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Laurent Depoitre: « Il y a des stéréotypes sur les footballeurs que certains aiment bien entretenir »

Frédéric Vanheule
Frédéric Vanheule Frédéric Vanheule is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Après une année noire, il a retrouvé ses sensations. Et oublié ses douleurs. Entretien avec Laurent Depoitre 3.0.

Ambiance très cool à Gand. On est attablés avec Laurent Depoitre dans une loge de la Ghelamco Arena, on a un petit fond musical bien agréable. Il y a pire comme décor pour recueillir les confidences du grand Lolo. On lui fait remarquer que le cadre est magnifique et qu’en fait, il ne manque plus qu’une vraie équipe pour que le tableau gantois soit parfait. Il rigole. « Ouais, ça va venir… »

Les gars de Hein Vanhaezebrouck sont dans le dur. En championnat, c’est compliqué. C’était déjà comme ça la saison dernière, et c’est pour ça qu’ils ne palpent pas, aujourd’hui, les sensations de la Ligue des Champions ou de l’Europa League. Ils doivent se contenter de la nouvelle Coupe d’Europe des pauvres, la Conference League. L’entretien commence sur ce thème.

La Conference League, c’est excitant quand même quand on a connu des grandes soirées en Ligue des Champions avec Gand et Porto?

LAURENT DEPOITRE: Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, je me suis demandé ce que c’était, cette nouvelle Coupe d’Europe. Je me suis dit que ça n’allait pas être attrayant, pas intéressant, que c’était plus pour les petits clubs. Mais au final, ça reste une Coupe d’Europe, un challenge en plus du championnat. Et ça peut nous permettre d’aller plus loin que l’Europa League ou la Ligue des Champions, où la concurrence est beaucoup plus forte. Pour un footballeur, pouvoir jouer deux matches par semaine, c’est plus sympa que des semaines où tu dois t’entraîner six jours.

C’est un peu comparable aux sensations de la Ligue des Champions avec le fameux hymne, des stades pleins, des ambiances dingues?

DEPOITRE: On n’a pas les mêmes sensations, c’est sûr. Les équipes sont moins fortes, les stades sont plus petits, ce n’est pas la même ambiance. Pas la même euphorie évidemment. Mais ça reste toujours intéressant de voyager et d’affronter des équipes d’autres championnats. On n’a pas fait une bonne saison, donc on doit se satisfaire de la Conference League. Et maintenant qu’on y est, on doit essayer d’aller le plus loin possible.

Au moment où tu as quitté Porto, tu t’es dit que c’était la fin de ton parcours en Ligue des Champions?

DEPOITRE: Je ne me suis pas posé la question à ce moment-là. Mais j’ai toujours un espoir de retrouver un club qui la joue. Ça peut être un plus petit club que Porto, d’un plus petit pays. J’aimerais encore pouvoir y goûter, c’est sûr. Ou avec Gand. Mais bon, pour la saison prochaine, ce n’est pas très bien parti.

Le parcours en Ligue des Champions avec Gand, ça reste la plus belle période de ta carrière?

DEPOITRE: Oui, en tout cas une des plus belles. Tout tournait bien en championnat et on faisait des résultats inattendus en Ligue des Champions. C’était quelque chose de très fort. J’ai aussi connu des sensations très intenses en Premier League, ça m’a fait penser aux grands moments européens avec Gand. Mais la Ligue des Champions, ça reste le Graal pour n’importe quel footballeur, c’est certain. Si je me suis retrouvé à Porto, c’était plus dû aux matches de Ligue des Champions qu’à ceux de la saison du titre, quelques mois plus tôt. Tu peux être très bon dans ton championnat, ce n’est jamais la même visibilité. L’entraîneur qui m’a pris à Porto était à Valence quand on a joué contre eux avec Gand en Ligue des Champions, ce n’était pas un hasard.

On a un problème de communication dans l’équipe. »

Laurent Depoitre

« Je sais que j’approche de la fin et j’y pense un peu »

C’est facile d’affronter des équipes inconnues aux tours préliminaires de la Conference League?

DEPOITRE: On sous-estime parfois certaines équipes et certains pays. Il y a plus de qualités qu’on l’imagine. Tu joues contre le champion d’un petit pays, il se retrouve peut-être pour la première fois en Coupe d’Europe, alors la motivation est énorme. Il faut pouvoir répondre à ça. Moi, comme j’ai été longtemps absent sur blessure, je prends maintenant chaque match comme un plaisir. Ça m’a tellement manqué d’être sur le terrain, d’avoir le bonheur de jouer libéré. Rien que pour ça, ma motivation est au top.

Tu auras bientôt 33 ans. Plus on approche de la fin, plus on profite du moment présent? Parce qu’on se dit que ça diminue très fort?

DEPOITRE: J’y pense un peu, oui. J’essaie de profiter à fond de chaque match, de chaque victoire.

La saison dernière a été très compliquée à cause d’une blessure. Tu jouais peu, forcément tu marquais peu. Dans des moments pareils, tu te dis que tu perds une saison alors que tu n’en as plus dix devant toi?

