe et a tapé dans l’oeil de l’Europe. Focus sur le foot à la Clement.

L’eau, avalée par litres au bout de l’effort, coule en témoin d’une séance interminable. Sous le soleil hivernal de Benidorm, c’est seulement au bout de deux heures quinze que Philippe Clement donne le coup de sifflet final de son entraînement. « Le groupe a besoin de volume », justifie celui qui a pris, un mois plus tôt, les rênes d’un Genk lessivé par les consignes strictes d’Albert Stuivenberg.

Quelques semaines plus tard, Clement approfondit le raisonnement: « J’ai été effaré par l’état physique des joueurs. Dès la première séance, ils se sont tous éteints comme des chandelles au bout d’une heure. Je n’ai pas pu appliquer mes principes. »

« En Belgique, on a trop souvent tendance à jouer long. Je veux essayer autrement. Je veux miser sur nos propres forces. »

Le football du nouveau wonderboy des bancs belges se joue avec les poumons. Clement exige un pressing haut, paramètre indispensable de son style conquérant. Déjà lors de ses débuts à Waasland-Beveren, dans un Freethiel où l’équipe locale avait pris l’habitude de se retrancher devant sa surface, il envoie ses hommes à l’assaut du camp adverse. Avec un PPDA de 9 (le nombre de passes permises à l’adversaire par action défensive), son équipe pourtant modeste fait partie des références nationales en termes de pressing.

STYLE DE COURSES

Sans autre pression que celle de s’éloigner rapidement de la zone rouge, Beveren est le laboratoire idéal pour les idées de Clement. Rapidement, il convainc les joueurs de repartir proprement de l’arrière, malgré des craintes exprimées jusqu’à la porte de son bureau par certains cadres du groupe. « En Belgique, on a trop souvent tendance à jouer long, je veux essayer autrement. Je veux miser sur nos propres forces », explique celui qui offre les clés du jeu à Ryota Morioka, l’autre révélation de l’été jaune et bleu. En l’espace de six semaines de préparation, Beveren passe de 44 à 50,4% de possession, de 15 à 13% de passes longues et, surtout, de 0,86 à 1,41 expected goal par rencontre.

« Je retrouve chez Clement les accents placés par Emilio Ferrera. »

Le spectacle est au rendez-vous, quand le maestro japonais met sur orbite des joueurs de flanc dont les appels déroutent l’adversaire. Déjà marqué par la précision des lignes de courses automatisées de Trond Sollied lors de sa période brugeoise, Clement est définitivement convaincu par le football de courses de Michel Preud’homme, dont il est l’adjoint au stade Jan Breydel. Et, plus précisément, par les recettes soufflées à l’oreille de MPH par Emilio Ferrera, son bras droit dans le Golfe. « Je retrouve chez Clement les accents placés par Emilio Ferrera à OHL », expliquera plus tard Leandro Trossard. « Ils exercent beaucoup les automatismes entre les joueurs qui décrochent et ceux qui vont en profondeur. »

La coordination des courses demande du temps et des poumons. C’est peut-être ce qui explique que les premiers mois de Clement à Genk sont moins convaincants dans le jeu, malgré une bonne série qui emmène le Racing en finale de Coupe et dans le top 6. Le joueur-clé de son premier Genk est Dieumerci Ndongala, source de profondeur au sein d’une équipe où tout le monde semble vouloir le ballon dans les pieds. Didi étire les lignes adverses, et ouvre l’intervalle pour faire apparaître Alejandro Pozuelo ou Ruslan Malinovskyi. « Je suis devenu beaucoup plus performant dans mon jeu sans ballon, je crée des espaces pour mes coéquipiers », raconte l’ancien Zèbre au sujet de ses progrès sous Clement.

DU GÉNIE DE POZO À CELUI DE CLEMENT

La suite s’écrit avec des trophées. Bien préparé au sortir de la trêve estivale, Genk présente une métamorphose impressionnante. Le Racing passe de 381 à 504 passes par match, de 12,3 à 17,8 tirs et de 1,45 à 2,21 expected goals par match. Emmenés par le talent de Pozuelo dans les petits espaces, les Limbourgeois peuvent dominer outrageusement (58,8% de possession) sans s’enfermer dans les lignes étroites du bloc adverse. La suprématie s’illustre jusqu’au PPDA de Genk, passé de 10,1 à 7,9 en l’espace de quelques mois.

Pour continuer à gagner malgré le départ de Pozuelo, Clement transforme son Genk en équipe de contre.

