Le Standard entre désorganisation et perdition

Aron Dønnum, totalement incrédule, après la très lourde défaite du Standard face à l'Antwerp (2-5). © BELGAIMAGE
Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste pour Sport/Foot Magazine

Balayés par le réalisme de l’Antwerp, les Liégeois ne parviennent pas à trouver l’indispensable stabilité défensive pour progresser dans la durée. Le voyage de l’année 2021 commence à ressembler à une avancée dans le brouillard.

Au coup de sifflet final, il n’y a plus que des huées. Et au milieu de la déception et des visages interloqués, certains trouvent encore le temps d’une question. Assis au dernier étage de la tribune de presse de Sclessin, en sa qualité de chroniqueur pour la Gazet van Antwerpen, Patrick Goots est interpellé par un supporter rouche, qui l’amène à agiter sa boîte à souvenirs.  » Patje, avez-vous déjà fait ça? »

Ça, c’est un quintuplé. Comme celui que Michael Frey vient de signer sur la pelouse liégeoise. En bords de Meuse, on n’a tout simplement jamais vu une telle prestation individuelle. Dès le premier but, les tribunes étonnamment froides restent amorphes, comme si elles conservaient leur énergie pour siffler chaque touche de balle de Michel-Ange Balikwisha, monté au jeu en fin de rencontre quand le score était déjà acquis et copieusement hué par un public qui ne lui a pas pardonné son attitude au moment de quitter la Principauté. Dans un club où les espoirs se sont désormais tournés vers le centre de formation pour vivre des jours meilleurs.

Mbaye Leye continue de donner la chance aux jeunes du centre de formation mais depuis janvier, lesquels ont véritablement progressé?

Sur les hauteurs du Sart-Tilman, là où sont prises les décisions sportives, on met désormais en avant le mercato interne. Celui qui fait aujourd’hui d’ Ameen Al-Dakhil un titulaire au coeur du trio défensif des Rouches, accompagnant Nicolas Raskin, Hugo Siquet et Arnaud Bodart dans un onze parsemé de couleurs locales. Le dernier rempart, trompé cinq fois par Frey dimanche en début d’après-midi, est désormais lié au club jusqu’en 2025 au bout de longues négociations.

Le neo-Anversois Michael Frey a inscrit le premier quintuplé de sa carrière, à l'âge de 27 ans.
Le neo-Anversois Michael Frey a inscrit le premier quintuplé de sa carrière, à l’âge de 27 ans.© BELGAIMAGE

« J’ai envie pour les jeunes et pour l’Académie de montrer l’exemple », affirme le gardien face à la presse en prélude de la rencontre face au Great Old. Lui qui était arrivé dans les buts presque par défaut, quand l’erreur de casting de Michel Preud’homme avec Vanja Milinkovic-Savic avait laissé le club sans véritable solution entre les perches. « L’éclosion d’Arnaud a été un argument terrible pour Pierre Locht et son équipe », précisait voici quelques mois Alexandre Grosjean en revenant sur cet élément déclencheur pour le retour de l’Académie au premier plan. L’argument jeunes, c’est aujourd’hui dans la bouche de Mbaye Leye qu’il revient le plus souvent, comme un parapluie pour se protéger des critiques qui reviennent avec la régularité imprévisible des averses de l’été. Puisqu’il a décidé de se passer de Noë Dussenne depuis son match manqué à Zulte Waregem l’an dernier, le coach sénégalais doit composer avec une défense centrale où Kostas Laifis est flanqué de Moussa Sissako et Al-Dakhil, avec Nathan Ngoy en premier remplaçant. Après la débâcle défensive face aux Anversois, le coach des Liégeois évoque donc le manque d’expérience, de métier et de roublardise. Un refrain pour colmater des brèches trop importantes: depuis son intronisation à la tête du club, c’est la septième fois en 24 matches de championnat que ses hommes encaissent au moins trois buts. Avec 44 buts encaissés dans ce laps de temps, le Standard affiche une moyenne de 1,83 but concédé par rencontre. Pour 42 buts marqués. Difficile de ne pas voir où la machine déraille.

