Jacques Sys

Le titre de tous

Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Ce titre n’est pas seulement celui de Michel Preud’homme mais celui de tout le monde : de la direction, du staff technique, des joueurs, des supporters.

On aurait dit que personne ne pouvait encore attendre la fête. Samedi déjà, Bruges s’est colorée de drapeaux bleu et noir. Au marché hebdomadaire, au centre de la ville, un seul sujet de conversation : par combien de buts allait-on battre Anderlecht ? Même les sympathisants du Cercle se mêlaient à la discussion.

Onze ans sans titre, c’est une éternité. Que ne s’est-il pas passé durant ce temps ? Saddam Hussein a été démis, Barack Obama est devenu le premier président noir des Etats-Unis, Herman Van Rompuy a été élu premier président du conseil de l’Europe, 21 millions de personnes ont été victimes de violentes inondations au Pakistan, un pilote allemand dépressif a sciemment provoqué le crash d’un avion, l’EI montre par vidéo la décapitation d’être humains, commet des attentats à Paris et à Bruxelles, la Belgique vit dans un climat d’angoisse, des manifestations sportives sont reportées. Mais aussi : les Diables Rouges sont passés du rang 55 au numéro un – pendant un moment.

Ces onze années sans titre, marquées par le décès de François Sterchele, ont dû être très dures pour les fidèles supporters du Club. Onze entraîneurs, 111 transferts entrants, un perpétuel recommencement. Après sa révolution de velours, la direction a essayé de mieux structurer le club et de mettre un terme à son romantisme d’un autre temps. Bart Verhaeghe, le nouveau président, a professionnalisé les blauw-zwart en maints domaines. Au début, les supporters ont eu des réticences à accepter l’entrepreneur. Dans sa chasse obsessionnelle au titre, Verhaeghe a fait preuve d’une grande impatience, sombrant parfois dans l’impulsivité. Bien qu’il soit considéré comme un fin stratège, Verhaeghe a effectué des mauvais choix dans l’embauche de ses entraîneurs. Au début, il a trop peu fait appel à des personnes dotées d’un bagage footballistique. Jadis, pareil va-et-vient de personnel eût été impensable.

Le Club a longtemps balancé entre tragédie et renouvellement. Il a eu beau se dépoussiérer, on n’en a pas vu grand-chose sur le terrain. Les supporters ont grondé, cette saison encore, après un départ catastrophique. En football, la seule vérité est celle du terrain.

Ce titre constitue un tournant pour le Club.

Finalement, le revirement s’est produit avec l’embauche de Michel Preud’homme, accueilli en Messie le 19 septembre 2013. Avec son coaching passionné et son feu, le Liégeois est coulé dans le moule du Club. Il a pourtant mis du temps à obtenir des prestations régulières et il s’est parfois heurté à un mur de laxisme chez certains joueurs. Parfois, le puzzle semblait s’emboîter parfaitement puis il s’embrouillait à nouveau. Une semaine, le Club était au ciel, la suivante en enfer. Y compris durant cette compétition.

Ses travaux de restauration ont été plus longs que prévu. La première phase est maintenant achevée, avec, en point d’orgue la victoire 4-0 face à Anderlecht. Le Club a été fidèle à ses anciennes valeurs pendant ces play-offs : en bloc soudé, très fort mentalement, en mélange de puissance physique, d’abattage, de créativité, d’inventivité et d’opportunisme. Dirigé par un entraîneur tellement loué qu’on a l’impression que seul Michel Preud’homme est devenu champion. Il est bien le dernier à le penser. D’ailleurs, dimanche, il a très explicitement inclus les supporters dans son hommage. Ce titre est celui de tout le monde : de la direction, du staff technique, des joueurs, des supporters. Selon l’unité que le Club Bruges aime à cultiver.

Une question est au coeur du développement à venir du Club, qui peut se réjouir de la manne que va lui rapporter la Ligue des Champions : Michel Preud’homme va-t-il rester ? On spécule sur l’avenir de l’entraîneur depuis des mois. Nombreux sont ceux qui craignent son départ. Le panache du bal des champions est-il susceptible de l’influencer ?

Le terrain dispose maintenant d’un cadre, d’une base. Il s’agit de préserver la stabilité de l’ensemble. Avec patience. La patience qui a souvent fait défaut ces dernières années, laissant place à une émotion qui a constitué un frein. En ce sens, le titre est un tournant. Une oasis de calme, de sérénité, de réflexion et de rationalisme.

Par Jacques Sys

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