Clement intervient au printemps, quand Pozuelo quitte le Limbourg pour traverser l’Atlantique. Le coup dur se mue en coup de génie. Les clés de l’Espagnol sont partagées entre Malinovskyi et Trossard, qui ont besoin de plus d’espace que Pozo pour s’exprimer. Clement leur offre en confiant le couloir droit à Junya Ito, nouveau venu à la pointe de vitesse qui en fait une terreur des profondeurs. Genk change de plan en quelques semaines. La transformation est saisissante: de 58 à 48% de possession, de 504 à 345 passes par match, de 8 à 14% de passes longues et de 66 à 78 duels défensifs par rencontre. Genk devient une équipe de contre, sans trop affecter les chiffres les plus importants. Le Racing marque un peu moins (de 2,1 à 1,9 but par match) mais compense défensivement (de 1,03 à 0,8 but encaissé). L’indispensable transformation conduit au titre. Une seule chose n’a pas changé : le pressing, avec un PPDA figé à 7,99 lors des play-offs.

LE DRESSEUR DE CAMÉLÉON

Philippe Clement brille par sa faculté d’adaptation. « C’est la grande qualité de Michel Preud’homme, et il s’en est inspiré. Il a montré que ses préparations tactiques étaient de top niveau et qu’il était capable de s’adapter », reconnaît Ivan Leko. Nouvelles illustrations à son arrivée à Bruges, quand Clement abandonne rapidement ses idées de défense à quatre pour revenir au trois arrière installé par son prédécesseur, ou sur la route de la Ligue des Champions, quand il vient à bout du piège autrichien du LASK Linz avec un style contre-nature (24,5% de jeu long). « Son approche du match est toujours mise en relation avec les points faibles de l’adversaire », raconte Thomas Buffel, qui l’a côtoyé à Genk.

Son Bruges s’adapte aux circonstances, avec un seul but: créer de l’espace.

Dans la Venise du Nord, à la tête d’un noyau d’exception aux normes belges, Clement pousse son pressing plus loin que jamais, avec un PPDA descendu à 7,17. Le bloc bleu et noir est emmené par des attaquants très mobiles, qui lancent un pressing accompagné par les courses de Ruud Vormer et Hans Vanaken. Orientés vers le ballon, ils quittent souvent leur position pour créer un chaos qui rapporte gros. « Avec Leko, il y avait beaucoup plus de règles à respecter pour nos milieux. Ici, ils ont plus de liberté », analyse Brandon Mechele, patron de la défense brugeoise.

L’Anversois donne parfois l’impression d’être un dresseur de caméléon. Son Bruges s’adapte aux circonstances. Celles qui l’amènent à être ultra-dominant en championnat, avec 59,5% de possession, 519 passes et 19 centres par match, ou celles qui l’amènent à faire parler de lui en Ligue des Champions, à base de ballon abandonné (46,5% de possession), de jeu plus direct (16,1% de passes longues) et de défense organisée (25% de tirs cadrés concédés). « Créer de l’espace, c’est le plus difficile. La façon de le faire change chaque semaine, notamment en fonction de l’adversaire », explique le mentor des Blauw en Zwart.

DROIT AU BUT

Parfois, le plan change même en cours de match. Et là aussi, Clement déchiffre les situations sans tarder. Mis à mal par le marquage installé par Preud’homme sur Vormer et Vanaken, assuré par Samuel Bastien et Paul-José Mpoku avec la couverture de Gojko Cimirot, l’Anversois réagit au vestiaire avec les montées au jeu de Mbaye Diagne et Eder Balanta. Plus adroit que Mats Rits pour casser les lignes depuis le poste de milieu défensif, le Colombien envoie Vormer vers une passe décisive, aidée par l’appel de Diagne dans la surface pour attirer les défenseurs. Le score final est nul, mais la suite de la rencontre est brugeoise. « En match, il fait les bons choix. Il choisit les bons joueurs en fonction de l’adversaire et ses remplacements sont bons », pour Stan Van den Buijs, qui a travaillé avec lui lors de l’époque MPH à Bruges.

« Je veux qu’on récupère le ballon très vite. »

Clement repousse les limites avec un deuxième titre, conquis avec une philosophie marquée mais des principes fluctuants en fonction des points faibles de l’opposition, qu’il a appris à diagnostiquer à merveille. De toutes ces expériences, il semble surtout ressortir un dénominateur commun, exprimé début juillet 2017 lors de sa première interview comme coach de Waasland-Beveren: « Je veux qu’on récupère le ballon très vite. »

Progresser en ligne droite vers le but. C’est le mantra de celui qui avoue détester les passes en retrait quand le chemin vers l’avant est dégagé. C’est aussi ce qui semble dicter une trajectoire qui n’a jamais traîné en cours de route. Clement a quitté Beveren alors que le mois de janvier menaçait de lui faire perdre ses meilleurs joueurs, et a récidivé à Genk aux portes du dernier été, quand l’exode s’annonçait tandis que Bruges préparait son armada pour reconquérir le Royaume. Être au bon endroit au bon moment est aussi un talent.

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