SANS TRANSITION

Paradoxalement, c’est surtout par sa façon d’attaquer que le Standard perd sa boussole au moment de défendre. Dans le 5-3-2 mis en place par Mbaye Leye, tous les offensifs sont très écartés quand les Rouches se déploient: Raskin s’écarte sur un côté gauche rarement arpenté par Nicolas Gavory, Samuel Bastien aime s’infiltrer dans l’axe droit, et Gojko Cimirot joue les pare-chocs. Un triple mouvement qui éloigne tous les joueurs pour des offensives qui doivent souvent tourner à la différence individuelle, tant les combinaisons deviennent presque impossibles. João Klauss et Jackson Muleka s’associent rarement avant la surface où l’un cherche généralement à centrer pour l’autre, et la chorégraphie un rien chaotique est complétée par les débordements d’Hugo Siquet dans le couloir droit. Beaucoup de joueurs pour peu de jeu, et surtout des espaces énormes au moment de la perte du ballon.

Souvent, c’est là que les choses se compliquent. Quand l’adversaire peut relancer, le Standard est complètement désarticulé, et une circulation de balle bien balancée permet de rapidement se retrouver face à la défense rouche, qui doit alors défendre des situations en catastrophe qu’aucun de ses membres n’a l’expérience, la qualité défensive ou la hiérarchie pour gérer. Une donnée que Philippe Montanier avait assimilée, proposant un jeu triste mais pragmatique jusqu’à la blessure de Zinho Vanheusden la saison dernière. Ici, Leye construit une équipe comme s’il pouvait encore compter sur un joueur comme Christian Luyindama, défenseur parfois brouillon, mais correcteur hors normes de situations désespérées. Depuis que le Sénégalais a repris le club en mains, les Liégeois ont encaissé quatorze buts sur des transitions, comme si la perte de balle n’était jamais écrite dans un scénario offensif qui la rend pourtant probable. En concédant après le coup de sifflet final que « les buts que nous prenons sont toujours évitables », l’entraîneur semble pourtant pointer du doigt en direction des individualités plutôt que remettre en question l’approche collective.

Mbaye Leye juge son équipe
Mbaye Leye juge son équipe « beaucoup plus faible que l’an dernier » et attend du renfort de la part de sa direction.© BELGAIMAGE

La seconde période est celle des tâtonnements. Le Standard passe à quatre derrière pour renverser la rencontre, mais expose d’autant plus ses limites défensives. Celles de Hugo Siquet, presque dépourvu d’instinct sans ballon alors que ses qualités avec la balle ne sont plus à démontrer, coûtent cher face à la science du jeu de Viktor Fischer, pendant que Michael Frey se promène entre Laifis et Al-Dakhil, bien moins à l’aise dans un duo central qu’au coeur de la défense à trois. Leye tente successivement un 4-3-2-1 en associant Aron Dønnum et Selim Amallah derrière Muleka, puis un 4-4-2 losange quand il envoie Abdoul Tapsoba sur la pelouse, avant de finir dans un 4-2-2-2 au moment où Denis Dragus foule à son tour le pré principautaire. Il y a de plus en plus de folie offensive, de moins en moins de maîtrise défensive, et une lourde défaite au bout de l’histoire. Cruelle ironie de l’histoire, le nom de Michael Frey avait été soumis par Olivier Renard au duo Preud’homme -Ferrera voici quelques saisons, sans que les patrons sportifs ne donnent suite à la suggestion, refroidis par les limites techniques du Suisse aux cinq roses. Citée dans la presse cet été, la piste n’a par contre jamais été concrète dans les bureaux du club ces derniers mois, puisque le recrutement d’un attaquant ne fait pas spécialement partie des dossiers prioritaires. João Klauss est encore prêté pour l’intégralité de cette saison en bords de Meuse, et Jackson Muleka – auteur de son premier but de la saison face au Great Old – est l’un des rares joueurs du noyau considéré invendable lors de ce marché estival, malgré une première saison européenne qui a tapé dans l’oeil de certains clubs continentaux.