DEPOITRE: Mentalement, c’était très difficile. J’avais envie de jouer, je revenais par moments dans l’équipe, mais je n’étais jamais rétabli à fond. J’essayais de forcer. Je n’avais pas ce plaisir que j’ai retrouvé aujourd’hui, celui de jouer complètement libéré. En plus, les résultats ne suivaient pas.

Une année de merde, quoi…

DEPOITRE: On peut dire ça, oui. Une année à oublier. Le seul point positif, c’est que j’ai eu la force de m’accrocher.

Avant ça, sur tes trois saisons à Gand, tu avais toujours tourné autour de vingt buts ou assists. L’année passée, deux buts et un assist. Ça a été encore plus difficile que ta dernière année en Angleterre, avec la descente de Huddersfield?

DEPOITRE: À Huddersfield, ça a surtout été difficile collectivement. Quand tu joues dans une équipe qui prend très peu de points, c’est difficile d’être bon individuellement. On attaquait très peu, donc c’était frustrant en tant qu’attaquant. Mais ça a encore été plus compliqué pour moi la saison passée parce qu’il y avait le paramètre blessure que je ne maîtrisais pas du tout. Quand tu as une déchirure de trois centimètres, tu sais que tu es parti pour trois ou quatre semaines aux soins. Là, j’avais une douleur au talon et on ne savait rien prévoir. Je ne voyais pas la fin. Quand ça allait un peu mieux, j’essayais de reprendre mais le mal revenait. Plusieurs fois, j’ai essayé de jouer avec la douleur. Mais je ne pouvais pas être moi-même.

Laurent Depoitre:
Laurent Depoitre: « Les occasions peuvent aussi être pour les milieux. Et quand on parle d’efficacité, il faut aussi aborder l’efficacité défensive. »© INGE KINNET

« Ce n’est pas un psy qui va guérir une blessure physique »

Tu as consulté un psy du club pour tenir le coup?

DEPOITRE: Non parce que je n’en ressentais pas le besoin. Ça peut être utile quand tu es en manque de confiance, quand tu cherches un déclic pour te relancer. Mais quand tu as un souci physique, ce n’est pas un psychologue qui va te guérir. Je me suis forcé à rester positif.

Tu es un gars positif à la base, ou tu doutes?

DEPOITRE: (Il réfléchit) Je suis un positif qui peut avoir des moments de doute… J’en ai eu au Portugal et je n’ai pas réussi à me relever. J’avais vraiment perdu confiance. Tout allait bien pour moi la saison d’avant, mais là, je me suis retrouvé perdu.

Tu as manqué de punch, de force mentale? Tu ne te dis pas que ton aventure à Porto aurait pu tourner autrement si tu avais été plus fort dans la tête?

DEPOITRE: Oui, je pense. J’ai peut-être été un peu faible mentalement. Je découvrais une pression que je n’avais jamais connue. Un grand club avec des gros objectifs. Tout le monde mettait la pression: le club tout entier, les supporters. Pour une première, c’était difficile à gérer. Ça n’a pas bien commencé et j’ai complètement perdu la confiance. Dans les matches où on me faisait rentrer, je n’étais pas bien dans la tête.

« Si on regarde le classement de Gand, oui, ça peut faire peur »

Un journal flamand a écrit qu’on revoyait le meilleur Laurent Depoitre, une version 3.0. Tu es d’accord?

DEPOITRE: Je pense que j’ai retrouvé un bon niveau, oui. Celui que j’avais avant mes blessures. Je rejoue avec de la confiance, sans pression, libéré, je prends à nouveau du plaisir.

Il doit quand même y avoir de la pression ici, vu les résultats et les objectifs?

DEPOITRE: C’est sûr. Quand on a commencé le championnat, on n’avait pas envie de refaire le même parcours que la saison passée. Mais il y a plusieurs matches qui n’ont pas tourné en notre faveur alors qu’on n’était certainement pas moins forts que l’adversaire. Une question de détails, souvent. Avec quelques points en plus, des points qu’on mérite, on serait dans le tas avec tout le monde et on ne dirait pas que La Gantoise rate son début de championnat. Si on regarde le classement brut, oui ça peut faire peur, mais je ne suis pas trop inquiet. On a souvent aux alentours de 65% de possession et trois fois plus d’occasions que l’autre équipe. Il y a des jours où ça rentre, comme contre Bruges. Et des jours où ça ne veut pas rentrer.

Au final, la Conference League reste une Coupe d’Europe. »

Laurent Depoitre

C’est le refrain préféré de Hein Vanhaezebrouck cette saison: vous avez des occasions mais vous ne marquez pas. Les attaquants se sentent directement visés, dans ce cas-là?

DEPOITRE: Oui, mais les occasions peuvent aussi être pour les milieux. Et quand on parle d’efficacité, il faut aussi aborder l’efficacité défensive. Si on rate des occasions et qu’on met deux buts, et que derrière, l’adversaire en a deux et marque deux fois, on ne peut pas tout mettre sur le compte de nos attaquants. Tout le monde doit se sentir visé et se remettre en question.

Une victoire 6-1 contre Bruges, ça aurait pu lancer votre saison.

DEPOITRE: Ça aurait dû, oui. Mais on n’a pas su enchaîner contre Charleroi. On prend deux buts évitables dans le premier quart d’heure, on arrive à revenir parce qu’on est meilleurs, on peut en mettre un troisième mais on ne le fait pas, puis ils en marquent un. Dans ce match, si on est plus costauds défensivement dès le début, on gagne sans problème. Je pense qu’on aurait pu se mettre dans un flow positif si on avait gagné ce jour-là, parce que ça nous aurait fait deux victoires d’affilée contre des grosses équipes. Au lieu de ça, le doute s’est installé dans certaines têtes. On a besoin d’une bonne petite série pour décoller.

On a l’impression que vous ne savez pas toujours si vous devez reculer pour protéger votre avance ou essayer de marquer un but en plus. C’est ça le problème?

DEPOITRE: Peut-être. On a une équipe assez joueuse. Je prends l’exemple du match contre le Beerschot. Quand on mène 2-0, on continue à pousser pour en mettre un troisième. Au final, c’est 2-2.

C’est quand même le rôle du coach de corriger ça, non?

DEPOITRE: Ce n’est pas facile de se faire entendre depuis le bord du terrain. Ce sont plutôt les joueurs qui doivent prendre leurs responsabilités et mieux communiquer. On a un problème à ce niveau-là. Parfois, les attaquants partent devant et les défenseurs restent derrière, ce n’est pas normal.

En tant qu’aîné, tu peux jouer ce rôle?

DEPOITRE: Déjà, je ne suis pas un leader naturel. Et puis c’est difficile quand tu joues tout devant. C’est plus un rôle pour les défenseurs centraux et les milieux.

Il y a pourtant beaucoup d’expérience dans l’équipe.

DEPOITRE: Oui, c’est un peu paradoxal, je suis bien d’accord. Une meilleure communication, en tout cas, ça fait partie des détails qu’on doit améliorer et qui pourraient faire la différence.

Les réseaux de Lolo

Laurent Depoitre est présent à la fois sur Facebook, Twitter et Instagram. De là à dire qu’il est accro aux réseaux sociaux… C’est plus un truc pour les jeunes que pour un ingénieur de bientôt 33 ans, non? « Les réseaux sociaux, c’est bien, mais avec modération. C’est bien pour être en contact avec ses fans, par exemple. Mais quand un Paul Pogba commence à poster des danses, là je me dis que ce n’est pas mon truc. »

Tu existes sur Facebook et Twitter mais tu n’y es pas très actif…

LAURENT DEPOITRE: Facebook, à la base, c’était pour mes amis. Et je postais des trucs pour faire plaisir aux supporters. Après ça, j’ai ouvert un compte Twitter, c’était plutôt pour faire comme tout le monde. J’ai vite abandonné. Je n’ai plus rien posté depuis trois ans. Je ne suis vraiment pas accro. Je préfère mettre de temps en temps un petit post sur Instagram.

Tu as posté sur des vacances à Miami, à Dubaï, aux Seychelles, à Mykonos, à Marbella. Toutes des destinations typiques de footballeurs, mais tu n’as pas le profil type d’un footballeur!

DEPOITRE: J’ai l’habitude de publier quand je pars en vacances. C’est destiné à mes proches et aussi à des fans qui aiment bien savoir ce qu’on fait pendant nos temps libres. Mais j’essaie de ne pas trop en révéler sur mon intimité et j’évite d’être bling-bling. Poster une vidéo où on me verrait manger un steak recouvert d’or, comme Franck Ribéry, ce n’est pas pour moi…

Tu t’es toujours senti à l’aise dans le milieu, en côtoyant tous ces joueurs qui se mettent en scène? Il n’y a pas nécessairement beaucoup de fond derrière.

DEPOITRE: Il y a des comportements qui ne me correspondent pas, mais ça ne me dérange pas non plus.

On ne t’imagine pas en baskets roses, avec un énorme dragon tatoué sur le bras, trois boucles d’oreille et une casquette à l’envers…

DEPOITRE: Tous les footballeurs ne sont pas non plus comme ça. Il y a des stéréotypes que certains aiment bien entretenir. Et puis ces joueurs-là ne me dérangent pas, ils sont souvent très sympas. C’est un style, c’est leur style, pas de problème pour moi. Ils sont simplement… un peu différents. Vraiment, je me sens bien dans ce monde. Mais je veux rester comme je suis. Je ne joue pas un rôle, je ne me mets pas en avant. Je ne veux pas faire certaines choses juste parce que je suis footballeur. Je ne me sens pas obligé de porter la dernière sacoche Gucci ou Louis Vuitton.

Le fait d’être parti de tout en bas et de n’être devenu professionnel qu’à 25 ans, ça t’aide aussi à garder les pieds sur terre?

DEPOITRE: Oui, il y a aussi mon éducation et le fait d’avoir fait des études universitaires.

Tu as plus le profil d’un Thomas Chatelle que d’un Michy Batshuayi…

DEPOITRE: On peut dire ça, oui…

Laurent Depoitre:
Laurent Depoitre: « Je suis un positif qui peut avoir des moments de doute. »© INGE KINNET

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