VOYAGE DANS LE FLOU

Après le coup de sifflet final, dans la foulée des vaines tentatives d’un public clairsemé de lancer des « Tous ensemble » ou des « Bougez vos couilles », il n’y a que des têtes basses et des mots qui ne suffisent pas. Ceux de Mbaye Leye évoquent le mercato, considèrent que les départs de Vanheusden (longtemps blessé) et Balikwisha (compensé par l’arrivée de Dønnum et le retour de Dragus) rendent le Standard « beaucoup plus faible que la saison passée », et réclament donc du renfort. Face aux micros, le Sénégalais et ses dirigeants se renvoient souvent la balle, Benjamin Nicaise ayant précisé deux semaines plus tôt devant les caméras d’ Eleven que l’arrivée de Dønnum correspondait à une demande du coach, celle d’un ailier capable de faire des différences, alors que Leye a finalement mené toute sa préparation en 3-5-2.

Non repris lors des deux premières journées, Selim Amallah a remplacé Klauss, blessé.
Non repris lors des deux premières journées, Selim Amallah a remplacé Klauss, blessé.© BELGAIMAGE

La ligne de conduite est floue, alors que celle qui mène aux filets défendus par Arnaud Bodart semble par moments aussi fluide qu’une autoroute. Les Rouches ont aujourd’hui la plus mauvaise défense du championnat après trois sorties, avec sept buts encaissés. L’an dernier, il avait fallu attendre la neuvième journée de Pro League pour voir les Liégeois atteindre ce total. Difficile de parler de manque de réussite défensive pour autant, quand on constate que même le voisin sérésien a concédé moins d’ expected goals au bout des 270 premières minutes de la saison. En coulisses, la question commence à se poser: Mbaye Leye a certes poursuivi sur la lancée de Philippe Montanier en suivant la politique du club de donner la chance aux jeunes du centre de formation mais depuis janvier, lesquels ont véritablement progressé? Hugo Siquet, loué d’emblée pour la qualité de son centre, s’est-il par exemple amélioré dans les carences défensives de son jeu, déjà préjudiciables en finale de la Coupe de Belgique et encore exposées sur l’ouverture du score anversoise dimanche dernier?

Les tourments n’ont pas quitté les rives de la Meuse, malgré un quatre sur six inaugural qui avait éveillé certains espoirs. L’ambition reste importante, comme l’a rappelé avant la rencontre Alexandre Grosjean en déclarant au micro d’ Eleven que la saison serait réussie en décrochant un ticket européen, mais les moyens sont aussi limités. Contrairement à l’Antwerp ou à Anderlecht, qui peuvent profiter des millions déposés par Marc Coucke et Paul Gheysens pour augmenter un capital dont les hausses ne sont plus freinées par le Fair-Play Financier (gelé suite à la crise sanitaire), le Standard n’est pas capable de se positionner avec des sommes considérables sur le marché des transferts. « J’ai eu des contacts assez concrets avec le Standard, mais par rapport à ce que demandait Zulte Waregem, c’était compliqué pour eux », reconnaissait ainsi Gianni Bruno dans nos colonnes au mois de juin dernier, à l’heure de justifier son départ vers la Ghelamco Arena. Le Standard se bat avec ses armes financières actuelles, et leurs limites par rapport à la concurrence. Une lutte inégale qu’il ne parvient pour l’instant pas à équilibrer sur la durée. Reste à déterminer pourquoi.

Le retour d’Amallah

Sur la feuille de match pour la première fois de la saison pour la réception de l’Antwerp, Selim Amallah est monté au jeu au quart d’heure, à la surprise générale, pour remplacer João Klauss alors que d’aucuns attendaient plutôt Denis Dragus voire Aron Dønnum. L’international marocain, toujours cité dans la case des partants potentiels, s’est ainsi remis en vitrine avec une passe décisive, et une frappe qui a forcé un très bon Jean Butez à sortir le grand jeu. Son retour dans la sélection a renvoyé vers la tribune le jeune Olivier Dumont, ajoutant une couche d’expérience à un banc une nouvelle fois peuplé de jeunes comme Matthieu Epolo, qui semble être devenu numéro deux des portiers liégeois du haut de ses seize ans.

Toujours pas de trace, par contre, de Mehdi Carcela ou Maxime Lestienne, très rarement entrés dans les plans du coach depuis la reprise malgré les responsabilités qui leur avaient été confiées en début d’année civile, Carcela enfilant même le brassard de capitaine. Sont-ils écartés pour de bon? À Liège, depuis quelques mois, les événements sont souvent là pour rappeler que la vérité peut se retourner complètement d’une semaine à l’autre.

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